Les collines fleuries du domaine Toshirahe se dessinaient petit à petit sous les yeux du général. Au loin, sur l'une d'entre elles se dressait l'immense demeure en bois, adjacente à un ruisseau, dans laquelle l'attendait sa famille. Plus de six mois après son départ pour la guerre, Sunare remettait enfin les pieds chez lui, soulagé et heureux de pouvoir reprendre une vie normale, mais nerveux de reprendre le domaine après tout ce temps. Il laissa son cheval accélérer sa marche jusqu'à trottiné, lui aussi pressé de rentrer à l'écurie.A son arrivée, il fut accueilli par les domestiques, les voisins et surtout, les siens. Accueilli par des acclamations, il descendit de cheval en voyant son fils courir vers lui. L'attrapant sur le chemin, il le souleva triomphalement. Il le posa et lui frotta énergiquement la tête. Tamiko avait les cheveux noirs de sa mère mais le regard guerrier de son père. Déjà habile à l'épée, il apprenait à tirer à l'arc et à monter à cheval pour prendre la succession de son père. Tamiko attrapa la manche de Sunare et tira dessus.-Père, tu es un héro on m'a dit !-Oui mon fils.Mais Sunare détournait déjà les yeux vers les deux jeunes filles arrivant. La première, la plus grande, arborait un splendide sourire sur son visage encadré par sa longue chevelure brune. La seconde à la chevelure rousse comme son père semblait se cacher derrière sa sœur. Le général n'y prêta pas attention et enlaça chaleureusement ses deux filles. L'aînée était une fille charmante et créative. Sa passion était la peinture et son amour pour son père se ressentait dans ses œuvres déjà reconnus à Toshirahe et même à la capitale. La rousse, bien que timide, sans doute à cause de cette couleur de cheveux remarquable qui fut difficile à porter, était remarquablement intelligente. Elle se passionnait pour les mathématiques et la stratégie guerrière, héritée de son père. Bien qu'elle soit une femme, Sunare envisageait de la faire intégrer l'armée pour qu'elle prenne sa succession dans son rôle de général.Sunare admira ses trois enfants, fière d'eux et de leurs talents. Mais il se détacha d'eux lorsque vint une troisième femme d'âge plus avancée, à la longue chevelure brune, élégamment habillée d'un kimono bleu turquoise aux dessins blancs. Son large sourire illuminant ses yeux et son air serein rassurèrent le général. D'un pas rapide, il combla le vide qui le séparait de Mizuo, sa femme. Lorsqu'il fut devant elle et sans prendre en compte les regards des autres, il prit la femme entre ses bras et enfouit son visage dans sa douce chevelure. Ils restèrent enlacé un moment avant de se séparer. Les yeux dans les yeux, Sunare admira le regard profond de Mizuo et le sourire qui les faisait briller.-Comment vas-tu, demanda le général.-Parfaitement bien depuis que tu es là.Sunare lui rendit son sourire.-Et le domaine, s'est-il passé des choses en mon absence ?-Malheureusement oui, mais nous pourrions en parler à l'intérieur.Le général approuva et se retourna vers ses soldats. Il constata que ses hommes attendaient des ordres et que les chevaux s'impatientaient, pressés d'être dessellés et nourris. Il devait aussi s'occuper d'affecter un travail et un toit à ses cinq prisonniers. Cependant, lorsqu'il s'apprêtait à se détacher de Mizuo et à donner ses ordres, Tamiko lui tira à nouveau sur la manche.-Père ! Laisse-les tomber ! Nous ne t'avons pas vu depuis tellement longtemps alors qu'eux ils t'ont côtoyé tout ce temps. Il faut que je te montre comment je montre comment je monte maintenant ! Tu serais fière de mes progrès !-C'est vrai, père, ajouta sa fille aînée. Nous aimerions pouvoir passer du temps avec vous ! Cela nous manque et nous avons eu tellement peur de vous perdre ! Vous savez, j'aimerai beaucoup peindre vos exploits, si vous acceptez de me les raconter.Sunare regarda ses enfants à tour de rôle et lorsqu'il tomba sur la jeune rousse, il la vit faire de petits signes approbateurs.-Et puis, vous devez être fatigué, reprit la plus âgée. Reposez-vous un peu, vous avez déjà fait beaucoup et vous le méritez amplement.Il était vrai que Sunare avait besoin de repos. Après ces longues journées de monte, il sentait ses jambes le tirailler et tous les muscles de son dos tendus. Il aspirait à un bain chaud et un bon repas. Il soupira face à la bienveillance de ses enfants et s'approcha de son bras droit.-Kobayashi, je peux te laisser t'occuper de superviser les soldats et le soin des chevaux ?Le colonel ne répondit pas de vive voix, mais Sunare savait ce que cela voulait dire. Il regarda son saborder exécuter les ordres et les soldats et les chevaux se rangèrent en ligne puis se mirent en marche vers la caserne et les écuries.Sunare de son côté, pénétra dans son immense demeure et fut accueilli par deux servantes qui lui annoncèrent qu'un bain l'attendait déjà. Souriant, il suivit les deux femmes jusqu'à la salle de bain, une petite pièce chaleureuse, illuminée uniquement par de grandes chandelles et commença à retirer son armure légère. Il découvrit sur son corps de nombreuses plaies et cicatrices causées durant cette guerre meurtrière. Il la savait derrière lui, mais il ne put s'empêcher de repenser aux horreurs qu'il avait vues. Assit devant le bac chaud, son sourire évanoui, il songea à tout ça en regardant l'eau limpide quand quelqu'un entra dans la pièce. D'un mouvement qui lui réveilla quelques douloureux muscles, il se retourna vers la porte et y découvrit Mizuo et son splendide sourire.-Ce n'est pas en restant devant le bain que ton odeur de crottin va partir, déclara-t-elle en s'approchant de son mari d'un pas fluide. Si tu as besoin d'aide, je peux t'en fournir.Sunare répondit par un large sourire. Mizuo tendit la main et l'emmena vers le bain. Devant le bac, le général se stoppa et regarda sa femme.-N'aurais-tu pas besoin de te laver toi aussi ? demanda-t-il en posant sa main sur l'épaule de sa compagne.-Tu insinues que je ne sens pas bon ? dit-elle avec un sourire narquois.-Pas du tout, tu sens même très bon.Alors que sa main glissait le long de l'épaule de Mizuo, emportant son kimono bleu avec elle, Sunare s'approcha de la femme et se pencha vers elle. Leurs lèvres se rapprochèrent petit à petit jusqu'à ce qu'elles se touchent et que les souffles se mêlent.-Tu m'as tant manqué, annonça Mizuo, mais je t'assure que tu sens le crottin de cheval.Ensemble, ils passèrent les pieds au-dessus des rebords du bac et entrèrent dans l'eau chaude. Mizuo attrapa d'une main l'éponge et commença à frotter le dos de son mari, se servant de l'autre main pour masser les nœuds de ses muscles. Sunare profita du moment, sentant son corps lâcher la pression et la fatigue lui tomber dessus. Après un moment, Mizuo cessa de le frotter et se contenta de masser ses épaules.-Quelles sont les nouvelles ? demanda Sunare malgré son envie de mettre les problèmes du domaine au placard.-Et bien, le plus important pour le moment c'est le mariage de Yuki. Ta fille ne souhaite pas épouser notre voisin. Elle a pourtant atteint l'âge du mariage et il va falloir qu'elle fasse un choix. Donc pour l'instant, nous attendons. Il y aussi le vol des moutons d'Etsukazo, l'entrepôt au Sud de la rivière Mô a pris feu il y a un peu plus d'un mois mais nous n'avons pas encore pu régler le problème. Il faudrait d'ailleurs revoir nos stocks. Heureusement que l'hiver est fini ! Hum, il y a aussi le problème des loups affamés de la forêt qui sortent souvent ces derniers jours, tu devrais t'en occuper assez rapidement ou ils vont prendre l'habitude de chasser sur nos terres. Je crois que les Eto ont encore eu des problèmes de pillage, mais ils n'ont pas voulu en parler.Sunare soupira.-Sait-on qui a volé les bêtes d'Etsukazo ?-Oui, les mêmes qui ont pillé les Eto.Le général soupira à nouveau.-J'enverrai Kobayashi ramener la tête de leur chef. Je n'en peux plus d'eux, ils n'ont pas compris mes avertissements et profitent de mon absence pour recommencer leurs méfaits. Il est temps que cela cesse et que je montre que c'est moi qui dirige ici.-Tu es sûr qu'il faut être si dur ? demanda-t-elle.-J'ai déjà donné de ma clémence pendant cette guerre, ma douce. Oh, écoute, je n'ai pas envie de parler de ces problèmes. Dis-moi plutôt pourquoi Yuki ne veut pas épouser nos voisins.-Et bien, elle dit ne pas vouloir diriger un domaine au côté de son mari, mais je pense surtout qu'elle ne supporte pas son promis et qu'elle est amoureuse d'un petit peintre de la ville.-Elle est encore jeune, on peut la laisser folâtrer quelques années.-Non Sunare, elle...Le général se retourna dans le bain et posa son doigt sur les douces lèvres de Mizuo.-Laissons-lui le choix comme nous l'avons eu, toi et moi, murmura-t-il.-Ce n'est pas une bonne idée. Elle doit être une femme, pas une fille qui n'en fait qu'à sa tête en fuyant son devoir chez le premier venu.-Non, cela n'a pas d'importance, je veux juste qu'elle soit heureuse. Si elle souhaite vivre avec son peintre, je ne lui interdirais pas. Elle n'a pas besoin de jouer aux « femmes » et n'a aucun devoir à rendre. Laisse-la vivre sa vie, elle est jeune. Bon, si tu veux, nous en parlerons avec elle. Comment se portent Tamiko et Uta ?-Ton fils s'est améliorer dans la monte, même s'il n'est pas sérieux pendant ses cours et qu'il a tendance à s'écarter de la piste pour imiter une scène de bataille. Il est aussi très dissipé pendant ses cours de tir et même parfois à sécher les cours ou à insulter son maître d'arme. Ça lui vaut d'ailleurs de ne toujours pas savoir manier convenablement un arc. Il a de grosses lacunes là-dedans car son maître n'arrive pas à le tenir en place contrairement aux autres disciplines. J'ai beau lui dire qu'un guerrier doit savoir manier l'épée comme l'arc et qu'il doit être un peu plus sérieux s'il veut devenir aussi fort que toi, il continue de dire que son vieux bougre de maître n'a rien d'un guerrier, qu'il n'apprendra rien de lui à part savoir faire la différence entre le tir à l'arc à pied ou à cheval et qu'il a besoin d'un vrai héro pour cet apprentissage.-Je lui en toucherais un mot.-Quant à ta deuxième fille, c'est d'elle que tu devrais être le plus fière ! Elle m'a aidé à contrôler le domaine durant ton absence et a fait de très bons choix qui lui ont d'ailleurs valu une reconnaissance de la part du peuple. Elle s'est également rendue à la capitale pour passer des tests en mathématiques et en astronomie terminés haut-la-main. C'est une fille brillante, intelligente et sérieuse!-Et elle aussi tu souhaites la marier ?Mizuo fronça les sourcils et pinça les lèvres.-Ce n'est pas un jeu Sunare, nous devons donner un bel avenir à nos enfants ! cingla la femme.-C'est ce que j'ai fait en faisait la guerre à nos ennemis. Je leur ai donné un avenir exempte de danger et c'est ça le plus important. Allez, je vais m'occuper de régler les problèmes du domaine. Le devoir m'appelle.Mizuo afficha son plus beau sourire.-Pense à te reposer entre deux.-Promis, fit Sunare avant de sortir du bain et de se sécher. Lorsqu'il fut sorti de la salle de bain, il chercha son bras droit et on le dirigea vers l'écurie où il le trouva en train de s'occuper de sa jument grise. L'homme portait toujours son armure de voyage et ses cheveux emmêlés étaient négligemment attachés en une queue de cheval. En voyant arrivé son supérieur, Kobayashi sortit du box, posa sa brosse et se posta face à Sunare. -Tout est en ordre ? Il répondit par un signe de tête. Sunare avait l'habitude du silence de son colonel et comprenait parfois mieux ses gestes que ses mots. -Comment se portent les troupes. -Plutôt bien, en général, répondit évasivement Kobayashi. -Je vois, tant mieux. En réalité, je ne suis pas vraiment là pour ça. J'ai une mission à te confier. Je veux la tête du chef des bandits qui ont pillé le domaine l'hiver précédent. J'en ai assez d'eux alors pas de demi-mesure, tu t'y rends dès que tu es prêt, tu lui coupes la tête et tu me la ramènes. Il est temps de remettre de l'ordre et pour cela je vais faire passer un message clair. Tu peux t'en charger ? Kobayashi approuva d'un nouveau signe de tête. Il s'apprêtait à se rendre à la sellerie prendre l'équipement pour sa jument quand il se retourna dans sa marche et fit de nouveau face à son supérieur. -Je me suis occupé de trouver un toit pour les prisonniers mais il faudra que vous leur affectiez un travail. Je me suis permis aussi de regarder leur profil, j'ai tout noté sur un carnet que la dame vous remettra. Il y en a un qui n'est pas plus âgé que vos filles. -Ah, oui, les prisonniers, je les avais oubliés. Bien, tu es efficace. Je vais m'en charger immédiatement. Le colonel reprit sa marche jusqu'à la sellerie et disparu dans la pièce. Sunare se retourna et sortit de l'écurie mais au moment où il posait le pied dehors, il surprit un intrus au coin de la porte. Le général le regarda fixement et leva les sourcils, puis, soudainement, il lui courut après dans l'espoir de l'attraper. Le garçon tenta de fuir, mais il n'avait aucune chance face à Sunare. L'homme le prit par les épaules et le souleva devant lui. -Alors comme ça on écoute aux portes petit garnement ! déclara Sunare, un large sourire aux lèvres. -Ce n'est même pas vrai ! répliqua Tamiko en roulant des yeux. Je ne faisais que passer ! Le général posa son fils qui regarda d'un air inquiet le colonel préparer sa jument. -Il part tout seul ? demanda-t-il de sa voix d'enfant. Ce n'est pas un peu dangereux ? Si les bandits le capturent, ils lui feront la peau. Sunare sourit allègrement. -Ne t'en fais pas pour lui, il saura remplir cette mission sans aucun souci. Il reviendra même sans une seule égratignure. Ces bandits n'ont jamais fait la guerre, ils ne s'attaquent qu'aux plus faibles alors que Kobayashi est un excellent guerrier. -Vraiment ? Tout seul ? Combien sont les bandits ? Une dizaine ! Je veux devenir comme lui alors ! s'exclama Tamiko. Pouvoir mettre une déroute à une bande de pilleurs sans valeur à moi tout seul ! Quel prestige ce serait ! -Tu fais bien de le dire, petit garnement ! Kobayashi est le meilleur archer que je connaisse alors que toi ! -Ah mais ça ... Le garçon baissa les yeux et recula de quelques pas. -Pardonnez-moi père, mais le professeur est ennuyant ! Il passe son temps à me poser des questions sur les différents types d'arc, sur le nom de telle ou telle partie et pleins d'autres trucs barbants. Moi, je veux juste tirer des flèches ! Tamiko eut peur que son père lui crit dessus pour son mauvais comportement. Il ne valait mieux pas énerver Sunare car lorsqu'il élevait la voix, il faisait trembler les murs, et ça, l'enfant le savait parfaitement, il l'avait déjà expérimenté. -Et bien alors je demanderais à Kobayashi de t'apprendre à tirer à l'arc. Le cœur tambourinant dans sa poitrine, Tamiko ne comprit pas immédiatement ce que son père venait de lui dire. Mais très vite, l'euphorie le prit et il sauta dans les bras du général et manqua de peu de fondre en larme. -Merci père, merci ! Je ne te décevrais pas ! Tu verras je deviendrais le meilleur archer que tu es vu ! Et le meilleur cavalier ! Et le meilleur guerrier ! -ça j'en suis sûr. Mais par contre, je ne sais pas si Kobayashi sera très clément si tu n'es pas sérieux. Ce fut à ce moment même que le colonel sortait de l'écurie sur sa jument grise, l'arc attaché dans son dos, le carquois remplit et son katana à la ceinture. Il regarda d'un air interrogateur Sunare à l'entente de son nom. -Nous en reparlerons plus tard, déclara le général. Combien de temps te faut-il ? Trois jours ? Kobayashi approuva de son éternel signe de tête puis il talonna sa jument, l'emmenant au trot jusqu'à la sortie. Sunare s'apprêtait à se rendre là où les prisonniers se trouvaient quand son fils l'interpella. -Tu as capturé des ennemis, père ? Que vont-ils devenir ? -Je les enverrai probablement au champ pour aider à labourer et semer, ou aider à la reconstruction de l'entrepôt dans un premier temps. Puis nous verrons plus tard. -J'ai entendu dire qu'il y avait un enfant parmi eux, quelqu'un de quelques années mon ainé. Que comptes-tu faire de lui ? -Je ne sais pas, mais on se doit d'être prudent avec des prisonniers. Au moindre faux pas, ils vous égorgent ou vous étranglent. -Sois clément envers lui, père. S'il te plait. Cet enfant, ça pourrait être moi et si ça tombe, il a perdu ses parents et c'est pour ça qu'il s'est retrouvé chez des bandits. Sunare posa sa main sur les cheveux de son fils et frotta sa tête. -Tu as bon cœur, Tamiko, c'est une qualité que peu d'homme ont. Ne l'oublie jamais. Garde-la toujours là. Pour accompagner ses dires, le roux posa son doigt sur la poitrine de l'enfant et tâtonna au-dessus du cœur. -Mais reste prudent, reprit le général. Toujours sur tes gardes. Car on pense souvent que ce sont les plus gentils les cibles les plus faciles à atteindre. Et c'est souvent vrai. -Je tacherai d'être prudent quand je prendrai ta place, père. Sunare répondit à son fils par un sourire. Puis il quitta l'écurie pour remplir la tâche qui lui incombait en sauvant ces cinq âmes. Et ce ne fut non sans une certaine appréhension qu'il se dirigea vers l'habitation dans laquelle les avait laissés Kobayashi. Il pénétra dans la maison, fut accueilli par la dame qui s'occupait actuellement des cinq hommes, et récupéra le carnet de son bras-droit dans les mains. -Les prisonniers sont dans la pièce à côté, annonça la femme avant de prendre congé. Sunare s'avança suffisamment pour apercevoir les cinq hommes. Non visible par eux, il s'assit sur un banc et ouvrit le carnet. L'écriture semblait bâclée, avec de nombreuses ratures, parfois illisible et un peu bancale, mais il n'y avait pas une seule faute. « On va supposer qu'il écrit aussi souvent qu'il ne parle » pensa le général. Après avoir décrypté les premières lignes, il posa son regard sur le concerné. Ikara était un ancien soldat, vétéran de guerre, qui avait déserté l'armée et rejoint les bandits car il n'avait plus rien. Son corps fin et musclé trahissait son passé et son visage, rasé de près, montré qu'il avait vécu plus d'une guerre. Ses cheveux ramenés en chignons allaient être coupé pour marquer sa défaite face aux troupes de Sunare. Selon les notes de Kobayashi, l'homme avait gardé toutes ses capacités malgré sa cécité partielle et il semblait le plus rassuré des cinq quant à son avenir. Sunare supposa que l'homme avait été très coopératif lorsque Kobayashi avait pris ces notes car c'était celui qui avait le plus de détails dans sa fiche. Le suivant n'avait pas de nom noté sur le carnet. Son regard coléreux et ses sourcils froncés montraient la haine qu'il éprouvait en ce moment même. Sa longue barbe bien fourni ainsi que son imposante tignasse grasse et emmêlée avaient permis à Kobayashi de deviner son origine : l'homme était un Yamake, un peuple de montagnard appartenant à l'empire, mais de nature rebelle. Peuple massacré quelques dizaines d'années plutôt, Sunare ne s'étonna pas de constater cette haine intense qui brillait dans le regard de l'homme. Le troisième prisonnier, sans doute appelé Satoshi, mais dont le nom avait été barré plusieurs fois, était lui aussi un ancien soldat. Il portait le chignon, coiffure militaire caractéristique du pays envahi par Daine, et possédait une fine moustache lui tombant de chaque côté de la bouche. Le quatrième était le plus vieux de tous. Sa chevelure poivre et sel encadrait son visage marqué par le temps. Le dos courbé, il semblait être un ancien paysan ayant travaillé dans les champs de riz toute sa vie et les notes approuvaient cette idée. Kobayashi avait laissé un amusant message sur son carnet « Cause beaucoup trop » et avait laissé en suspens ses notes. Enfin, l'enfant ne faisait définitivement pas son âge. Il était assez grand, possédant probablement la même taille que le général lui-même. Ses longs cheveux encadraient un visage ferme dénué de poil. Son intense regard montrait une haine dont Sunare ne sut trouver l'origine. Une haine profonde et probablement plus vieille qu'il ne le pensait. En cet instant, le général eut un pincement de cœur. Il se souvint des mots de son fils : « Cet enfant, ça pourrait être moi ». Il se retira du mur, s'approcha et se dévoila à lui, ainsi qu'au quatre autres hommes. -Comment t'appelles-tu ? demanda Sunare au jeune prisonnier. Le gamin leva les yeux vers le général. Son regard haineux sembler envoyer des éclairs vers le roux, mais le garçon ne répondit rien, ni insulte, ni injure. -Et ton âge, tu ne veux pas me le donner non plus ? -C'est Satoko et je sais même pas s'il vous comprend ! déclara le vieil homme après un long silence. Mais on s'en fiche, mon seigneur, on est vos prisonniers ! Nous on veut savoir ce qu'on va devenir ! L'homme avait un accent très prononcé, mais sa grammaire n'était pas mauvaise. -On veut savoir combien de fois on sera fouetté ! reprit-il en essayant de se lever malgré les liens. Et si vous comptez nous couper les mains ou les pieds. -Je ne vous ai pas fait prisonnier pour vous torturer, répliqua Sunare, mais pour remplacer les hommes morts au combat, dans les champs et les chantiers. De nombreuses femmes se retrouvent veuves et ne sont plus capables de subvenir aux besoins de leurs familles. En tant que prisonnier, vous les aiderez gratuitement.-Moi de mon temps, les prisonniers on les traitait pas aussi bien ! rétorqua le vieil homme. Quand je cultivais mes légumes, on en voyait passer des hordes ! -Faites-le taire ! cria le Yamake. Depuis qu'il voyage avec nous, il ne cesse jamais de jacasser ! Je n'en peux plus ! -Ils avaient plus qu'une jambe, qu'un œil, qu'une oreille, poursuivit le vieillard sans faire attention aux remarques de l'indigène des montagnes. Ils étaient martelés de partout et on leur donnait les pires corvées qui soient ! Ils ne survivaient pas longtemps, moi je vous le dis ! Mais bon, vous savez, je suis vieux, alors je m'en fiche de mourir. Même si ... je suis un peu triste pour ... -Ferme-la ! Hurla le Yamake. Le vieil homme s'apprêtait à rouvrir la bouche quand Sunare sortit brusquement son katana et menaça l'homme de la pointe de la lame. Intérieurement, le général pensa aux notes de Kobayashi.-Dis encore un mot et je te tranche la gorge, grinça Sunare agacé. Reprenons où nous nous étions arrêté. Satoko ne comprend pas notre langue donc. Quelqu'un peut-il traduire mes questions ?Ikara approuva.-Demandez-lui son âge.Le borne s'exécuta et rapporta la réponse.-Quatorze ans ... murmura le général.Les mots de Tamiko trottaient inlassablement dans sa tête et plus l'homme dévisageait l'enfant et plus de profonds souvenirs ressurgissaient. Il fut envahi de tristesse et de nostalgie sans pouvoir contrôler quoi que ce soit. « La fatigue me joue beaucoup de tours » songea-t-il en sentant le monde tanguer autour de lui. « Il pourrait être mon enfant ».-A-t-il une famille ? demanda Sunare.-Non, plus rien, répondit Ikara après avoir demandé à l'enfant.-Pas un père, pas une mère ? Même un frère ? Une tante ?Sunare s'était tourné vers Satoko. A chaque mot, le garçon faisait non de la tête, comme s'il comprenait ces quelques mots simples. Pour être sûr de sa réponse, Ikara préféra demander dans leurs langues, mais la réponse fut la même.-Sait-il se battre ?-Un peu, déclara Ikara.-Bien.Un long soupire fut poussé par le général. Le cœur serré, il s'apprêtait à rentrer pour murir les décisions à prendre concernant les prisonniers. Ayant déjà fait plusieurs pas et n'étant plus dans le champ de vision des cinq hommes, il se figea, le regard perdu au sol. La propriétaire s'approcha, quelques peu inquiète du comportement de l'homme et l'apostropha. Sunare soupira encore, puis il leva le regard vers la femme et déclara :-Faites sortir le garçon, lavez-le, qu'il soit présentable et amener le moi. Il sera mon écuyer personnel quatre jours par semaine. Les trois jours restants, on lui enseignera notre langue. Trouvez-lui un toit pour la nuit. Quant aux quatre autres, je n'ai pas encore décidé.Puis sans attendre de réponse, il quitta la maison.
![](https://img.wattpad.com/cover/182918437-288-k875733.jpg)
YOU ARE READING
Nameless Era
Fantasy(nom et couverture temporaires) Le royaume de Daine est en guerre contre ses voisins. L'empereur Batosai rentre victorieux, pleins de gloires et de pouvoirs, mais il a perdu sa femme dans la bataille. Il doit choisir une nouvelle promise, mais entre...