Juste une bouffée d'air, ou de cigarette.

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Je me tourne et retourne dans mon lit, incapable de trouver le sommeil. Mon cours de littérature comparée me prend la tête et le moral ; j'ai besoin de m'aérer.

Je me lève, attrape un jean et un tee-shirt noirs au hasard, les enfile rapidement, saute dans mes doc martens, revêts mon long manteau, m'empare au passage de mon paquet de cigarettes ainsi que de mon briquet, et sors de mon petit appartement.

C'est un peu idiot, mais j'espère que Néo sera là. Je ne l'ai pas vu depuis la dernière fois, il y a quatre nuits.

Le terre-plein entre dans mon champ de vision ; une silhouette est assise sur le banc étrangement placé au milieu, fumant et jouant distraitement avec un skate.

Je m'approche encore un peu, et la silhouette se tourne vers moi.

Je suis à deux pas de lui, à présent.

C'est bien Néo, qui me sourit grandement.

-Hi. Je commençais à m'impatienter.

Je m'assieds à côté de lui, et allume une cigarette.

-T'es revenu ici les autres fois ?

Son skate roule vers la gauche pendant cinquante centimètres avant que Néo le rattrape du bout du pied et le ramène à lui.

-Oui, je suis revenu les autres fois. Mais pas toi.

Je hausse les épaules.

-J'avais du travail.

Il hoche la tête, deux fois.

Moi, je me contente de regarder ma cigarette se consumer longuement.

Un groupe de lycéens passe bruyamment, accompagné d'une forte odeur de beuh et du son ténu de bouteilles s'entrechoquant dans un ou deux sacs.

Néo allume à son tour une cigarette, et soupire profondément la fumée.

-Au fait, t'es en quoi ?

Quelle bien vague question.

-En deuxième année de lettres modernes. Et toi ?

-Ciné. Pareil, en deuxième année.

Je hausse les sourcils.

-À Paul Valéry ?

Il acquiesce.

-Et toi, à Paul Valéry ?

-Oui. C'est étonnant qu'on ne se soit jamais croisés.

Il aspire une grande bouffée de sa cigarette.

-Effectivement, c'est étonnant.

Puis il se tait, regarde la rue en face de lui, fait bouger légèrement son skate avec le bout de son pied. Et sourit.

-Encore une coïncidence.

Je ris, un peu. Il m'amuse.

-Oui, c'est vrai.

Trois silencieuses minutes s'écoulent tranquillement.

Je me sens vraiment à l'aise, et j'ai l'impression qu'il l'est aussi.

Mais je dois absolument débuter une nouvelle conversation, pour éviter de m'endormir.

-Et sinon, ça te plaît, le cinéma ?

-I love it !

Il s'est soudainement redressé en s'exclamant ; comme s'il sortait également d'une certaine forme de somnolence.

-J'y vais pas souvent, rajoute-t-il, mais quand j'ai la motivation, j'aime vraiment ce que je fais. Le seul truc qui me dérange, c'est les gens qui déballent leurs connaissances sans raison, et qui sont super condescendants avec les autres. Je supporte pas ce genre de personnes.

-Peut-être qu'ils ne s'en rendent pas compte. Et puis même, ce n'est pas une raison pour sécher tous les cours.

La danse de son skate se fait un peu plus sèche.

-Ta réplique est banale, je l'ai entendue des dizaines de fois depuis deux ans.

Je baisse la tête, et me concentre sur ma cigarette agonisante.

Lui soupire.

-Et toi, ça te plaît, les lettres modernes ?

Je relève les yeux ; il a retrouvé son sourire.

-Beaucoup.

Les dernières cendres chutent et s'échouent sur le bitume. Et moi je me redresse, me dirige vers la poubelle et y jette mon mégot.

-Bon, je rentre, je vais finir par tomber de sommeil. Ça m'a fait plaisir de te revoir.

Il lève la main gauche à hauteur de sa tête, dans un semblant de signe.

-Ouais, moi aussi. À l'une de ces nuits, Noé.

Je tourne les talons

-À l'une de ces nuits, Néo.

Noé et les papillons de nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant