— Écoute, mamie, je suis d'accord, c'est triste, soupirai-je, affalée dans le canapé du salon de mon client. Mais tu es morte, lui vivant, donc il faudrait le laisser tranquille.
Le fantôme, flottant sur le piano, me jeta un regard assassin. D'un bleu vif, translucide, elle devait avoir la soixantaine bien tassée. Dans sa nuisette aussi transparente qu'elle, la mamie du jour terrorisait son mari, toujours vivant celui-là. Certes, il ne la voyait pas. Mais passer ses nuits avec un courant glacé contre soi, ou manger au son d'un piano jouant seul la sérénade favorite de sa défunte femme... ça avait de quoi donner des ulcères à l'époux le plus aimant.
Donc, j'étais là pour « exorciser » mamie.
— Bon, dégage ! J'ai autre chose à faire !
— Jamais ! beugla-t-elle, son poing traversant le dessus du piano, au sens littéral.
— Si tu veux continuer à faire comme les vivants, concentre-toi, sinon tu vas... Et voilà !
Elle venait de passer au travers du meuble, pour passer dans le sol, et disparaître au second étage dans un hurlement strident, audible de moi seule.
— Quelle plaie, soupirai-je.
Tranquillement, je descendis les escaliers, pour la découvrir à moitié à l'intérieur de son mari. Ce dernier était tétanisé, persuadé que quelque chose se passait. Entre le canapé fleuri et la table basse desséchée, faisant face à une télévision à l'ancienne dotée d'une antenne, la scène faisait maison de retraite hantée.
— Mademoiselle Konogan ? Comment ça se passe ?
— Je veux partir, gémit sa défunte femme en rampant hors de lui. Je ne peux pas vivre ainsi ! Je veux ressusciter ! Je veux...
— Vous allez surtout rejoindre l'au-delà, cinglai-je en m'agenouillant près d'elle. Vous avez juste à aller à Tarascon, et à traverser la Grande Porte d'Or. Vous savez, celle qui donne sur la place, avec le théâtre ?
— Ou... Oui...
— Hé bien, une porte pour le paradis se trouve là-bas. Une fois que vous l'aurez traversé, tous vos problèmes disparaîtront dans un océan de béatitude.
— Ha... Vous... en êtes certaine ?
— Regardez-moi, fis-je en pointant moins index vers ma tête. Ai-je l'air de pouvoir vous mentir ?
Elle m'étudia d'un regard flou. Voilà pourquoi je me déplaçais toujours avec un look de parfaite secrétaire : cela donnait confiance aux fantômes, qui voyaient en ma jupe moulante noire et mon chemisier blanc une personne parfaitement raisonnable. Avec mon chignon tiré à quatre épingles et mes lunettes, c'était définitif, je n'avais plus le profil de la menteuse invétérée.
— Non... Non... Je vais y aller... Juste...
Sa main effleura la joue de son mari, qui sursauta, apeuré. Elle semblait chagrine, des larmes pointant sur ses joues évanescentes.
— Adieu, mon amour.
Je répétai ses paroles au survivant, qui hocha faiblement la tête.
— Au revoir, Marie-Rose. J'espère que tu seras heureuse là où tu vas.
Elle fondit en larmes, avant de disparaître dans une bourrasque d'air froid. Brr... Je détestais quand ils faisaient ça. Son époux pleura silencieusement, me laissant le temps de sortir mon calepin et mon stylo.
— Bon, maintenant, parlons de mes honoraires.
Que vouliez-vous... Vingt-six ans de fantômes vous conféraient fort peu de compassion.
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Assassinat d'un Fantôme
ParanormalDes morts qui égarent leurs âmes et une amitié avec un fantôme plus que séduisant. Rien que de l'amitié, vraiment ? *** Depuis toujours, Anastasia Konogan a la particularité de pouvoir rendre les fantômes tangibles. Cela lui permet de travailler pou...
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