23 Adieu, mon vieux

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-Ce n'est pas trop tôt!

-C'est ça c'est ça...

Marie fait sa petite mine boudeuse, et j'éclate de rire. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas vue, depuis l'irruption du commissaire Sigurdsson chez moi. Depuis, elle crèche chez Ambre, qui s'est plutôt bien accommodée de sa nouvelle colocataire. J'étais tellement prise par l'affaire du commissaire que je ne suis pas passée la voir, et c'est seulement en revoyant sa petite frimousse innocente, ses cheveux bruns, son nez légèrement retroussé et ses yeux en amande que je réalise quelque chose, qui me frappe durement.

Je réalise qu'elle m'a manqué.

Sans réfléchir, je la prends dans mes bras. Elle semble aussi surprise qu'Ambre derrière elle, qui me jette un regard indéchiffrable, mais me rend mon étreinte.

-Tu es au courant pour la commissaire? Lui dis-je.

-Oui... c'est... triste. Je l'aimais bien.

Elle marque un silence, et je vois bien qu'une question lui brûle les lèvres.

-Accouche.

-Hein?

-Tu veux poser une question, alors pose la. Je peux pas répondre tant que tu ne l'a pas fait.

-Tu pense... qu'il va y avoir un enterrement.

-Non, tu n'iras pas à l'enterrement. Lui dis-je fermement.

-Tu ne peux pas me l'interdire! Après tout ce qu'il a fait pour moi!

-C'est justement à cause de tout ce qu'il a fait pour toi qu'il est hors de question que tu y aille. Ça va grouiller de policiers et de gens qui te cherchent, et ce n'est pas le moment de gâcher tout ce qu'il a fait, pigé?

-Mais...

-MARIE ÉCOUTE MOI!

Elle est apeurée par ma soudaine poussée de voix. Moi aussi, à vrai dire.

-Le commissaire est plus là pour te protéger, tu sais ce que ça veut dire?

Elle hésite, puis me fixe avec un regard grave qui a quelque chose d'amusant venant d'elle. On dirait une enfant qui essaie de jouer les adultes.

-Tu n'es pas obligée de continuer à t'occuper de moi, Shi.

-Exactement. Mais tu sais quoi? Je vais le faire quand même. Parce que je sais qu'il voulait sans doute pas te laisser indéfiniment entre mes pattes et que ça le ferait chier de savoir que je continue à m'occuper de toi. Et puis, jcrois que je t'aime bien, finalement.

Un petit sourire se dessine sur son visage, et mon cœur se met à accélérer pour une raison que j'ignore. Décidément, il n'en fait qu'à sa tête, ces derniers temps! Je ne cesse de ressentir des trucs nouveaux, et je n'arrive pas à mettre des noms dessus. Ça me frustre.

Beaucoup.

-Shi... commence Ambre. Tu y as été invitée, à cet enterrement?

-Hein? Ouais. Ros... je veux dire, la bonne femme du commissaire m'a invitée. Mais je pense pas y...

-Vas y.

Je marque une pause.

-Hein?

-Je te dis d'y aller. Je prends bien soin de Marie ici, mais toi, vas y.

-Et pourquoi devrais je y aller?

-Parce que je pense que ça te fera du bien. Et que tu as besoin d'être un peu seule. Tu as beaucoup de compagnie, ces derniers temps.

-Mais...

-C'est non discutable.

Je soupire, un peu amusée. Ambre sait me convaincre. Elle est bien la seule, d'ailleurs.

-Très bien, madame la baronne. Je vais y aller.

-Fais attention à toi. Me glisse gentiment Marie en me faisant une bise sur la joue.

A quel moment est on devenues... si proches? Remarque, je l'ai bien prise dans mes bras en arrivant, donc je peux parler...

***

Il pleut. Mais la pluie est froide, gelée, même, et le sol est boueux. Je peste contre ce temps. J'aime bien la pluie, en temps normal, mais là je ne suis pas en chasse, et la pluie est juste en travers du chemin.

Je suis à l'enterrement du Commissaire.

Et autant dire que rester immobile à écouter les âneries d'un prêtre sous la pluie battante n'est pas mon plus grand plaisir. La météo avait pourtant prévu du beau temps. Saloperie de réchauffement climatique, hein? Je peste une nouvelle fois. Je m'étais bien habillée pour une fois, évitant le trop provocateur, pour simplement porter ma robe noire préférée - et encore, ma descente de rein m'avait valu quelques regards.

Comme prévu, beaucoup de flics. La plupart m'évitent du regard; tant mieux. Je suis rassurée que le nouveau commissaire n'y soit pas, j'aurais eu du mal à retenir mes nerfs contre lui. Il me tape sur le système depuis sa prise de fonction, à sans cesse ordonner perquisitions et convocations pour des affaires vieilles de plusieurs années et pour lesquels il ne trouve jamais la moindre nouvelle preuve. Il est décidément lent à apprendre, et je me retiens toujours difficilement de lui en coller une dans le visage - ou de lui planter quelque chose entre les omoplates.

Roseline est là, bien sûr. Elle est l'une des seules que je connais. Cependant, il me semble apercevoir une tignasse rousse que je connais bien. Eh merde. Alice, une de mes conquêtes d'un soir.

Dire que j'avais envie d'être tranquille... cependant, elle n'a pas l'air décidée à venir me voir, je ne suis même pas sûre qu'elle m'ai vue ou reconnue.

Enfin, le prêtre ferme sa grande gueule, et c'est Roseline qui prend la parole. Elle est un peu tremblante, mais garde une allure composée et une voix calme. Pourtant, chacun de ses mots expriment son regret et sa tristesse. Sa solitude. Mon cœur se serre, et mes yeux se dirigent naturellement vers le cercueil, qui repose déjà au fond de la fosse. Sur la pierre, sous le nom de quelques inconnus, figure celui de sa fille, juste au dessus du sien. Je ne peux supporter cette vue, et relève la tête. Roseline a craqué, et pleure, incapable de continuer son discours. L'assemblée reste comme figée face à ce spectacle, ne sachant que faire. Mon corps réagit tout seul. Je franchis l'espace vide qui me sépare d'elle, et la prend dans mes bras. Et je la serre.

Fort.

Tres fort.

Elle me serre, elle aussi. Mais j'ai l'impression que je vais l'écraser dans mes bras. J'ignore ce qu'il m'arrive. Quelque chose monte en moi, et j'essaie de le refouler en la serrant, mais je n'y arrive pas. Mes yeux me piquent, c'est insupportable.

-Tout va bien... me dit la voix légèrement tremblante d'Alice, à mes côtés.

Je ne peux que hocher la tête. Évidemment, que tout va bien. Pourquoi quelque chose irait mal? La mort est naturelle. La mort n'est pas à craindre. Les morts ne pleurent pas. Pleurer les morts est une preuve d'égoïsme... n'est ce pas?

Les gouttes de pluies ruissèlent sur mon visage. Certaines gouttes arrivent jusqu'au commissures de mes lèvres: le goût semble... salé. Mes yeux me pique. J'étouffe un sanglot.

Mais c'est sûrement juste à cause de la pluie.

Oui. Juste à cause de la pluie.

La PrédatriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant