Le réverbère agit comme un phare au milieu de cet océan nocturne qui s'est abattu sur la ville ; mon lourd sac empli de livres et notes de mes cours pèse massivement sur mes épaules, affaissant légèrement mon corps et engourdissant mes pas.
La silhouette de l'autre, découpée dans la vive lumière, est tournée vers moi, comme une attente soulagée, tandis qu'un large sourire fend son visage en deux, le rendant presque maléfique.
-Noé. Hi.
-Salut.
Je me laisse tomber sur le banc étrangement placé au milieu du terre-plein, faisant voler mon sac sur mes genoux. Néo s'empare de son ordinateur gisant sur son skate et l'ouvre, presque dramatique.
-Tu vois, j'ai de quoi bosser. Je m'apprête à travailler à deux heures du matin, sur un banc en plein milieu d'un terre-plein. Sois flatté, je ne fais pas ça pour n'importe qui.
-Je suis très flatté que tu acceptes de réussir tes partiels grâce à moi.
La seule réponse que je reçois est un regard levé vers la nuit sombre.
-Bon. Je vais réviser mon latin, trouve un truc à faire.
-J'ai toujours préféré le grec.
Je soupire, sans parvenir à réprimer un sourire amusé. Néo est presque... attachant, malgré tout.
-Et bien moi je suis dévoué au latin. Travaille.
-Ouais, ouais. Je me grille une clope d'abord. T'en veux une ?
-Non. Dépêche-toi, ou je ne reviendrai pas les autres soirs.
Mon compagnon grogne en portant la cigarette à ses lèvres, et ouvre un fichier sur son ordinateur.
-Voilà. Histoire du cinéma. Content ?
-Très.
Une voiture nous dépasse à toute vitesse, nous aveuglant de ses phares semblables à deux grands yeux jaunes de quelque terrifiant monstre. Néo soupire déjà, s'affale un peu plus sur le banc, lâche la fumée grisâtre dans l'air et, je le devine, se contente de lire en diagonale.
-De quoi parle ton cours ?
-De films... dans les années soixante...
Je ferme les yeux. Secoue la tête.
-Ne fais pas semblant, c'est encore pire que de ne rien faire, parce que tout sera embrouillé dans ton esprit et tu retiendras n'importe quoi.
Je suis sérieux. Mais ce phénomène éclate de rire, peut-être un peu trop fort au vu de l'heure un peu trop tardive.
-Okay mom, sorry !
-C'est ça, moque-toi. En attendant, j'essaie de t'aider, moi.
-Et je t'en suis infiniment reconnaissant. Promis, je me concentre.
J'acquiesce, satisfait.
Il se replonge dans son Histoire, je rechute dans mon latin.
C'est une très belle langue, que j'aimerais bien parler couramment. Mais à quoi bon savoir discuter en latin si personne n'est là pour me comprendre ? Ce serait beau que Néo soit celui qui me comprenne, celui avec qui je discute.
Mais il préfère le grec.
Tant pis.
-Noé. Hé, Noé.
Je lève la tête pour croiser le regard amusé de mon compagnon.
Ou plutôt croiser l'écran bleu de son téléphone situé suffisamment proche de mon visage pour que je sois obligé de plisser les yeux, agressé par cette source néfaste de lumière.
-Quoi ?
Il souffle bruyamment, éloigne son portable comme si ma réaction était inattendue et décevante.
Il a dû me prendre pour un papillon de nuit, je ne vois que ça.
-Il est quatre heures passées, ça fait deux heures qu'on travaille. J'estime que c'en est assez pour moi, alors je rentre.
-Oh.
Je me redresse, range mes affaires tandis qu'il s'étire de tout son long.
Je l'imagine en chat, et ça me donne légèrement envie de rire. Alors je souris.
-Je vais me coucher aussi.
-Tu n'as pas fumé.
-Non !
Néo hoche la tête, le visage peint d'admiration.
-Tu désires vraiment arrêter, en fait.
Je fronce les sourcils en arrangeant les hanses de mon lourd sac sur mes épaules.
-Évidemment. Tu en doutais ?
Il se contente d'afficher un rictus, et de se détourner avant de s'élancer au loin.
-À l'une de ces nuits, Noé !
Toujours beaucoup trop fort.
Mais je souris.
-À l'une de ces nuits, Néo.
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Noé et les papillons de nuit
Short StoryQuand, l'une de ces nuits, assis sur un banc étrangement placé au milieu d'un terre-plein et fumant une cigarette tout en essayant d'arrêter à quatre heures du matin, Noé rencontre Néo.