Lorsque nous sortîmes de la forêt, sans le moindre embryon de piste, je me sentais très, très mal. À peine eus-je fait un pas hors du territoire des Lavandières que je m'effondrai, incapable de tenir debout plus longtemps.
Fichu oeil-de-tigre... Cette pierre était un bouclier ultime contre les formes paranormales, mais le prix à payer était élevé. Il fallait être certain de pouvoir s'enfuir, sinon, immobiliser ses adversaires ne ferait que retarder notre exécution, car même l'oeil-de-tigre avait une durée d'action limitée.
— Allez, viens, miss Anesthésie.
— La ferme, Klaus...
Néanmoins, il passa un bras sous mes épaules, un autre sous mes genoux, et me souleva du sol que j'étais incapable de quitter. Mon épaule buta contre ses pectoraux fermes, ma tête se posa contre sa clavicule. Il alla en direction de la voiture, quelques mètres plus loin. Ainsi sous le clair de lune, il était parfaitement visible... Et un humain risquerait de faire une crise cardiaque en nous voyant.
— Quand tu es épuisée, tu peux bien accepter un peu d'aide, non ?
— Mister Ego...
— J'ai plus l'air d'un prince charmant, là, non ?
Son sourire moqueur me fit grogner de dérision. Visage tourné dans ma direction, sa fossette insolente rivalisait avec ses mèches de cheveux d'un bleu pur venant frôler mon visage.
— Un maudit fantôme n'est pas un prince.
— Ha ouais ? ricana-t-il. Dans ce cas, que suis-je ?
Paupières closes, je me laissai aller contre lui, incapable de lutter contre l'épuisement. Décidément, je me sentais vraiment en confiance dans ses bras.
— Tu es le servant asexué.
— Asexué !? Hé ho, tu me prends pour quoi, un eunuque !?
J'entendis le bruit d'une portière que l'on ouvre, certainement à la force du pied. Puis je me retrouvai assise sur le siège passager, tandis qu'il prenait le volant. Conduite par un fantôme... On pouvait avoir une contravention, pour ça ?
— Ne t'endors pas, Anastasie. La nuit ne fait que commencer.
— Je ne dors pas, crétin. Je suis juste en train de...
*
— ... Sombrer, acheva Klaus, avec un soupir.
L'Armière venait de s'endormir par surprise, la tête posée contre la vitre. Ses longs cheveux châtains cascadaient sur ses épaules dénudées, lui donnant une impression d'exquise fragilité. Juste une impression... Parce que cette fille était capable d'activer un oeil-de-tigre, pierre puissante à double tranchant.
Il effleura l'une de ses mèches de cheveux. Si douce... Dans son univers, il n'y avait rien d'aussi doux. Les fantômes, entre eux, étaient pareils aux humains. Pourtant, une différence persistait. Une certaine froideur latente, une conscience éternelle de leur état de décédés.
Enfin... Il étudia attentivement la ceinture garnie de pierres d'Anastasie. Il y en avait de toutes les couleurs, de toutes les sortes. Néanmoins, il trouva celle qu'il cherchait : une goldstone rouge pailletée d'or. Parfait. Il la décrocha, pour la presser sur les lèvres de la belle médium.
Aussitôt, son dos se cambra, un gémissement lui échappa alors qu'elle entrouvrait la bouche sur la pierre. Ses paupières s'ouvrirent sur des pupilles dilatées, ses doigts se mêlèrent à ceux de Klaus, le prenant par surprise.
— Heu... Anastasie ?
Elle récupéra la goldstone de son autre main, se lécha les lèvres... Et l'attira à lui, avec tant de force qu'il dut s'arrêter d'une main sur la vitre, à moitié au-dessus d'elle. Houla... Houla, non, attendez... Elle effleura sa bouche de son souffle, lui faisant perdre l'un de ses neurones fantomatiques.
— Anastasie... Anastasie, tu devrais... Oh, Miss Anesthésie ! Tu arrêtes, oui !?
Elle se tétanisa, eut un moment d'hésitation... pour lui décocher une droite mémorable. Il s'écroula sur son siège, estomaqué, la joue en feu.
— Bordel, qu'est-ce qui se passe !? s'exclama-t-elle. Pourquoi tu m'as fait toucher une goldstone !?
— Tu avais besoin d'être guéri de l'effet de l'œil-de-tigre !
— C'est pas une raison ! s'insurgea-t-elle, rouge comme une tomate.
— J'avais oublié que tu réagissais ainsi à la goldstone. Désolé.
— Je veux pas le savoir ! Pervers !
— Pervers !?
— Oui, pervers !
— Grrrr....
— Comment ça, grrrr !?
*
À ces mots, une forme énorme sauta sur le capot de la voiture, le faisant se plier sous son poids. Six yeux rougeoyants se dardèrent sur nous, trois gueules énormes montrèrent des crocs effilés, dégoulinants de bave.
— Nom de Dieu ! criai-je.
L'énorme Cerbère fit voler en éclat le pare-brise, ses mâchoires claquèrent dans l'habitacle, à un cheveu de mon bras. Je me tassai précipitamment contre la portière, à recherche de la poignée. Quand enfin elle s'ouvrit, je tombai sur le sol comme une masse... Pour voir le canidé tricéphale faire un vol plané et finir sur le dos, terrassé par un fabuleux coup de poing. Mon Daugr était efficace.
Il traversa la voiture, pour se diriger vers l'animal sorti d'Outre-Tombe. Il avait l'air très, très en colère. Pour cause. Cerbère, le chien à trois têtes, conservait les morts dans l'Au-Delà. Mais si l'un d'entre eux parvenait à s'échapper, il le poursuivait jusque sur Terre. Et là, nous avions un gros problème.
Car d'Outre-Tombe ou pas, ça restait un chien avec pour mission de ramener les fantômes. Quoiqu'il en coûte.
Le Cerbère se remit sur pattes d'un bond, se jeta sur Klaus. Ils roulèrent au sol, dans un nuage de poussière, des bruits de mâchoires qui claquent retentirent, suivis d'un rugissement. La bête fut de nouveau projetée au loin. Le Daugr se remit sur pieds, la main en sang.
— Klaus !
— Non, Anastasie...
Mince. Le Cerbère se rua vers moi, me reconnaissant comme un obstacle en lui et le fantôme. Or, même si j'étais une Armière, je ne pouvais absolument rien faire face à un Cerbère.
Aussi hurlai-je comme un bébé en le voyant me foncer dessus, prêt à me dépecer vive.
Il était presque sur moi lorsque Klaus le percuta par le côté. Ils luttèrent au sol, violemment. Le fantôme parvint à la ceinturer, chacun de ses muscles contractés, sans pour autant réussir à le calmer. Il hurla un nom... Et le Cerbère disparut en fumée, disparaissant dans l'Outre-Tombe.
Je me précipitai vers mon ami resté étendu sur le sol, me jetai à genoux pour vérifier ses blessures.
— Tout va bien, haleta-t-il. Aucune détresse vitale.
— Juste des coupures ? demandai-je en palpant son torse.
— Et des morsures aux avant-bras. Rien de grave.
Il prit mes mains dans les siennes. Elles tremblaient, sans que je puisse les en empêcher.
— Calme-toi, Anastasie.
Incapable de le regarder, de peur de lui montrer à quel point j'avais été paniquée, je gardai les yeux rivés à mes doigts.
— Cerbère te prend toujours pour un fugitif, quand il chasse sur Terre.
— Ce n'est de la faute de personne. Enfin, si, c'est celle du fantôme qui s'est évadé. Mais c'est fini, mon chef l'a remis en laisse pour le moment. Mais nous ferions mieux de déguerpir, il va devoir le relâcher.
— Pour trouver le fuyard ?
— Ouais. Je ne sais pas de qui il s'agit, mais il doit être sacrément dangereux, pour avoir libéré le Cerbère.
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Assassinat d'un Fantôme
ParanormalDes morts qui égarent leurs âmes et une amitié avec un fantôme plus que séduisant. Rien que de l'amitié, vraiment ? *** Depuis toujours, Anastasia Konogan a la particularité de pouvoir rendre les fantômes tangibles. Cela lui permet de travailler pou...
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