5

96 13 0
                                    

J'aide ma mère à entrer dans le bus à mon véritable arrêt, celui à la sortie d'un petit camp d'étrangers. Pour une fois maman a accepté de sortir, je pense qu'elle va mieux depuis quelques jours. Mais je me rends bien compte qu'elle n'a pas besoin de voir pour être consciente de la misère qui traîne autour de nous. Des fois je me dis que j'aimerai être à sa place puis je rappelle qu'être aveugle m'enlèverai sans doutes beaucoup de problèmes mais m'en rajouterai un beaucoup plus éprouvant : la souffrance de mes parents ou plutôt de ma mère. Quelques minutes plus tard nous entrons dans un quartier de riches où attend à l'arrêt un homme ou plutôt mon observateur. Je comprends mieux maintenant pourquoi il monte avant moi en fait il doit habiter ici, c'était même logique. Que pensais-tu, Ana ? Qu'il était pauvre et se donnait des faux airs de riches comme tu le fais pour te montrer convenable aux yeux des gens, oui c'est exactement ce que je pensais. Il monte, s'installe en face de nous et quand il constate que je suis déjà là et accompagnée je le vois froncer les sourcils. Aujourd'hui je ne veux plus me battre à fuir son regard, je ne baisserai plus les yeux ! Ma mère me serre la main alors je porte mon regard vers elle.

Est-ce que tout va bien, Ana ? M'interroge ma maman en portugais.
Oui ne t'en fais pas, maman.
Es-tu sûre, ma fille ? Je te sens préoccupée et on nous observe.

Je la rassure et me concentre sur le chemin que nous empruntons, un chemin que je connais que trop bien mais pourtant je me contente de le regarder chaque fois un peu plus. Je remercie Dieu de m'avoir donné la vue mais le remercie surtout de nous laisser vivre chaque jour un peu plus longtemps. Ma mère sait parler le français mais elle préfère parler en portugais avec ses proches. Je pense que c'est une façon de se rassurer en quelque sorte sur une terre inconnue. Ma mère est arrivée France peu avant la mort de mon père alors elle n'a pas véritablement les papiers français, tout comme moi.

Le bus s'arrête et j'aide ma mère à descendre. Je tourne la tête vers l'homme qui s'est décalé pour nous laisser passer et lui fais un simple mouvement de tête pour le remercier puis me dirige vers le marché. Toutes façons mon accent étranger ne fait jamais une bonne impression.

L'homme du bus Où les histoires vivent. Découvrez maintenant