Ailes

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Vous a-t-on déjà dit que les hommes ne pouvaient pas voler ?
Que pire que d'avoir les ailes coupées, ils n'en avaient jamais possédées et étaient seulement destinés à regarder ?
Tel fut le discours que l'on me répéta toute ma vie.

"C'est injuste" je me disais, contemplant mon coeur et mon être, bien trop lourds pour espérer un jour nager dans le ciel et l'infini, comme ce nuage à la blancheur des âmes d'enfants.
Mais je constatais par moi-même au fil des années que c'était vrai, que jamais je ne m'échapperai, que depuis la Terre je regarderai toujours avec envie les graines de pissenlit et les pétales de cerisier portés par la brise.

Autour de moi, on construisait des murs, toujours plus épais, toujours plus hauts, afin de me barrer la vue et l'accès à ce monde inatteignable.
"Cesse de rêvasser ; assieds-toi là. Etudie, réussis. Ce sera ta vie, sois-en heureuse."
Tuer les ailes, douloureusement, profondément, pour être sûr de bien délimiter les champs d'action et annihiler les autres souhaits.

Je ne sais pas ce que j'ai manqué dans tout ce protocole. J'ai pourtant toujours fait en sorte d'être bien docile et de tout suivre à la lettre.
Toujours est-il que je ressens toujours ce besoin profond de m'envoler. Je sens les ailes, en moi, au secret de mon coeur, et rien n'a jamais pu les tuer complètement.

En effet, je sais voler. Attention, pas comme vous et moi ne l'imaginons ; ce n'est pas une manière de voler très empruntée. Mais je ne suis pas de ceux assez forts pour briser les murs, pour m'élever de mes propres forces, pour me créer mon propre chemin. Non, moi, je n'ai pas encore trouvé la clé de ma prison.

J'ai simplement besoin d'être seule, mes tumultes débordants de mes yeux et de ma bouche.
Certaines chambres ont des fenêtres. La mienne en a une.
Il me suffit alors de fixer très longtemps l'extérieur, de ce regard dégoulinant de hurlements réprimés.
Je veux juste m'évader

Au bout d'un moment, au fil des cris de douleur et des appels à l'aide silencieux, c'est comme si la vitre disparaissait un cour instant, faisant une entorse à la règle, et je me retrouve de l'autre côté.

Oui, je franchis la fenêtre.
Alors, c'est le début d'un rêve qui ne dure que très peu de temps, hélas. Mais dans tous ces instants où je sens mon esprit qui vogue, loin, là-bas, si loin de ma chambre, mes barreaux, et ma route barbelée, je goûte à la liberté des hommes, oubliée depuis trop longtemps.

Les hommes ont toujours eu des ailes. Cherchez bien, vous verrez, vous pouvez vous aussi réveiller les vôtres. Alors vous verrez combien un homme qui vole peut être magnifique.

Farandole d'écriture Où les histoires vivent. Découvrez maintenant