Pluie de Crystal | #wattys2019

TROIS - AU-REVOIR

Boum.Boum.Boum.

Les battements réguliers du cœur de Jarred résonnaient contre mes oreilles depuis des heures maintenant, à la manière du tic-tac d'une horloge. C'était apaisant, cette manière qu'avait son torse de se soulever, à mesure que sa cage thoracique enflait et que ses poumons se remplissaient d'air. Ainsi, mon oreille posée contre son torse, je pouvais sentir chacun des mécanismes qui le tenaient en vie. J'avais cette impression, que si je parvenais à pousser mon ouïe un peu plus loin, je pourrais sentir son sang, circuler de veines en veines. Ses doigts étaient emmêlés entre mes cheveux de jais et son souffle chaud s'écrasait à chaque expiration sur la cime de mon crâne.

Mes yeux divaguaient à l'extérieur. Ils se baladaient entre les branches de Robinson, le grand saule qui trônait au cœur du jardin, passaient au travers de ce que Jarred et moi aimions appeler notre Temple ; plus communément connu comme la cabane de bois que nous avions construit lorsque nous étions enfants. Cette maisonnette, perchée dans l'arbre recueillait en son sain des souvenirs inoubliables qui me réchauffaient le cœur.

A l'aube, le ciel était semblable à une aquarelle gigantesque toute d'orange, de bleu et de rose. C'était envoûtant. Le soleil se levait doucement et ses fins rayons glissaient entre les branches et les toits des maisons pour venir se coller sur ma peau. Emmitouflée sous les draps fins, je pouvais sentir la brise chaude venir se faufiler jusque nous.

Ma tête se relevait tout en délicatesse, je ne voulais surtout pas qu'il s'éveille. Je posais mon menton sur sa poitrine.

Il était beau, c'était indéniable. Il l'avait toujours été. Son teint halé et son regard charbonneux en avaient fait tombé plus d'une. Mais ainsi, tout à fait endormi, il possédait quelque chose en plus. Il retrouvait son innocence et sa pureté que le départ de maman lui avait arraché d'une violence barbare. Son visage était détendu, ses traits se tiraient moins et les ridules, dues aux larmes, qui creusaient sa peau s'estompaient légèrement.

Le temps d'une nuit, il redevenait le Jarred d'avant tout ça...et ce Jarred gai et joyeux en permanence, me manquait terriblement. Il paraissait tellement paisible, endormi. Pourtant, je le savais bien, tout ceci ne durerait pas. Lorsqu'il se réveillerait, il redeviendrait de marbre et l'étincelle d'innocence que l'on pouvait entrevoir lorsqu'il sommeillait allait à son tour s'endormir dans un trou noir dans lequel personne ne pourrait la retrouver avant la tombée de la nuit.

Nous avions tous changé depuis sa mort. Elle nous avait tous impacté sans prévenir mais pour Jarred et Nelson, c'était différent. Pour eux, le scénario se répétait. Encore.

Natalia Stevens était la femme de Nelson pendant près de dix ans. Il l'aimait comme il n'est pas permit d'aimer quelqu'un et n'a jamais cessé de l'aimer. Il était toujours fou d'elle et le serait probablement jusqu'à la fin de sa vie. Natalia avait succombé lors de l'accouchement, mettant au monde Jarred. Comme maman, elle leur a été arrachée. Elle les a quitté sans que son fils ne puisse comprendre qui elle était et ce qu'elle avait donné pour lui.

Après ça, Nelson était détruit. Mais maman est arrivé, moins d'une année après et l'a aidé à sortir la tête de l'eau. Mon patriarche est parti avant même que je ne vienne au monde, abandonnant maman, meurtrie. Ainsi, Nelson et maman se sont retrouvés, dans des situations avec tant de similarité que s'en était déconcertant. Alors poussés par le destin, ils se sont battus ensemble afin de reconstruire leur vie et de bâtir - certes sur des bases un peu bancales - la famille dans laquelle Jarred et moi avions grandi.

Red n'a jamais connu sa mère. Pourtant, il l'aimait et l'admirait beaucoup. Nelson avait toujours prit soin de peindre à son fils la meilleure image et le meilleur portrait de la femme qu'il aimait tant. Jarred avait toujours vécu avec un père et deux mère dans la tête et voilà qu'à dix-huit ans, lui et son père se retrouvaient seuls, pour la seconde fois. Il avait déjà vécu cette situation, mais était bien trop jeune pour se rendre compte de ce qui se tramait. Aujourd'hui, le même événement le frappait de plein fouet. Il ne méritait pas ça. Aucun de nous ne le méritait.