Prologue

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La chaleur était étouffante, pourtant, l'homme continuait à travailler le métal avec une rigueur et une application stupéfiante.

Autour de lui, les murs en pierre avaient revêtu la couleur ardente dégagée par la cheminée, dont les crépitements assourdissants se faisaient éclipser par les tintements métalliques résonnant à répétition. Des tiges à la couleur du mercure pendaient dangereusement au plafond, renvoyant la vison d'une rangée de pics prête à s'effondrer au moindre tremblement. Accrochée un peu plus loin, une armée d'épées et de boucliers aux finissions frôlant la perfection, luisaient de cette lueur rougeâtre particulière. Quelques armures étaient négligemment éparpillées sur l'immense table trônant au centre de la pièce, présentant leurs torses bombés pointés ver le plafond charbonneux, duquel pendait une unique lampe à huile dont la lumière faisait pâle figure face au brasier dansant au sein de la cheminée. Sur le sol gisaient quelques pièces de métal inachevées, ayant été sauvagement rejetées par le propriétaire de la forge, insatisfait des quelques défauts presque imperceptibles qu'elles présentaient à leur surface.

Celui-ci s'activait au dessus d'une enclume imposante, battant le fer avec une ferveur presque surhumaine, mais qui étrangement, inspirait une certaine douceur caractéristique d'un professionnel sachant prendre soin de sa création. Les cheveux du forgeron, des mèches aussi noires que le charbon qui se faisait dévorer par les flammes, étaient collées à son front luisant de sueur. Sa peau halée, rendue brillante par l'effort, était semblable à une toile accueillant les traits de peinture dessinés par les flammes, et les résidus charbonneux qui s'étaient accrochés à elle. Les bras de l'artisan, dévoilés en raison des manches qui avaient été retroussées, étaient larges et déformés par des muscles semblant rouler sous son épiderme.

L'ambiance qui régnait dans la forge était étouffante. L'obscurité ambiante, à peine chassée par la fureur des flammes, se mélangeait subtilement à la température asphyxiante que peu aurait été capable de soutenir. Il s'agissait d'un univers particulier, dans lequel le claustrophobe n'oserait jamais mettre les pieds, mais il n'était pas assuré que le plus courageux des hommes soit apte, lui, à le défier. Seul un habitué pouvait se vanter de savoir dompter la pesanteur de l'atelier, comme le dresseur s'encensait de son habilité à apprivoiser un animal féroce. La forge était une bête se nourrissant de métal, dont les dents acérées pointaient, menaçantes, au dessus des têtes, alors que son estomac brulant feulait, réclamant davantage de matériaux.

Il était le seul à pouvoir entrer dans cette gueule d'acier et à en ressortir indemne. Jamais personne n'osait rompre la tranquillité dans laquelle se déroulait son travail, un art dans lequel il se complaisait, qu'il perpétuait dans un silence solennel un respect presque-

Subitement, la porte de la forge s'ouvrit dans un vacarme retentissant, engloutissant la mélodie des lieux et la sérénité de l'homme.

Le regard noirci par la colère, celui-ci releva furieusement la tête, crachant d'une voix grave qui fit vibrer les murs :

-Tu sais que j'ai horreur d'être interrompu. J'espère pour toi que c'est urgeant.

Le nouvel arrivant, un homme de petite taille au crâne rasé, n'eut pas l'ombre d'une réaction à l'entente de la menace. Ses yeux continuaient à fixer isolement l'immense silhouette qui se dressait au milieu des objets en métal, la défiant de faire quoi que ce soit.

-Je passais simplement pour te prévenir que ton client, un chevalier ayant fait le déplacement depuis la capitale, attend dehors depuis plusieurs minutes, répondit-il d'une voix monotone.

Le forgeron laissa tomber ses outils dans un "tinc" sonore, s'essuyant les mains à son tablier. De là où il se trouvait, l'inopportun élément perturbateur pouvait distinguer les veines qui parcouraient les bras du géant. Elles étaient pareilles à des racines s'enroulant autour d'un tronc, proéminentes, soulevant la chair, s'éparpillant jusqu'à former un réseau de dentelle. Ainsi plongé dans la pénombre, le propriétaire des lieux apparaissait plus impressionnant qu'il ne l'était déjà d'ordinaire.

𝐹𝑎𝑖𝑟𝑦 𝑇𝑎𝑙𝑒𝑠  │ ᶜᴴᴬᴺᴮᴬᴱᴷOù les histoires vivent. Découvrez maintenant