Chapitre Cinq

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               La capitale était habillée de multiples couleurs et animée d'une joie intense. Le peuple était sorti fêter la fin de la guerre et accueillir les héros. Chaque maison était décorée de fleurs et de rubans colorés, sur chaque porte pendait une branche de cerisier dont les bourgeons commençaient à s'ouvrir, à chaque fenêtre brûlaient de l'encens et chaque homme, chaque femme, chaque enfant s'étaient rendus dans les rues, habillé de leurs plus beaux vêtements pour voir le cortège de guerriers passer. En les attendant, des musiciens jouaient le long des rues, des danseurs et des danseuses faisaient étalages de leur talent, des acrobates sautillaient et tournoyaient en crachant du feu, des dompteurs baladaient leurs animaux sauvages et faisaient claquer leur fouet, et les enfants se rassemblaient pour réciter des chants de victoire. On avait, pour l'occasion, sorti les riches harnachements aux parures chatoyantes des chevaux et tous les chiens portaient sur eux des colliers à grelots que la plupart s'amusaient à faire teinter. Tout ceci était accompagné de joie, de gaieté et d'une impatiente certaine. On buvait au milieu de la rue, on criait, on chantonnait. C'était leur des rencontres et des réconciliassions. Ce soir-là, pas de place à la tristesse et la mauvaise humeur. Les hanaatos étaient sorties pour l'occasion, habillées de leurs plus beaux kimonos et n'hésitez pas à faire quelques publicités pour la maison Token. Elles furent une attraction très importante dans la journée lorsqu'elles défilèrent aux milieux du peuple en dansant et jouant de leurs instruments traditionnels. On les applaudit fortement à leur passage, leur jetant quelques fleurs, sans pour autant vider les stocks. Elles faisaient la fierté de la capitale et on les invita à se rendre à l'entrée du palais pour accueillir le cortège impérial.


Le soleil déclinait à l'horizon, au-dessus des toits courbés des maisons quand la première partie de l'armée arriva à l'entrée de la capitale. Le bruit de leur arrivée alla plus vite que le cortège lui-même, excitant les habitants. Mais on apprit vite que l'empereur et le général ne faisaient pas parti de celui-ci et qu'il faudrait attendre encore un peu. Malgré cela, on accueillit avec enthousiasme les valeureux soldats. Il y eut des cris de joies, des pleurs, de joie aussi, des acclamations, des remerciements. Lorsqu'elle fut passée, un léger silence s'installa durant une trentaine de minutes durant lequel le peuple espéra voir le second cortège arriver. Cependant, il fallut attendre que la nuit soit entièrement tombée pour que les hommes les plus attendus n'apparaissent.
A la tête du cortège, l'empereur lui-même sur son étalon blanc richement harnaché arriva en triomphe. La lance à la main, les larmes aux yeux, il salua son peuple dignement et fièrement. Il fut suivi par Kibitaki Suisen assit dans une carriole dont le toit était ouvert et la banquette richement décorée. Au côté de Batosai se tenait sur son étalon noir, Sunare, autre figure très attendue de la soirée, à laquelle de nombreuses femmes jetèrent des bouquets de fleurs blanches. Il salua de la main ceux qui acclamait son nom et se penchait sur son cheval chaque fois qu'une femme inclinait la tête vers lui. Certains dirent que ce soir-là, il fut plus applaudi que l'empereur lui-même. Derrière le général se tenait sur sa pommelée, Kobayashi, silencieux comme à son habitude et gardant un œil sur ses troupes et sur la foule. Et enfin, une cinquantaine de cavaliers derrière le cortège impérial qui recevait autant d'acclamation qu'ils ne le méritaient.
La joie du peuple retomba quelques minutes à la constatation du manque de Jinsei, la femme de l'empereur. Ne souhaitant pas gâcher la fête et la joie, Batosai mentit à son peuple et précisa que sa femme arriverait plus tard. Ils traversèrent les premiers quartiers, les plus populaires, lorsque Suisen s'éclipsa du cortège.
L'armée se trouvait désormais dans les quartiers moyens, remarquables par leurs chemins non boueux et leurs parterres de fleurs entretenus. Une fillette s'approcha du destrier du général et tendit les deux mains haut au-dessus de sa tête. Intrigué, Sunare ralentit le pas de son étalon et lâcha les rênes pour attraper ce qu'elle lui tendait. Il recueillit ainsi une poignée de pétales de fleurs qu'il lança par-dessus sa tête en un arc de cercle. La blancheur des pétales fut illuminée par les milliers de bougies installées le long de la rue, tenues par les passants ou installés sur le bord des fenêtres. A la vue du spectacle, des étoiles brillèrent dans les yeux de la jeune fille, réchauffant le cœur du général et lui rappelant ses propres enfants. Il reprit sa place très vite, mais jeta un rapide coup d'œil derrière lui. La petite semblait perdue dans un doux rêve.
Ils cheminèrent au milieu de la foule, recevant autant d'acclamations que de gens présents. Puis le cortège atteignit le quartier militaire où ne se tenaient plus que de vieux ou de très jeunes hommes. Les uns à côtés des autres dans une organisation parfaite, ils levèrent leurs katanas à l'approche des guerriers. La discipline finit par disparaître quand cinq jeunes apprentis, pas plus vieux que son propre fils, se jetèrent au pied de la monture de Sunare et crièrent à l'unisson :
-Général Sunare, vous êtes notre héro ! Notre champion ! Notre model ! Notre idole !
-Je veux vous ressembler ! déclara l'un deux en plantant son regard brillant dans les yeux du général.
-Prenez-nous comme élèves, osa un autre. Vous êtes un être exceptionnel !
Un vieil homme en kimono de combat, le dos courbé et les mains tordues, brandit son bâton vers les cinq jeunes et les menaça avec.
-Laissez le général Sunare tranquille, bande de vauriens ! Vous n'avez pas honte de vous abaisser à une telle calomnie ! Ayez plus de respects pour vos supérieurs ! Cela vous vaudra une punition de rang deux !
Le vieil homme se tourna vers le général et baissa la tête en signe de pardon.
-Excusez-les de leur indiscipline, Général.
-Ne vous en faites pas.
Sunare n'eut pas le temps d'ajouter quoi que ce soit, le convoi était déjà trop éloigné du groupe. Mais en jetant un coup d'œil en arrière, il vit que le vieil homme frapper à tour de rôle, les cinq jeunes. Cette scène lui rappelait beaucoup de souvenirs qu'il écarta pour savourer le moment présent. Surtout que son regard tomba sur une étrange personne parmi les élèves. Sa silhouette fine et son visage poupin ne pouvaient tromper du genre de cette élève. Sunare contempla longuement la jeune femme, provoquant une gêne considérable entre eux. Cela ne surprit pas plus que cela le général, qui avait combattu aux côtés de l'impératrice, mais il sentit une bouffée de fierté en voyant qu'une jeune femme avait été acceptée à l'école militaire de la capitale, école prestigieuse que le général avait lui-même fréquenté durant sa jeunesse. Il détacha son regard de la future guerrière. Il reçut encore plus d'applaudissement et de félicitations dans ce quartier que dans les précédents. Il se promit de faire un tour dans les classes militaires, saluer les prochains guerriers qui protégeraient l'empire et leur donner le courage de se battre jusqu'au bout. Il poursuivit son chemin, fière de lui et de son armée.
La ligne de cavaliers arriva devant le sanctuaire de la capitale. Malgré le fait que le pays n'était pas aussi attaché à la religion que certains de ses voisins, l'empereur et ses troupes furent accueillis par tous les prêtres du pays arrivés à la capitale pour l'occasion. Ils étaient alignés les uns à côtés des autres et tenaient chacun deux bougies illuminant la sombre nuit. Au passage de l'empereur, ils prononcèrent différents sutras en son honneur, cherchant à bénir l'homme et ses troupes et à éloigner les mauvais esprits qu'ils auraient pu ramener avec la guerre.


Après le quartier religieux, le cortège pénétra dans le dernier, celui réservé à la noblesse. Les chevaux, épuisés autant physiquement que mentalement, commencèrent à s'exciter à l'approche des écuries impériales et le confort qu'elles leurs réservaient. Les hommes aussi souhaitaient mettre pied à terre, leurs fessiers endolories par les heures de montes. Pour autant, ils acceptèrent avec le même entrain que pour le peuple pauvre, les acclamations et les félicitations des nobles. Ajouté à cela, la présence des hanaatos, non loin de l'entrée de l'immense palais, qui dansaient et jouaient de la musique. Les doux sons bercèrent les oreilles des soldats, détendant tous leurs muscles comme par magie. Les danses ésotériques firent oublier pendant quelques temps les visions d'horreur que les soldats avaient vu sur le champ de bataille et l'empereur se promit de remercier personnellement le soutien incroyable que ces artistes procurèrent aux soldats ce soir-là.
Arrivée à l'écurie, ils se séparèrent et laissèrent leurs chevaux aux bons soins des palefreniers. Exténués, ils se rendirent dans les tentes aménagées à l'occasion pour prendre un délicieux repas bien mérités avant de s'effondrer dans leurs couches prévues à cet effet. Les guerriers de la capitale partirent dans les locaux de la caserne, retrouvant leurs chambres attitrées. Ceux qui avaient des familles sur place eurent la chance de pouvoir les rejoindre et de profiter de leur présence. L'empereur se rendit dans ses quartier, pressé de revoir les siens et de se détendre. Enfin, le général eut le droit à une chambre personnelle dans une aile du palais, ainsi que des serviteurs pour l'occasion. Kobayashi, quant à lui, resta auprès de ses soldats.
L'empereur Batosai entra dans le palais et se dirigea immédiatement dans une petite salle rouge et chaleureuse d'un pas lourd et le visage marqué par la fatigue. Deux servantes habillées de sublimes kimonos l'aidèrent à retirer son armure rutilante et trempée de sueur. Libéré de son poids, l'empereur fut soulagé et étira tous les muscles de son corps. Il n'eut pas le temps de savourer plus longtemps cette libération qu'il fut rejoint dans la salle au mur rouge par ses deux enfants.
-Père ! s'exclama le jeune homme d'une vingtaine d'années. Que c'est bon de vous revoir !
Kaoru était un homme grand et svelte. Son regard était profond et brillait de bienveillance envers son père. Vêtu d'un Hakama boueux qui ne lui donnait pas l'air de l'héritier légitime du trône impérial, l'homme passa sa main dans ses cheveux emmêlés puis il s'avança jusqu'à l'empereur et le prit dans ses bras. Lorsqu'il se recula, il regarda ses vêtements sales et annonça ironiquement :
-Je ne pouvais vous accueillir dans une meilleure tenue, père. Pardonnez mon impolitesse, je m'entrainais à l'épée. On est venu m'annoncer votre arrivée il y a quelques minutes seulement.
Batosai sourit à son fils. Il ne portait lui-même pas de tenue resplendissante, juste sa culotte de cavalerie salie par le voyage et une odeur de cheval très marquée.
-Tu es le digne fils de ton père ! déclara-t-il en regardant sa propre tenue. Mais la nuit est déjà tombée depuis quelques heures, tu ne devrais pas t'entrainer si tard.
Kaoru avait tout d'un bon futur empereur. A la fois honorable et rusé, indulgent et ferme quand il le fallait, visionnaire et au courant des erreurs passées. Il était aussi bon guerrier et apprenait à se battre parmi les meilleurs professeurs du pays, eux-mêmes qui avaient entraînés Sunare de nombreuses années plus tôt, mais qui aujourd'hui étaient trop vieux pour participer à la guerre.
Le second enfant de l'empereur était l'ainée, une jeune femme d'une année plus âgée que son frère. Sa longue chevelure brune tombait jusqu'au bas de son dos et ses mouvements gracieux embellissaient son doux visage hérité de sa mère. Elle était belle, très belle. Dans la noblesse de Daine, on considérait que c'était la plus belle femme du monde après sa mère. Mais beaucoup de paysans pensaient que les nobles disaient cela pour plaire à l'empereur. Cependant, lorsque le peuple croisait son beau visage, peu de personne pouvait renier ces rumeurs. On la connaissait également pour sa tendresse et sa clémence. Bon nombre de hors-la-loi avaient gardé leurs têtes grâces aux pleures de la jeune femme.
De son pas fluide, Jikan s'approcha de son père et se courba élégamment devant lui. Inhabituellement, elle n'arborait pas son sublime sourire qui illuminait ses yeux.
-Bon retour parmi nous, père, dit-elle de sa sublime voix.
L'empereur fit un pas vers elle et posa sa main sous le menton de sa fille dont le regard était tourné vers le sol. Bien que l'empereur aimât plus que tout son fils Kaoru, il montrait de la bienveillance envers sa fille ainée.
-Quelque chose ne va pas, Jikan ? demanda-t-il paternellement.
La jeune femme leva doucement son regard vers l'empereur et permit ainsi à Batosai de lire la tristesse qui brillait dans ses yeux.
-Je sais que je devrais être heureuse de vous revoir, père. Mais c'est seul que vous revenez. Ma tristesse ne peut être entièrement effacée par votre présence. Veuillez me pardonner, père.
Sur ses joues coulaient à présent quelques larmes. Gênée, Jikan baissa les yeux et fuit le regard de l'empereur.
-Je comprends ta tristesse, ma fille, et je ne peux t'interdire de pleurer le temps de ton deuil.
-Merci père.
La jeune fille se retourna et se dirigea vers la sortie de la pièce rouge avant qu'elle ne fonde en larme devant l'empereur. Bien que son père soit bienveillant envers elle, c'était de sa mère qu'elle était la plus proche. Depuis la naissance de Jikan, Jinsei avait refusé de laisser sa fille aux nourrices et elle s'occupait d'elle elle-même lorsqu'elle était au palais. Protectrice mais surtout compréhensive, Jinsei connaissait tous les secrets de sa fille et les acceptait. Cette perte, Jikan la vivait terriblement mal depuis que son frère Kaoru avait reçu la lettre de l'empereur annonçant la mort de leur chère mère.
Kaoru n'était pas un mauvais frère. Bien qu'il passe cette épreuve assez facilement, il fut là pour sa sœur lorsque celle-ci ne cessait de pleurer. Mais la jeune femme avait perdu sa mère et sa confidente, rôle que l'héritier du trône ne pouvait combler, lui comme aucune autre personne. Elle se sentait livrée à elle-même dans ce monde cruel, à la merci de tous et très seule.
Dans sa fuite, elle croisa Suisen à qui elle ne dit un mot. Depuis l'arrivée de l'étrange homme à la cour, quelques années auparavant, elle ne s'était jamais approchée de cette personne, sur les conseils de sa mère. Jinsei ne savait rien de lui, ni son origine, ni ses motivations, et se méfiait de lui depuis qu'il avait gagné les faveurs de l'empereur. Parfois, elle confiait à sa fille ses soupçons sur le genre de Suisen et redoutait que cette personne ne soit pas le conseillé de Batosai, mais sa future concubine. Jinsei ne venait pas de Daine même, mais d'un autre pays dirigé par l'empereur. Chez elle, on coupait les oreilles des hommes et des femmes, seigneurs ou non, qui commettaient des adultères. S'ils recommençaient, on leurs coupait le nez, puis la langue et enfin, on leurs crevaient les yeux. Elevée avec cette idée en tête, l'impératrice espérait que son mari ne la trompe jamais. Cependant, elle savait que cette culture n'était pas celle de son mari et elle ne pouvait que prier pour qu'il ne la trompe jamais.
Jikan connaissait donc peu Suisen, mais elle se méfiait de lui comme sa mère le lui avait conseillé. Elle fuit son regard et disparut dans le fond du couloir, sur le point de fondre en larme.  Kibitaki Suisen pénétra à son tour dans la salle rouge. A l'arrivée des troupes à la capitale, il s'était éclipsé et avait rejoint son pavillon dans lequel il avait pris un long bain et avait enfilé des vêtements propres. Il se positionna devant l'empereur et le salua poliment puis fit de même avec le fils héritier. -Mon seigneur, je pense que votre bain est prêt, annonça Suisen. Vous méritez un peu de repos. -Et comment cela se fait-il que ce soit vous et non une servante qui me l'annonce ? grinça Batosai. -Je pense les avoir devancés, mon seigneur. Batosai fit un signe de tête. Il commençait à s'avancer vers la sortie de la salle rouge quand Kaoru retint soudainement l'empereur par l'épaule. -Père, fit-il avant de se figer et de détourner le regard. Dites-moi comment mère a perdu la vie, je vous en prie, supplia le jeune homme. J'ai besoin de savoir, je n'en dors plus la nuit ! L'empereur se stoppa et regarda longuement son fils. Devait-il lui dire la vérité ? Devait-il lui mentir ? Batosai ne le savait. -Elle est morte sur le champ de bataille, en héroïne, mon fils, en grande guerrière. Elle ne pouvait espérer mort plus honorable. Soyons fière d'elle, Kaoru. Nous commémorons sa mémoire lors d'une très grande cérémonie en son nom. Une cérémonie qui marquera également la naissance de l'empire Reiyo dont tu seras le deuxième empereur. Le père envoya un lumineux sourire à son fils avant de disparaître à son tour dans le couloir, Suisen sur ses pas. L'empereur et son conseillé se dirigeaient vers la salle des bains, Batosai quelques pas en avant. Les couloirs prodiguèrent une sensation de confort à l'empereur. Comme cajolé par les murs de son palais, il se sentit chez lui, serein et apaisé après ces six derniers mois. Loin d'une quelconque menace, il sentit tous ses muscles relâcher la pression et son esprit de vider des ondes négatives qu'il avait accumulées. Cependant, la sensation n'était pas entièrement parfaite. Quelques nœuds subsistaient dans son esprit. -Suisen, vous qui êtes rentrés quelques heures plus tôt au palais, vous avez peut-être déjà vu ma fille ? -Je l'ai croisé avant de venir vous voir, mon seigneur. Y-a-t 'il un problème avec elle ? Batosai soupira longuement, le regard plongé sur ses pas lourds. Son visage était sombre et cela inquiéta Suisen. -On m'avait dit par lettre qu'elle ne supportait pas la perte de sa mère et j'ai pu le constater ce soir. Son visage, toujours si souriant, toujours si brillant d'habitude, était noyé dans la tristesse. J'ai longtemps réfléchi à ce que je pouvais lui donner pour la consoler durant notre voyage, mais je n'ai pas trouvé. Lui offrir un nouveau kimono ? Une obi brodait d'or ? Une broche de diamant ? Est-ce vraiment de ça dont elle a besoin ? Ce n'est pas du matériel qui la consolera, je le sais. Je n'ai jamais été très proche d'elle. Mais quoi alors ? Suisen accéléra le pas, doubla l'empereur et se dressa devant lui. -Laissez-lui du temps. Je ne connais pas votre fille, mais je peux bien imaginer que cette perte ne cicatrisera pas en quelques jours. Il se stoppa dans ses dires et réfléchie un moment en tournant le regard dans tous les sens. -A-t-elle eu l'occasion de voir les festivités qui animent la capitale ? s'enquit le confident. -Non, elle ne sort que très peu du palais impérial. -Pourquoi ? -Pour sa sécurité, Suisen. C'est une jeune femme fragile. Dehors, elle serait à la merci du monde. Le conseillé sourit chaleureusement en reprenant la marche. -Quelle âge a-t-elle ? Plus de vingt ans, n'est-ce pas ? Ce n'est plus une enfant qui doit être protégée. Laissez-là se balader en ville ces prochains jours. Je peux vous assurer que cela lui donnera du baume au cœur dans cette épreuve douloureuse, surtout que les festivités vont probablement se poursuivre encore quelques jours.Le duo atteignit la salle des bains. Suisen sauta sur la porte et l'ouvrit pour laisser entrer l'empereur. L'intérieur, richement décoré, était envahi de vapeur d'eau, trahissant la chaleur du bain préparé spécialement pour l'empereur. Deux femmes s'approchèrent de lui et l'aidèrent à retirer le reste des vêtements sales qu'il portait. -Mais elle ne peut y aller seule ! -N'a-t-elle pas d'amies à la cour ? Elles pourraient y aller à plusieurs ! -Mais le peuple pourrait vouloir la ravir ! Elle est ma fille ! Suisen éclata de rire, ce qui fit froncer les sourcils de Batosai qui, complètement nu, pénétrait dans l'eau bouillante en grimaçant. -Mon seigneur, le peuple ne la connait pas. Ils se diront que ce n'est qu'une très belle jeune femme ! L'empereur réfléchie un moment. Puis il poussa un long soupir et annonça d'un sourire : -Je lui en parlerai demain. -Je suis sûr que vous faites le meilleur choix, mon seigneur. Batosai s'allongea dans l'eau, ne laissant que sa tête sortir ainsi qu'une infime partie de ses épaules musclées. L'immense bain dans lequel il se trouvait était un trou dans le sol et pour être à la même hauteur que son seigneur, Suisen s'allongea sur le ventre. Il appuya son menton sur ses mains, et posa ses coudes au sol. Battant l'air de ses deux jambes, il ressemblait à un enfant. -Ce n'est peut-être pas encore le moment, mon seigneur, mais, avez-vous réfléchie à votre future épouse ? s'enquit prudemment Suisen. Batosai sursauta dans son bain et se retourna brusquement vers son conseillé. -Je ne sais pas, répondit sincèrement l'empereur. Je pensais me pencher sur les prétendantes en rentrant au palais. Je ne voulais pas m'embêter avec ce sujet sur le chemin. Mais nous y sommes, nous sommes rentrés. L'homme contempla un moment le reflet de son visage dans l'eau. Il se perdit dans ses pensées, se remémorant les pour-parler de ses propres parents lorsque ceux-ci cherchaient à trouver l'épouse parfaite pour le futur empereur. Il se souvint de la première fois où il rencontra Jinsei, apeuré à l'idée de ne jamais réussir à l'aimer. Puis tout avait changé. Ses regards, ses douceurs, son souffle. Quelqu'un pouvait-il remplacer cette femme dans le cœur de l'empereur ? Il en doutait. -Les avez-vous étudiés ? -Quoi donc ? Demanda Suisen, lui aussi perdu dans ses pensées. -Mes prétendantes. -Oh ! Oui, certaines. -Et que me conseillez-vous ? Suisen rampa au sol pour s'approcher plus près de l'empereur. -Aucune n'arrive à la cheville de Jinsei en terme de combat. Malheureusement. Aucune n'est guerrière, alors imaginer qu'elles puissent rivaliser avec votre défunte épouse est inenvisageable. En revanche, j'ai ouïe dire que leur beauté était au moins équivalente à Jinsei, si ce n'est à Jikan. Des yeux de biche, des cheveux soyeux, des lèvres fines et délicates, des silhouettes gracieuses, tant de mots pour décrire leur beauté. -Et pour leur intelligence ? -On m'a venté certains talents pour la poésie, un amour pour la littérature ou la musique. D'autres semblent douées en science. Je pense à l'une d'entre elles qui est fille d'un brillant mathématicien ! Il me semble également que certaines savent diriger, des troupes ou des serviteurs. J'ai aussi retenu des femmes disciplinées et obéissantes, mais je ne pense pas que ce soit ce que vous recherchiez, n'est-ce pas? -Hum ... soupira Batosai. Je ne veux pas d'une copie parfaite de Jinsei. Je sais que je ne trouverai pas de femme comme elle ... mais poursuivez. -Si vous me le permettez, je pense que vos choix devraient se tourner vers votre pays conquis. Batosai se retourna dans le bain pour faire face à son confident. -Je ne vous apprends rien si je vous dis que la meilleure solution pour pacifier le pays conquis et ne plus être vu comme un envahisseur serait que vous vous liiez à leur sang, poursuivit Suisen. -Nous avions pensé faire épouser Kaoru à une descendante du roi vaincu. -Je le sais, mon seigneur, mais je pense que votre fils pourrait épouser quelqu'un d'autre. -Qui donc ? Suisen arbora un immense sourire. -Yuki. L'empereur fronça les sourcils d'incompréhension. -Toshirahe no Yuki. La fille de Sunare. Batosai s'approchait de plus en plus de son confident, sortant son corps de l'eau et prenant appui sur le sol. -N'est-elle pas déjà mariée ? Et pourquoi devrait-elle épouser mon fils ? Vous m'intriguez fortement, Suisen, parlez. -Non, mon seigneur, déclara-t-il, elle ne l'est pas encore. Mais, vous me demandez pourquoi ? Ne vous rendez-vous pas compte de la montée en puissance de Sunare? Il a toute l'armée sous ses ordres et vous ne pourriez rien faire contre lui s'il décidait de vous renverser. Je ne prétends pas que se sont ses intentions, mais il serait plus sage de l'envisager. -Qu'avez-vous contre Sunare, Suisen. Essayez-vous de me monter contre lui ? Vous n'arrêtez pas de me décrire mon général comme un homme qui me veut du mal et souhaite prendre ma place. -Mon seigneur, je vous en prie. Je n'ai rien contre lui, je fais tout ça pour votre sécurité. Pour vous, mon empereur. Il ne me viendrait pas à l'idée de vouloir conspirer contre quelqu'un s'il n'y a pas raison d'être. Batosai pesa les mots de son conseillé. Jamais encore il ne lui avait mentit. L'empereur savait également très bien que Sunare était un homme hautement puissant. Il avait d'ailleurs utilisé cette force lors de la guerre et la victoire de Daine reposait précisément sur cela. Cependant, l'empereur ne comprenait pas les motivations qui pourraient pousser son général à le renverser, si ce n'est l'appât du pouvoir. -Suisen. Si vous deviez me donner un conseil, demanda Batosai, un seul, à propos de Sunare, quel serait-il. Le confident sourit de toutes ses dents comme s'il attendait cette question depuis toujours. -Faites-en un gendre ou tuer le

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