5- Tourbillon de poussière (M)

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La nuit, écourtée par l'alcool et les confidences au coin du feu, empiéta sur l'aube blanchâtre. Treize heures sonnèrent lorsque Antoine émergea du pays des songes. Entassés au pied d'une cheminée fumante sur des matelas de fortune, ils avaient transformé le vaste salon en dortoir désordonné. Une vingtaine de sacs et valises éventrés gisaient sur les pierres froides, deux bouteilles de whisky se battaient en duel dans un coin éloigné tandis que quatre paquets d'haribo jonchaient le peu d'espace libre.

    Roulées en boule dans leurs duvets, Jade, Natacha et Mary formaient un cercle parfait, tête décoiffée au centre. A leur gauche, Robin ronflait d'un son grave, à peine audible, le bras enserrant son oreiller difforme. Au pied de l'âtre, Lucie, Bastien puis Antoine formaient une ligne désireuse de glaner les quelques fragments de chaleur qui émanaient encore des braises rougeoyantes. Un sourire furtif éclaira le visage comateux du garçon alors qu'un projet se dessinait dans son esprit. Aussi silencieux que les pas d'un loup dans la neige, il se redressa avec application et étendit son bras par dessus le corps inanimé de Bastien. D'un coup bien appliqué, il administra à Lucie une tape sur la nuque avant de replonger dans un sommeil factice.

    Tirée de son rêve, la jeune fille grogna. Elle souleva la paupière et jeta un regard perdu autour d'elle. Ses iris vertes s'arrêtèrent sur son voisin, et de son esprit embué jaillit la certitude de son forfait. D'un formidable revers de main, elle souffleta son front innocent.

-Ça va pas! S'écria-t-il en se redressant.

    Il massa sa peau endoloris tout en cherchant l'auteur de cette agression d'un coup d'oeil circonspect.

- T'es gonflé, je trouve, railla Lucie en reculant prudemment. Ça te dérangeais pas tant que ça, tout à l'heure.

    Bastien posa sur elle ses prunelles teintées d'incompréhension,.

"- Tu dérailles complètement, ma pauvre.

- C'est ça oui. Et je déraille aussi si je te dis que t'es un hypocrite?

- Moi? S'insurgea-t-il, Un hypocrite?

    Le jeune homme perdait patience, et son incompréhension se doublait d'une furieuse lassitude.

- Qu'est ce qu'il se passe encore? Marmonna Jade que les cris avaient réveillée.

    Ignorant sa remarque, Lucie renchérit:

- Parfaitement, un hypocrite doublé d'un lâche.

- Répète ça pour voir!

    Natacha et Mary se redressèrent à leur tours, les traits tirés.

- Dès le matin! Railla-t-elle. Vous ne perdez pas une minute, vous.

- Taisez-vous! Y en a qui dorment! beugla Robin en se retournant sur le côté droit.

- Parfaitement, un lâche, répéta Lucie. Tu n'assumes même pas de m'avoir frappé alors que je dormais, tout a l'heure.

- Mais je n'ai rien fait! Se défendit Bastien, les mains en l'air en signe de reddition. Je te jure que je dormais tranquillement jusqu'à ce que, toi, tu me frappes.

    Un horrible doute envahit Lucie. Ses prunelles vertes convergèrent vers Antoine, le seul des huit compagnons qui dormait paisiblement, un petit sourire satisfait accroché aux lèvres. D'un geste silencieux, elle le désigna de l'index. Bastien hocha la tête d'un air entendu.

    Sans le moindre bruit, il saisit le verre d'eau à sa droite, le porta au visage du vicieux, et le vida d'une traite. Antoine poussa un cri de surprise et se redressa, le visage ruisselant.

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