Chapitre 13 : le portail

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- Très franchement, j'ai toujours cru que les elfes étaient dotés d'une sorte de don qui leur permettait de bien se mouvoir naturellement. De gestes pleins d'élégance et jamais un seul de trop. Vous êtes la preuve que je me suis bien trompé. Je n'ai jamais vu un tel concentré de maladresse. J'ai très peur du moment où nous entreprendrons les leçons de lancer d'objets. Vous êtes incapable de bien viser, je me trompe ?

Aelyn haleta une réponse qui tenait plus du gargouillement que de la phrase réellement construite. Elle n'avait rien à dire d'autre et elle craignait qu'essayer d'argumenter achèverait de lui aspirer tout le souffle. Si elle savait très bien viser, mais il n'y avait qu'elle qui le saurait. Elle avait décidé de ne plus rien lancer de sa vie.

- Non mais regardez-moi ça, insista leur professeur de combat en prenant les autres élèves à témoin. Vous avez de longues jambes, de longs bras, une vitesse et une fluidité absolument injuste ! Des tas de faerys crèvent d'envie d'avoir autant de facilité en tout. Et pourtant, vous êtes tellement gauche qu'on dirait qu'on vous a greffé des bâtons au bout des épaules et qu'on ne vous a jamais appris à vous en servir ! Je n'ai jamais vu un tel gâchis.

- Je suis désolée, monsieur, répondit Aelyn entre ses dents, essayant de nouveau de l'atteindre avec son épée émoussée.

Son coup se perdit lamentablement dans l'esquive de leur précepteur, un homme grand et mince dont les cheveux plaqués vers l'arrière étaient si blonds qu'ils capturaient l'éclat du soleil de la plage. Il lui offrit un sourire hérissé de crocs. Chark était un vampire à l'ancienne. Il ne ressemblait à Nevra que par sa peau d'albâtre, ses dents et ses oreilles pointues. Pour le reste, il s'exprimait comme un noble vieux de plusieurs siècles – ce qu'il était probablement – et portait des habits victoriens couplés d'une paire de gants blancs qui lui donnaient l'air d'être taillé dans du marbre tant il se tenait perpétuellement droit et altier.

Une illusion. Il s'agissait d'un lieutenant obsidien à peine au dessous de Valkyon et beaucoup plus expérimenté que lui, qui se mouvait si vite que la pauvre Aelyn ne le voyait pas bouger. Heurtée de plein fouet par ce qu'elle supposait être un pied chaussé d'une chaussure cirée, elle se retrouva le nez dans le sable et éternua lamentablement.

- Ridicule, insista Chark. Vraiment, je ne comprends pas. Je n'ai jamais vu aucun elfe bouger avec autant de ridicule. Vous ressemblez à un bébé dans un corps d'adulte. Vous avez passé votre enfance dans une marmite de porridge ?

- Pas loin... répondit Aelyn sur le même ton monocorde.

Elle avait vite compris que Chark, malgré ses manières exagérées et ses longues jambes fines comme des pattes de danalasam, était un combattant irréprochable et un observateur aiguisé. Il ne cessait de s'étonner, de protester et se lamenter sur sa maladresse. Elle subissait en priant pour que personne ne se doute de la supercherie mais heureusement pour elle, les autres élèves avaient autant de mal qu'elle à suivre le rythme qui leur était imposé et se concentraient surtout à ne pas attirer l'attention sur eux. À cet instant précis, la voix puissante et les manières bourrues de Caméria lui manquait, même si elle finissait toujours les leçons avec quelques bleus.

- Attaque moi encore ! insista Chark, impitoyable. Redresse ton dos et plie tes jambes. Tu es grande, c'est bien, mais il faut que tu sois stable. Tout le monde est logé à la même enseigne, tu seras toujours plus grande les jambes pliées alors n'est pas peur d'être plus stable. Parce que tu ne gagneras jamais en étant aussi maladroite alors que ça n'a rien d'impossible en étant petit.

Aelyn obéit et plia les jambes comme il lui disait et même plus quand il se matérialisa à côté d'elle pour la redresser d'une main gantée sur les reins et l'abaisser d'une autre sur les épaules. Ses cuisses raidies par les courbatures crièrent au supplice. Le temps de réaliser la situation, il avait bougé et était de nouveau en face d'elle dans une position flegmatique qui ne donnait pas du tout l'impression qu'il était en situation de combat. La vitesse vampirique creusait tellement l'écart de force entre eux qu'elle en venait à se demander comme il était possible, même pour un elfe expérimenté, d'envisager le battre. Mais surtout, elle se posait de sérieuse question sur le talent de Valkyon, qui était son supérieur. Quelle force monstrueuse cet homme à l'air si pacifique pouvait bien dissimuler pour avoir sous ses ordres un vampire aussi terrifiant ?

Ezarel - L'autre visage de LilynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant