QUATRE - ATTERRISSAGE

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En posant mes fesses dans cet avion, cette impression d'être enlevée à ma vie, de partir en la laissant de côté, de n'être qu'une marionnette ne me quittait pas. Je ne supportait pas ce sentiment. Depuis son départ, il me semblait impossible d'être en capacité de ressentir une quelconque émotion autre que l'insécurité. Elle me paraissait tambouriner chaque jour dans ma poitrine sans que je ne puisse la refouler. Elle circulait en plus grande abondance dans mes veines chaque minute passant.

Après la mort de maman, Nelson et Jarred étaient devenus mes points d'ancrage. Mes repères. Comment allais-je faire pour vivre sans aucun repère à l'autre bout du pays ? Les agents sociaux qui étaient venus nous voir plusieurs fois avant mon départ n'arrêtaient pas de répéter que cette « procédure » n'était que pour mon bien-être et ma santé psychologique. Mais ne comprenaient-ils pas que je tenais debout grâce à Nels et Red et qu'en m'envoyant là-bas, ils me cassaient les genoux et me mettaient à terre ?! J'étais révoltée, mais je ne pouvais rien faire. Qui écouterait l'avis d'une pauvre adolescente de dix-sept ans psychologiquement instable ? Personne. Exactement. Absolument, personne ne se préoccupait de ce que j'avais réellement besoin et tout le monde agissait comme si c'était normal.

Mais si elle avait encore été là, maman m'aurait pris le visage entre ses mains, m'aurait forcé à la regarder droit dans les yeux en tenant d'une telle fermeté mon menton avec ses doigts fins qu'il m'aurait été impossible de protester. Elle aurait finit par me faire un discours du type : « Tu es forte. Tu ne dois laisser personne te faire douter un seul moment. Ne te laisse pas abattre. Ils ne te connaissent pas, alors vas-y et montre-leur qui est la vraie Kristina Reed : la guerrière, celle qui n'a peur de rien. » Elle m'aurait pris dans ses bras et j'aurais probablement pleuré.

Je ne l'aurais probablement pas cru non plus, parce que je n'étais pas forte, je n'étais pas une guerrière, je n'étais qu'une bombe à retardement attendant le moment le plus opportun pour péter au visage de ceux que j'aimais.

Mais ma mère avait ce don pour mettre les gens en confiance et depuis qu'elle était partie, je me souvenais, je me rappelais à quel point elle, malgré tout ce qu'elle avait traversé, était resté forte et n'avait jamais baissé la tête. Alors je me devais de la suivre, de rester forte malgré tout. Ou du moins, de faire semblant.

Elle était la meilleure pour rassurer les gens et les pousser à se dépasser. Elle était la meilleure dans beaucoup de domaines lorsque l'on y pensait : elle était la meilleure coiffeuse de la ville, la meilleure cuisinière de la ville et par-dessus tout, la meilleure maman de toutes. Elle me manquait terriblement et chaque jour que je vivais sans elle était un peu plus difficile à surmonter que la veille.

Je faisais défiler les photos sur mon téléphone depuis plus d'une heure en me rongeant les ongles, la peau autour de mon index droit commençait à me brûler sérieusement et devenait un peu plus rougeâtre chaque fois que je la ressortais d'entre mes dents. Je m'arrêtais sur, presque, chacune de photos et les observais avec minutie faisant remonter à la surface des tonnes de magnifiques souvenirs que je refusais d'oublier.

En tombant sur un portrait de maman, Nelson, Jarred et moi lorsque nous étions encore petits, ma respiration se bloquait. Je manquais d'air. Ma vue se fit trouble et je me mis à trembler de façon incontrôlable. Je venais de déclencher ce que les médecins appellent plus communément : une crise de panique. Leur récurrence depuis sa mort ne me permettait pas de m'y faire et elles me prenaient toujours autant au dépourvu.

Mon téléphone chutait sur le siège et je détachais ma ceinture de sécurité. Tremblotante, j'arrivais à me frayer une passage jusqu'au toilettes sous les regards inquiets des passagers. J'ouvrais la porte qui claquait contre le mur fin, me retrouvais à genoux et me vidais. Je vomissais tout ce que je pouvais. Même si je n'avais avalé qu'une miséreux bol de céréales en deux jours, je vomissais. Je ne m'arrêtais pas.

Pluie de Crystal | #wattys2019Où les histoires vivent. Découvrez maintenant