L'oublié de Morphée.

74 23 1
                                    

Quatre heures six. Le paquet de cigarettes auquel il manque dix-huit habitantes négligemment jeté sur la table du petit appartement. La fenêtre entrouverte qui laisse entrer l'air presque glacial de la nuit. Et puis moi. Moi allongé sur mon lit, moi ne parvenant à trouver le sommeil, moi fatigué par les partiels qui s'approchent à une vitesse folle.

Je finis par me relever, me rhabiller, fermer la fenêtre, attraper mon paquet de cigarettes et sortir de mon petit appartement. Je marche, marche, marche.

Aucune trace de Néo.

Dommage, j'aurais bien aimé le retrouver.

Je sors mon paquet ainsi que mon briquet de la poche droite de mon manteau avant d'allumer une cigarette. J'inspire longuement, expire deux fois plus longtemps.

Je me rapproche pas à pas du skate-parc, d'où provient un léger bruit de roues sur le bitume ; avec un peu de chance...

Il est là.

Je laisse un sourire se dessiner sur mon visage, et m'assieds contre une barrière.

Deux réverbères éclairent l'endroit, et l'illuminent lui.

Il dévale les pentes, exécute des figures que je n'ai vues que dans des séries et, surtout, sourit.

De son immense sourire heureux.

Le genre de sourire que je ne suis plus capable d'arborer à cause du stress des partiels.

Comment fait-il pour être aussi insouciant ?

On dirait presque Lumia.

Je souffle un nouveau nuage de fumée.

-Bonsoir !

L'autre sursaute, perd l'équilibre et se rétablit de justesse, puis descend de son skate.

Il se tourne vers moi, sans effacer son sourire.

-Noé, hi !

J'entends d'ici Lumia me murmurer « mmh, son accent british... je m'offre à lui quand il veut »

Murmure que je ne parviens à soustraire de ma mémoire.

Néo se laisse tomber à côté de moi, légèrement essoufflé.

-Tu n'es pas en train de réviser ?

Je secoue la tête, désespéré.

-Je suis trop exténué pour me concentrer correctement.

Néo tire sur la clope qu'il vient d'allumer, puis s'allonge sur le sol en fermant les yeux.

-Tu te prends la tête pour rien, je suis sûr que tu vas réussir tes partiels haut la main.

Je soupire, avant d'imiter sa position.

-J'espère. Et toi, tu n'es même pas un tout petit peu stressé ?

-Not really. Mes parents m'ont mis la pression les quinze premières années de ma vie avant de se rendre compte que ça ne servirait à rien, et que j'étais plus productif quand ils ne cherchaient pas à me pousser à tout prix vers la réussite. J'ai appris à vivre sans stresser pour les conneries du genre examens, c'est juste nocif.

Il a parlé d'une voix très calme, comme d'habitude ; tout en regardant le ciel, les yeux plissés à cause de la vive lumière des réverbères.

Je fais tomber quelques cendres.

-Je t'admire pour ça. Tu es tellement... décomplexé, confiant. Moi je ne suis que source d'angoisse ; Lumia me met souvent des gifles quand mon comportement l'excède.

Néo se met à rire.

-Je l'aime bien, ton amie.

-Elle est célibataire, si tu veux savoir.

Il me jette un regard et un sourire en coin.

-It's interesting...

Je soupire. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre...

-Et toi ? T'as quelqu'un ?

Je secoue la tête.

-Non. Ma dernière relation remonte à trois ans.

Je dois avoir adopté un ton bien amer, car mon compagnon nocturne lâche une petite grimace.

-Ça s'est mal terminé ?

Je hausse les épaules.

-C'était un con qui m'a trompé avec l'un de mes plus proches amis. Fin de l'histoire.

-They suck.

Je ris, légèrement.

-C'est le cas de le dire.

Deux nouvelles bouffées de cigarette. Son skate qui fait de minimes aller-retours, guidé distraitement par sa main. Mon bonnet gris qui manque d'être emporté par le vent, retenu uniquement par mon index.

-Bon, et toi, tu n'aurais pas une relation désastreuse à me raconter ? Histoire que je ne sois pas le seul à m'être confié ?

Néo lâche un distrait « hmm » de réflexion, puis se passe une main dans ses cheveux.

-Ouais, je crois. C'était il y a deux ans ; on est sortis cinq mois ensemble, avant qu'iel me largue, avec pour excuse « je t'aime, mais notre histoire n'est pas assez pimentée, j'ai besoin de frissons et de sensations fortes. » au début j'ai cru à une blague, mais iel m'a assuré être sérieux. Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer.

-Iel ? Genderfluid ?

-Non-binaire.

Je hoche la tête.

-Effectivement, c'est... cocasse.

-Isn't it ?

Je souffle un dernier nuage de fumée avant d'écraser ma cigarette contre le sol, et me redresser.

L'autre m'imite.

-Tu rentres ?

-Ouais, je vais tenter de dormir un peu, j'ai cours à huit heures. Tu vas venir à la fac ?

Il hausse les épaules, tout en jetant son mégot au loin.

-I don't know yet. Je verrai.

Je replace mon bonnet d'une façon correcte.

-Ce serait sympa si tu venais, on pourrait se voir.

Néo attrape son skate, mais je sais qu'il réfléchit à mes mots.

Je tourne alors les talons.

-Bon, à demain peut-être. Et je compte sur toi pour aller ramasser ton mégot et le mettre à la poubelle. Bonne nuit, Néo.

-Ouais, ouais. Bonne nuit, Noé.

Noé et les papillons de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant