Chapitre 17 : impulsive

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Le sang coulant sur les morceaux épars de corps était encore chaud quand Sushil se retrouva à compter l'ensemble de sa fortune. Il n'avait jamais eu autant d'argent en main. Encore un ou deux meurtres et ce serait sans doute suffisant. Il pourrait lui offrir quelque chose qui apaiserait sa prisonnière. Il avait beaucoup de mal à compter et pourtant c'était encore l'une des aptitudes qu'il avait le plus travaillé. Ce n'était pas évident pour lui, Hari avait pris beaucoup de temps pour lui montrer les bases. L'argent régissait beaucoup de choses en ce monde et il fallait qu'il soit apte à faire au moins les achats du quotidien.

Ce n'était pas prudent, avec son corps encore en miette mais il alla jusqu'à la ruelle et se rencogna dans un coin sombre pour attendre sa proie. Elle n'apparaîtrait pas avant de nombreuses heures alors il ferma à moitié les yeux pour se reposer un peu. Dans son esprit, le visage de Kimiko ne cessait d'apparaître. Il n'avait jamais côtoyé une femme aussi assidûment. Pouvait-il dire qu'il la côtoyait sans même lui parler ? Y'avait-il un nombre d'interaction minimum pour pouvoir annoncer une telle chose ? Il réfléchissait à ces sujets qui le dépassaient, sans prêter la moindre attention aux groupes qui défilaient devant lui sans le voir. Les humains n'étaient pas toujours très doués. Les Dasyas non plus, pensa-t-il sarcastiquement.

Il faisait de plus en plus froid. L'hivers promettait d'être plus rude que l'année précédente. Peut-être qu'il faudrait prévoir un linge plus épais pour que sa prisonnière soit à l'aise ? Est-ce qu'une couverture joliment ouvragée lui ferait plaisir ? Est-ce que ça comptait comme étant un cadeau de valeur ? Les questions lui permettaient de chasser de son esprit les vagues de douleurs qui auraient pu le terrasser. La punition qu'il s'était infligé était encore inscrite dans ses chaires ... et il savait bien que ce n'était pas suffisant. Il devrait recommencer, mais pas immédiatement, il fallait être opérationnel. Il devait pouvoir tuer. En parlant de tuer, sa victime avança sans savoir ce qui l'attendait.

Sushil fit de son mieux, mais la prise lui échappa, la douleur éclatait de partout dans son corps, le Dasya lui faisait face à présent. Gagner un tel duel sans faire couler le sang serait terriblement difficile.

- Tu es ... Ce n'est pas possible. Vous n'existez plus !

Plus ? Oh si, il existait encore. Il pouvait bien être le dernier, qu'importe, il était encore debout face à la vague Dasya. Avant qu'il ne comprenne son adversaire était parti en courant et il disparut bien vite. Ses mains tremblèrent et alors qu'il s'accoudait au mur, l'esprit ravagé de souvenirs violents, une pensée plus sinistre encore lui traversa l'esprit. Que devrait-il faire pour se punir d'avoir commis une telle erreur ? Et puis, que pourrait-il se faire subir qui n'augmente pas les risques qu'une telle chose se reproduise ?

Il devait déjà se reprendre et fuir. Les Dasyas n'évoluaient pas seuls, contrairement à lui et si sa proie revenait accompagnée, il n'y survivrait pas. Sushil remonta les ruelles obscures, en prenant bien garde à changer régulièrement de direction, à se dissimuler dans les ombres pour perdre un potentiel espion et finalement il retourna à son véhicule. Là, il suivit un programme similaire, fait de tours et de détours. Il n'avait pas la sensation d'être poursuivi, mais il était particulièrement peu doué en ce moment. Suffisamment pour douter de ses propres capacités.

Quand il se gara aux abords du temple, il se sentit mal. Il rentrait tardivement et sans cadeau pour sa prisonnière. Elle lui hurlerait peut-être à nouveau dessus. Depuis qu'il lui avait proposé de le battre, elle ne lui jetait plus rien à la figure. L'esprit de contradiction sans doute. Les jours avaient beaux s'égrenaient, il ne la comprenait pas davantage.

Il pouvait essayer malgré tout. Il pouvait faire de son mieux pour établir une communication entre eux. Il détestait l'idée même d'échanger avec elle, c'était horriblement intimidant. Là, accroupi devant la trappe, il se dit qu'il ne méritait pas mieux. Peut-être qu'il pouvait de nouveau l'utiliser comme punition mais au lieu de s'imposer son regard, il devrait aller plus loin et s'obligeant à une véritable compagnie.

Il descendit, lourdement dans le trou et referma au-dessus de lui. Elle était là. Une chevelure blanche, une peau joliment colorée, un regard noir, une bouche pincée et un air furieux. C'était elle dans toute sa splendeur.

Avec lenteur il s'accroupit devant elle. A priori, elle connaissait son nom. Il l'avait entendu prononcer « Sushil » avec cet accent si particulier qui semblait presque hacher les mots. Il n'avait plus qu'à faire preuve de courage. Le tueur releva le visage vers elle, faisait fi de l'angoisse qui l'assaillait et en douceur, il prononça son nom tout en se désignant avant de la montrer elle. Mais Kimiko ne semblait pas vouloir jouer à ça. Elle observait son corps avec minutie, cherchant à savoir s'il s'était déjà fait avoir par sa victime ou pas. Voir le futur, bien, mais était-ce toujours avec le même écart de temps ? Où en était-il à présent par rapport à ses rêves ? Elle avait besoin de comprendre. Le voyant qui s'escrimait, elle lui répondit, désinvolte à souhait :

- Ouais, ouais, tu t'appelles Sushil et je m'en fous. Dis-moi plutôt, il t'a fait mal ? Quand est-ce que tu vas accepter de crever hein ?

Sushil resta là, l'incompréhension gravée sur le visage tout en se forçant à faire un signe pour indiquer qu'elle devait aller plus doucement. Elle faillit éclater de rire. Elle le connaissait bien. Elle avait parfaitement conscience de son malaise, de sa gêne et de toutes ces choses qu'elle n'avait pas la moindre envie de lui épargner. Pourquoi insistait-il ? Habituellement, il se détournait.

- Oh ... C'est ça hein ? Tu me parles pour te faire du mal. T'es vraiment un taré de maso.

- Sushil.

- Ouais, Sushil, le monstre qui aime souffrir et ... faire souffrir.

Il poursuivit presque penaud. Kimiko eut envie de rire. Elle comprenait très bien sa demande. Il voulait savoir comment l'appeler. Elle fut tentée un instant de lui répondre : « déesse » ou « maitresse vénérée » juste pour pouvoir se moquer de lui et de sa stupidité.

Voyant qu'elle ne continuait pas, il tenta une autre approche. Il saisit une bouteille d'eau et marmonna un truc. Elle ne comprenait rien à son charabia, mais il se mit à lui désigner pleins d'objets pour y accoler différents mots. C'était plutôt une bonne chose si elle voulait en apprendre plus, alors elle tenta de mémoriser chaque bribe d'information. Malheureusement, son mutisme découragea assez rapidement l'assassin qui lui faisait face.

Ils restèrent alors, l'un en face de l'autre, incapable de trouver un terrain d'entente pour la moindre petite chose. Si Sushil avait eu une enfance différente, il aurait sorti un Pachisi de sa voiture et aurait tenté de communiquer autour d'un jeu. Mais Sushil n'avait jamais pu s'essayer à un jeu de société. Hari lui avait appris bien des choses, mais surtout des choses sérieuses, des choses pratiques, des choses nécessaires. L'atmosphère était trop grave, trop lugubre pour se laisser aller à la frivolité d'un jeu.

- Sushil ?

Il releva vivement la tête en entendant son nom. Mais tout ce qu'il put voir, ce fut ce regard déterminé et les poignets menottées qu'elle lui tendait. Elle voulait être libre. Doucement, la voix nouée, il lui murmura qu'il ne pouvait pas. Pas encore. Pas comme ça. S'ils parvenaient à parler alors tout changerait, mais en attendant, elle devait patienter.

Kimiko resta là, furieuse. Dominer sa colère était toujours difficile. Elle était trop impulsive, rester coincée ici, immobile et calme, c'était trop pour elle. Elle secoua ses poignets en grognant de rage faisant sursauter son ravisseur qui se tassa un peu plus sur lui-même. La jeune femme le trouva ridicule, lui et sa gestuelle étrange, lui et son corps couvert de blessures ... Comme s'il n'était pas ce tueur, ce meurtrier qui prenait tant de vies. Comme si ce n'était pas lui le bourreau ici.

Quand il recommença à lui parler, tentant à nouveau d'obtenir son nom, elle se mit à lui hurler dessus autant de grossièreté qu'elle pouvait en connaître. Elle laissa éclater sa frustration dans un épisode de rage intense qui eut l'air de choquer son geôlier. Tant mieux ! Qu'il se mette à trembler et à vaciller, si elle pouvait le faire s'effondrer, elle ne s'en priverait pas. 

La princesse des songesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant