Devant la chambre de Wren, le plancher est toujours aussi grinçant que lors de ma dernière visite, il y a six mois, lorsque je ne pouvais trouver le sommeil après avoir appris la vérité sur mes origines. Cela remonte à peu de temps, or une éternité aurait très bien pu s'écouler tant j'ai l'impression de me remémorer un souvenir lointain et enfoui. Je ne sais pourquoi, mais j'ai souvent repensé à la chambre de Wren : à son dôme de verre, aux étoiles qui scintillaient dans le ciel nocturne, au grand lit chaleureux... J'aurais très bien pu revenir voir Wren dans sa chambre, mais jusque-là, je n'avais jamais osé remonter à ce dernier étage.
Le calme qui règne ici est stupéfiant. Je suis certaine que Wren a entendu mes pas devant sa porte, comme la dernière fois, pourtant il n'apparaît pas. Je me décide alors à frapper en retenant mon souffle. Dans le silence, mes coups sont comme des martèlements de tambours et me font sursauter. Je ne devrais pas être aussi tendue, mais une sorte de torpeur s'empare de moi tandis que j'attends que Wren me réponde. Vingt secondes. Cinquante secondes. Une minute. Trois minutes. Mais la porte en bois verni reste close sans que j'entende le moindre bruit de l'autre côté.
Alec m'a pourtant affirmé que Wren s'était enfermé ici mais l'atmosphère qui flotte est si dénuée de vie que je commence à avoir des doutes. Pas un craquement de plancher ou de lit, pas un froissement de drap, pas une respiration... Je ferme alors les yeux en pensant à la "connexion" qui nous unit, Wren et moi. D'ordinaire, une électricité semble planer dans l'air à chaque fois que l'un de nous utilise son pouvoir sur l'autre. Peut-être qu'elle est moins forte lorsque Wren ne lit pas mes émotions ou quand je ne manipule pas ses pensées, mais elle doit être présente. Il faut juste que je la sente...
Je me concentre et comme en pleine méditation, prends conscience de chaque élément qui m'entoure : le murmure des planches sous mes pieds, la légère brise qui souffle au-dessus des toits, mon propre souffle régulier... et enfin un bourdonnement presque inaudible qui charge l'air ambiant d'une tension imperceptible. Wren est donc bien là.
— C'est Luna, je crie en m'approchant de la porte. Je sais que tu es là.
Une nouvelle fois, pas de réaction mais l'électricité devient plus perceptible et j'ai moins à me concentrer pour entendre le bourdonnement. Quand un bruit d'agitation se fait enfin entendre dans la chambre, mes épaules se décrispent sous le soulagement. La poignée de la porte finit par tourner et la silhouette de Wren se dessine enfin dans l'encadrement.
— Qu'est-ce que tu veux ? lâche-t-il sèchement. Alec-chéri était si désespéré qu'il t'a prévenu ?
Je m'attendais à le trouver dans un état physique calamiteux mais il ne montre aucun signe de fatigue : d'horribles cernes ne se peignent pas sous ses yeux, son teint n'est pas cadavérique et ses cheveux ne partent pas en épis. Cependant, ses pupilles sont comme éteintes, ne brillant plus d'aucune étincelle.
— Ce n'est pas Alec qui m'envoie, je déclare après quelques instants. Il m'a même déconseillé de monter, lorsque je suis arrivée.
Ses yeux fixent un point derrière moi sans jamais croiser les miens. Adossé au chambranle de la porte, il ne perd rien de son attrait mais je crois avoir un fantôme en face de moi tant il semble absent.
— Je n'ai pas besoin d'une psychologue, me dit-il avec une menace palpable dans la voix. Tu peux rentrer dans ton palais doré.
Alors qu'il referme la porte, je me précipite pour la retenir qu'un coup de pied. S'il croit que je vais le lâcher si facilement !
— Il n'est pas question de psychologie, je rétorque avec un regard perçant qu'il ignore complètement. J'ai vécu exactement la même chose que toi il y a six mois et tu as été là. C'est à moi d'être présente, maintenant.

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Isaluna : Les Malfaçons [TOME 2] [TERMINÉ]
Fantastique/!\ Attention spoilers sur le premier tome /!\ Isaluna le sait, elle n'est pas comme les autres adolescentes de son âge. En plus d'être une Lunatique, c'est également une princesse. Et Wren a promis à Elasia, la reine, qu'il lui ramènerait sa fille...