Chapitre 9 : offrir la mort

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Sushil observa la main bandée qu'il avait déposé sur le volant. Elle était toujours douloureuse. Hari ne lui avait pas donné de quoi calmer la souffrance. Il l'aurait sans doute refusé dans tous les cas ...

La route était granuleuse et pleine de trous. Les amortisseurs fatigués peinaient à faire leur travail, lui tassant un peu plus le dos à chaque nouveau choc. Qu'importe, il ne méritait rien d'autre. Il n'avait pas osé dire à son frère qu'il n'avait pas l'argent pour nourrir correctement sa prisonnière. Il était adulte après tout, il était censé se débrouiller par lui-même. Hari avait été clair là-dessus. Ce fut pour cela qu'il fit un détour par la ville commerçante la plus proche.

Là, il y avait quelques bureaux, mais surtout, des clients en train de flâner entre les boutiques. La tête enfoncée dans les épaules, il se balada dans le parking à la recherche d'une voiture en particulier. Un modèle prisé par des personnes aux portes-feuilles des plus remplis. Malheureusement, ce n'était pas un jour de chance. Il ne trouva pas la moindre voiture correspondante dans la partie réservée aux clients et il n'avait décidément pas le temps d'attendre la sortie des bureaux.

Faute de mieux, il se glissa dans les ruelles commerçantes, se frayant un chemin entre les badauds. Il détestait ça. Il avait envie de hurler à chaque fois qu'une épaule le frôlait ou le bousculait, c'était pourtant le moment idéal pour passer à l'action, mais il attendait. Il détestait commettre ce genre de crime envers des humains. Alors l'assassin cherchait des proies dignes d'être étranglées. Il cherchait des victimes à qui il aurait dû offrir la mort. A force d'avancer, il en vit plusieurs devant une boutique de montres. Les montures délicates en or massif remplissaient les étals derrière les vitrines sécurisées. Ils étaient là, bavardant tranquillement. Sans la moindre hésitation, Sushil baissa la tête tout en percutant l'un d'entre eux. Il s'excusa à voix basse et s'éloigna comme si de rien n'était. Comme si ses propres poches ne venaient pas de s'alourdir d'un portefeuille épais. Il tourna dans la ruelle la plus proche et se perdit de son mieux dans la foule. Il était temps de fuir. Il vérifierait le contenu exact de son butin plus loin et ferait ses courses ailleurs.

Sur le chemin du retour, il croisa un homme d'affaire un peu trop bien habillé. Il l'identifia immédiatement comme étant un Dasya et il n'hésita pas davantage à l'alléger quelque peu. Avec un peu de chance, il aurait récupéré leurs identités et leurs coordonnées afin qu'il puisse terminer correctement le travail, un jour ou l'autre. Ne pas sentir leur pouls s'éteindre sous ses doigts étaient presque douloureux. Se retenir de les tuer là, en plein milieu de la foule, était une torture. Une torture nécessaire, prudence oblige. Il devait s'en empêcher.

Il sauta rapidement dans son véhicule et démarra sans plus attendre. Ce ne fut qu'une dizaine de minutes plus tard qu'il se gara sur le bas-côté pour dépiauter ses trouvailles. Il y avait quelques documents incompréhensibles, mais également assez d'argents pour nourrir la jeune femme le temps d'organiser quelques meurtres.

Bien-sûr, tout lui paraissait simple et évident même lorsqu'il fut garé sur le parking devant les petits commerces. Oui, mais aller dans lesdites boutiques et acheter des choses, tant de choses, c'était des plus déconcertants. Ce fut ainsi qu'il se retrouva à errer devant des étals tout en se posant des questions existentielles. Comment bien nourrir une personne ? Quelle quantité devrait-il prévoir ? Fallait-il varier les produits ?

Dans un recoin de ce qu'il appelait "maison", il y avait un vieux réchaud. Il pourrait faire bouillir de l'eau et donc, faire cuire un peu de riz. C'était la seule cuisine qu'il connaissait vraiment. Il y avait rarement préparé plus et son père ne s'amusait pas à lui imposer d'assister à tout ça. Il pouvait acheter du riz, bien, mais en quelle quantité ? Il tenta d'évaluer ce que quelqu'un comme Nina pouvait consommer sans se priver, mais il ne parvenait même pas à savoir combien de repas elle pouvait faire en une semaine.

Pour faire bonne mesure, il en acheta deux kilos, sans savoir si cela serait de trop ou pas. Il s'arrêta devant les épices, hésitant. Était-ce quelque chose de nécessaire en soit ? Peut-être pas, mais qu'est-ce qui pouvait bien l'être ? Il jeta un coup d'œil à une cliente, puis discrètement, il la suivit, copiant ses achats faute de mieux. Il ne se souvenait pas d'avoir un jour goûté à ces aliments. Les bras pleins de produits, l'angoisse au bord des lèvres, il alla payer ses provisions. Il pourrait se nourrir pendant des semaines avec autant de riz et il ne se serait jamais permis de manger le reste des ingrédients. C'était beaucoup trop de luxe.

Il acheta également de l'eau et hésita un long moment avant de prendre une boite de thé. En errant entre les commerces, il se trouva une boutique proposant des étoffes finement ouvragées. Des couvertures, des housses et un grand nombre de linge de maison. Il lui restait une certaine somme d'argent, bien assez pour payer une couverture digne de ce nom à sa prisonnière. Il pouvait faire froid au cœur de la nuit dans la planque.

Le tissu était trop doux sous ses doigts, trop agréable et déjà chaud. C'était étrangement réconfortant. Dès qu'il le put, il repoussa l'étoffe loin de lui tout en essayant de chasser les regrets et l'envie. Tout ça, ce n'était pas pour lui. La douceur, la chaleur, le confort, la satiété, ... Il ne méritait rien de tout cela. S'il était un autre, l'un de ces humains qu'il croisait si souvent, s'il était cette femme qu'il séquestrait, il aurait pu y prétendre. Mais il n'était que Sushil. Un être maléfique qui aurait dû savoir se sentir reconnaissant de pouvoir conduire une voiture et d'avoir eu des soins dignes de ce nom pour couvrir ses plaies. Il aurait dû comprendre qu'il ne méritait pas que l'habitacle de son véhicule brise le vent ou converse une partie de la chaleur. Il aurait dû ... Sushil ferma les yeux alors que dans son esprit, il continuait de s'auto-flageller pour toutes ses fautes. 

La princesse des songesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant