Et un sourire

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Dans cette nuit glaciale aux portes de la ville

Assis sur le trottoir, le visage tranquille
Je regarde le ciel: peut-être est-ce le froid
Mais cette soirée-là me rappelle autrefois.

Quand triomphant j'allais offrir à mes parents
Ce dessin de sapin fait de ma main d'enfant
Et le matin suivant, les yeux émerveillés
Déballais mes présents, le tout bien emballé
Dans du papier doré, rubans multicolores
Tout n'était que magie dans ce joyeux décor.

Pouvais-je alors imaginer un seul instant
Que j'oublierais ces doux visages au fil des ans!
Que tout s'écroulerait, et qu'un soir, démuni
Je ferais de ces rues le berceau de ma vie.

Mes rêves de jadis à jamais révoqués,
Je ne suis à présent rien de plus qu'un déchet
Fini les cosmonautes et les explorateurs
Tout ça s'est terminé comme un soleil qui meurt.

Quelle honte est sur moi, quels regards méprisants
Me lancent chaque jour des milliers de passants!
Néanmoins aujourd'hui je bénis cette fête
Enfin de vrais regards descendent sur ma tête!

Peut-être est-ce Noël qui réchauffe les coeur
Mais je sens dans leurs yeux un peu de leur chaleur.
De la pitié, certainement, c'est déjà ça
Comparé à ma vie lorsque Noël n'est pas.

Savent-ils à quel point je me sens lâche et sale
Au milieu de ces festivités hivernales
Arbres illuminés et bougies allumées
Éblouissent mes yeux par l'alcool embués.

Ô combien j'aimerais, ne serait-ce qu'un soir
Discuter avec eux, à leur table m'asseoir
Pour pouvoir prendre part à cette joie ambiante
Moi, l'être de l'ombre à l'odeur malséante!

Comment pourriez-vous connaître au fil des jours
La souffrance d'un homme en grand manque d'amour
Forcé de s'enivrer pour passer l'hiver rude?
Mon désespoir est tel face à ma solitude...

Maman...Papa...pardon. Je voudrais tellement
Retrouver la chaleur de ces mots!Simplement
Discuter, partager. J'ai si froid, j'ai si faim
Mes pensées s'entremêlent et rien n'est très distinct.

Lorsque dans mes délires je me perdais, tout seul
M'enfermant doucement dans mon propre linceul
Un tout petit enfant s'est penché près de moi
Elle ne m'a rien dit, mais j'ai senti, tout bas
La magie opérer; et les yeux scintillants
Elle m'offrit un sourire.

Les yeux larmoyants
J'observai son visage, découvris, stupéfait
La chaleur de l'amour.
La tendresse d'un jour.

Et quand bien même si, quelques instants plus tard,
Elle disparaissait, partait sans crier gare
Il peut faire aussi froid, je peux être aussi seul
Que le serait encore un bien vieil épagneul

Jamais je ne perdrai cette image céleste:
Un ange souriant à mon destin funeste
Une fillette riche, à qui tout réussit
Tendant la main à moi, un pauvre mal vieilli

Dans cette nuit glaciale, aux portes de la ville
Levant les yeux au ciel, le visage tranquille
Je me sens m'en aller; le froid m'a achevé
Durant bien de longs mois, la faim m'a épuisé

Je ne peux plus tenir: il est temps de partir.
Sur le trottoir gelé, je fermerai les yeux
Emportant avec moi tout mon passé pluvieux

Et un sourire....



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