L'oiseau oxymore.

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Une cigarette coincée entre ses lèvres, son regard perdu dans les méandres de son téléphone.

Son dos nonchalamment appuyé contre le mur, son pied gauche jouant distraitement avec son skate posé sur le sol.

Son visage las, ennuyé par les êtres se mouvant autour de lui.

C'est la première fois que je le vois ainsi, que je le surprends parmi les autres.

Des gens rient, râlent, déblatèrent sur des sujets plus ou moins intéressants. Je n'y fais pas attention. Tout ce qui m'importe en cet instant, c'est lui.

Lui qui, au milieu des corps, semble si différent ; je le reconnaîtrais à peine.

Son grand sourire, celui qui m'accueille à chacune de nos rencontres, est effacé.

Ses yeux, habitués à briller sous la lumière du réverbère, paraissent ternes ; seule la lueur bleuâtre de son portable s'y reflète.

Je m'avance vers lui, consciencieux de la discrétion de mes pas. Trois, quatre, cinq, six, sept enjambées. Et lui soustrais sa cigarette, provoquant un froncement de sourcil et un grognement inhumain.

Grognement qui se fane, froncement qui se relâche.

-Oh, c'est toi. Rends-moi ma clope.

Mais je secoue la tête.

-Tu en as fumé combien aujourd'hui ?

Néo hausse les épaules en se redressant, poli.

-Six, en comptant celle-ci. Mais, pour ma défense, je suis là depuis cinq heures.

Je soupire. Et sors mon propre paquet.

-Tu devrais ralentir.

-Dit-il en se grillant une clope.

-C'est ma première depuis cinq jours. J'arrête doucement, mais sûrement.

Il lève les yeux au ciel, fait tomber quelques cendres sur le sol.

-Je te rappelle que j'ai pas envie d'arrêter.

-Et moi, je te rappelle que ce serait mieux pour ta santé.

L'autre s'étire en soupirant profondément.

-Arrête de te conduire comme mon paternel.

Une bourrasque me prend par surprise, et je frissonne sous mon manteau.

-D'accord, désolé.

J'hésite, trois secondes.

Puis :

-T'as pas l'air très joyeux, aujourd'hui. Tout va bien ?

Néo souffle bruyamment la fumée de sa cigarette.

-Dans mon dernier cours, deux imbéciles se sont lancés dans un débat inutile. Ils criaient et se coupaient sans cesse la parole, même le chargé de TD a fini par s'asseoir à son bureau et les a laissés s'entre-tuer tellement il était exaspéré par cette immaturité. People tire me out.

Je grimace.

-Je comp…

-Et puis ça fait plusieurs nuits que t'es pas venu.

Sur ces mots, il balance son mégot d'un geste brusque avant de l'écraser. Je me penche pour le ramasser et effectue sept pas pour le jeter à la poubelle, ignorant le léger rictus moqueur de ce compagnon râleur.

-J'ai beaucoup de travail à cause des partiels. Je te rappelle qu'ils commencent la semaine prochaine.

-C'est pas une raison. Tu pourrais venir réviser sur le banc. Il y a un super réverbère pour t'éclairer.

Je ne peux m'empêcher de sourire, un peu.

-Tu n'aimes pas les gens, mais tu as besoin de compagnie, c'est ça ?

L'autre s'apprête à sortir une nouvelle cigarette, mais se ravise quand il croise mon regard. Le regard que Lumia déteste parce que, d'après ses dires, il la transperce tellement qu'elle se sent obligée de m'obéir. Elle l'appelle le regard de tueur à gages, ce qui n'est pas le plus beau des compliments.

-Je n'ai pas besoin de compagnie, j'aime bien la tienne, c'est tout. T'es un gars intéressant, Noé. Un peu moralisateur, mais intéressant. Et puis, avec toi, j'ai toujours droit à une ou deux nouvelles coïncidences.

Je lève les yeux au ciel.

-Noé, t'es là !

Lumia me rejoint en courant, les sourcils froncés.

-Je fais le tour de la fac depuis vingt minutes, tu pourrais au moins répondre au téléphone.

Puis elle se rend compte de la présence de Néo.

-Oh, salut.

-Hi.

Je sens une certaine tension monter doucement entre eux, ce qui devient plutôt gênant. J'attrape mon amie par la manche pour l'entraîner à ma suite.

-C'est pas tout, mais on risque d'être en retard, non ?

Puis je tourne la tête vers mon compagnon nocturne.

-La prochaine nuit, je viendrai avec de quoi étudier. Mais je te préviens, je reste seulement si tu apportes tes cours pour travailler, toi aussi !

Pour toute réponse, il soupire.

Noé et les papillons de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant