Kathy Kronegg était dans son labo, comme à son habitude. C'était son antre, son royaume, souveraine des alambics et impératrice des éléments, et gare aux étrangers qui venaient en troubler la quiétude. Les sciences étaient rassurantes, constantes, prédictibles et immuables. Les hommes étaient imprévisibles et sadiques. Kathy avait pour seule compagnie un anatidé, Eustache, qui, contrairement aux humains, est supportable.
Elle était capable de rester des journées entières assise sur une chaise au milieu de son labo, admirant par l'énorme baie vitrée arrondie qui lui servait de mur extérieur et de plafond le royaume et l'espace, partiellement cachés derrière un fouillis de câbles et de matériel de pointe. Son labo contrastait énormément avec le château médiéval en pierre brute, quoique renforcé aux nanotubes de carbone, et les champs cultivés à la main sur lesquels elle avait une vue plongeante, bien que les fermiers soient réalité des androïdes.
Ces quelques exemples représentaient à la perfection les anachronismes aberrants omniprésent dans le royaume. Déjà, leur société médiévale n'était pas du tout adaptée à leur avance technologique, Kathy s'y opposait fermement, et préférait vivre et se comporter selon les mœurs plus décontractées des siècles suivants. Personne ne savait exactement combien de temps s'était écoulé entre ces deux périodes, et on aurait été bien incapable de le découvrir. La Terre n'était plus qu'un lointain souvenir, détruite ou perdue dans l'espace, certains disent même qu'elle oscillait entre plusieurs dimensions, ou prétendent que ses habitants étaient des dieux. La vérité était que personne n'en savait rien et n'en saurait sans doute jamais. Le sol sur lequel elle marchait et l'air qu'elle respirait étaient tout aussi aberrants. Le royaume de Solaris était unique en son genre, car au lieu de dériver dans l'espace au gré de l'orbite imposée par son parent gravitationnel, le royaume était libre de mouvement et n'était affilié à aucun autre astre. C'était ce qui faisait de lui le royaume le plus puissant de l'Univers connu, sa capacité à se déplacer où bon lui semblait, ou plutôt selon les volontés du roi qui dirigeait la planète-bateau, comme ils l'appelaient, depuis une salle difficile d'accès et gardée par de lourdes portes au fonctionnement compliqué.Kathy évitait de le dire par peur de se faire chasser, ou pire ôter ses privilèges de chercheuse, mais elle avait le sentiment que ceux qui avaient conçu cet endroit l'avaient fait dans un dessein différent de celui-ci, qu'elle ignorait. Elle s'était vite aperçue que certaines parties du château n'avaient aucune utilité apparente, et que son labo même semblait avoir été conçu dans un autre but que la recherche.
Son esprit vagabondait sur des théories farfelues pour expliquer toutes ces incohérences, tandis qu'elle s'affairait sur la réparation d'un androïde de maintenance à la poitrine défoncée par une chute accidentelle de plusieurs centaines d'étages. Elle sortit les mains des vestiges de la cage thoracique du robot et essuya ses doigts pleins de cambouis sur un chiffon avant de se munir de quoi réparer les connections nerveuses. Perceval surgit alors de derrière une paillasse, hors d'haleine. Kathy sursauta, le faisceau du découpeur laser quitta le relais positronique qu'il fixait et faillit trancher la tête du jeune monarque, sacrifiant tout un rayonnage de verrerie en diamant. Kathy, écarlate, incendia l'impudent :· Perceval ! Mais qu'est-ce que tu fous là ? Ça va de faire peur aux gens comme ça ?
· C'est toi qui as sursauté, répliqua l'intéressé. Qu'est-ce que tu fais ?
· J'en sais rien, soupira-t-elle. Que faisons-nous tous en ce monde ? Certains sont des oiseaux, d'autres des voitures, d'autres encore des immeubles. Parfois, les oiseaux se font écraser par les voitures ou foncent dans les vitres des immeubles ; et parfois, ce sont les voitures qui foncent dans les immeubles...
· Euuh, tu es sûre que tu vas bien ?
· Oiseaux, voitures, immeubles... continuait-elle sans répondre à la question. Tel est le monde... Es-tu un oiseau, une voiture un immeuble ?
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l'Histoire en un §, ou Perceval et la quête du basilic
Science FictionDans un futur lointain, la technologie est suffisamment développée pour permettre les voyages intersidéraux. Mais alors que la science est à des siècles d'avance, les codes sociaux ont régressé à la période médiévale. Samuel et Samuelle vont en subi...