Chapitre Quatre

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                Cela faisait maintenant un mois et demi que Hokori avait vu le jour. Désormais, il avait la taille d'un enfant de trois ans. La journée était douce et la neige avait entièrement fondue, laissant l'herbe humide à l'air libre. Les rayons du soleil percèrent au-dessus de la canopée, illuminant enfin la clairière en cette matinée. On entendit un geai des chênes au loin, émettant son étrange chant. Il fut accompagné par le puissant chant d'un troglodyte perché sur la cabane qui ne semblait pas apprécier le corvidé. Les premiers insectes montraient le bout de leur mandibule et les escargots sortaient d'hibernation. Hokori admirait le paysage depuis la fenêtre de la cabane, attendant l'autorisation de Hen, son père, pour sortir. Il n'avait qu'une hâte : pouvoir jouer dehors. Posé sur l'appui de fenêtre, les mains sous son menton, il regardait les chenilles grimper le long des tiges des plantes grâce à ses grands yeux rouges.Soudainement, il entendit du bruit dans la chambre de Hen et se retourna brusquement. L'enfant se tenait sur le dossier du siège, en équilibre sur une seule jambe. Puis le chaman ouvrit sa porte et entra dans le salon. Il se stoppa net les yeux écarquillés, en voyant son enfant ainsi perché et s'apprêta à le gronder. Mais Hokori prit appui sur sa jambe et bondit en avant en un saut spectaculaire avant d'atterrir devant le siège sur ses deux jambes. Puis il leva les yeux vers Hen et le regarda tendrement.-Aaaaah, souffla le chaman, tu sais très bien que quand tu fais ça tu me fais très peur. Mais je vais devoir m'habituer, hein ?Hokori sourit de toutes ses dents puis couru jusqu'à la cheminé, attrapa une petite clochette et la fit teinter. On entendit du remue-ménage dans la chambre du chaman et quelques minutes plus tard, apparaissait à l'ouverture de la porte, le loup. Hokori secoua à nouveau la clochette et Yassi répondit au son en courant jusqu'à l'enfant. Le canidé se jeta sur le petit en le plaquant au sol et lécha son visage à de nombreuses reprises sous le regard tendre de Hen. Hokori attrapa les poils de la nuque de l'animal et se hissa sur le côté, fuyant les léchouilles du loup.Le chaman porta sa peau de loup sur ses épaules et empoigna sa gibecière. Il ouvrit la porte de la cabane et inspira l'air frais. Yassi profita de l'ouverture pour bondir dehors et courir jusqu'au mur de pierre. Il fut suivi par Hokori et ensemble, ils atteignirent la clôture au même moment. Bondissant à l'unisson, ils grimpèrent au-dessus du mur et jouèrent au funambule sous le regard protecteur et bienveillant du chaman.-Soyez prudents, annonça Hen comme chaque matin depuis la fonte des neiges, jour où il autorisa pour la première fois Hokori à sortir dehors. Pas de folie et vous ne sortez pas du jardin ! Je reviens vite.L'enfant s'assit sur le mur et posa ses deux mains dessus. Il répondit à son père par un large sourire illuminant ses grands yeux rouges et de brefs signes de tête. Puis, lui et Yassi suivirent du regard le chaman qui sortait du jardin et rejoignait la forêt. Dès lors où Hen ne fut plus visible, les deux amis sautèrent du mur et pénétrèrent à leur tour dans la forêt. Les deux amis jouèrent un moment à se poursuivre, bondissant dans tous les sens.Tous les jours, l'enfant et le loup partaient explorer la forêt, ce que Hen leur interdisait de faire quand il n'était pas là –mais il savait pertinemment qu'ils le faisaient quand même-, de peur qu'ils ne leur arrivent quelque chose. Hokori avait plus d'un don. Enfant toujours heureux, ne dormant que très peu mais débordant sans cesse d'énergie, il faisait preuve d'une dextérité hors du commun, rivalisant avec le loup domestique du chaman malgré son très jeune âge. Ajouté à cela, un amour pour la nature démesuré. L'enfant ne supportait pas d'être enfermé et passait ses journées à l'extérieur, toujours en compagnie de Yassi avec qui il communiquait par les gestes. Car en effet, Hokori n'avait jamais prononcé un seul mot. Malgré cela, Hen le comprenait mieux que quiconque comme si l'enfant lui parlait par télépathie.L'enfant aimait la nature, certes, mais la nature l'aimait aussi en retour. Lorsqu'il courait vers les oiseaux, ceux-ci ne s'envolaient pas de peur. Certains d'entre eux chantaient même à son arrivée. Chaque jour, Hokori allait dire bonjour aux lapins d'un terrier creusé non loin de la cabane et tapotait devant l'entrée, de sa petite main blanche. Les lapins venaient à lui, sortant la tête du trou puis retournaient à l'intérieur comme s'ils disaient bonjour à leur tour. Cela revenait à Hokori et Hokori seulement car si Yassi ou Hen s'approchaient de trop près du terrier, les lapins ne sortaient par leurs têtes. Le petit avait nommé chaque animal qu'il croisait dans cette forêt, en écrivant leurs noms sur du papier que Hen lui donnait. Il savait déjà écrire des mots simples de concepts qu'il aimait, mais il refusait toujours d'apprendre ce qu'il n'aimait pas. Par exemple, il connaissait par cœur le signe pour écrire « forêt », « lapin », « escargot », « feuille », « neige », mais disait toujours non de la tête, lorsque Hen lui demandait d'écrire « Cabane », « porte » ou « lit ».Au terme d'une heure de jeu avec Yassi, le tour des salutations quotidien s'annonça. Il cavala jusqu'à l'entrée du terrier, Yassi sur les talons, et se jeta à terre. Il tapota deux fois de sa petite main et n'eut aucune réponse. Hokori tourna la tête et regarda vers Yassi qui se tenait à quelques pas de là, les oreilles plaquées sur son crâne et tournant des yeux pour signifier ironiquement « pourquoi tu me regardes, ce n'est pas de ma faute ». Alors l'enfant lui indiqua de partir par de brefs coups de mains. Voyant que le loup ne reculait que d'un pas, Hokori se leva et poussa son ami loin du terrier. Le canidé esquiva la première fois, faisant tomber le petit sur ses mains. Il tenta d'esquiver la seconde fois mais ne réussit pas et il fut poussé sur quelques centimètres. Puis Hokori attrapa la queue du loup et le tira de toutes ses forces en arrière. Yassi tenta de se retenir en plantant ses quatre pattes dans l'humus. Il ne réussit pas et les deux amis tombèrent sur les fesses loin du terrier. Hokori en sourit de toutes ses dents puis il attrapa le cou du loup et l'enlaça tendrement entre ses bras.Yassi avait été jaloux les premiers jours de la naissance d'Hokori. Hen ne s'occupant plus que du petit, il s'était senti oublié par le chaman et boudait dans son coin. Mais lorsque Hokori se mit à bouger, il montra une affection toute particulière envers le loup sans que ce dernier ne le réclame. Puis, l'enfant commença à marcher et à jouer avec Yassi, et le loup fut envahi d'amour, plus qu'il ne le fut jamais auprès de Hen. Aujourd'hui, le loup était devenu inséparable avec Hokori et ne le quittait jamais sauf la nuit car le petit, incapable de dormir plus de trois heures de suite, épuisait Yassi et l'empêchait de dormir.Enfin éloigné, Hokori se rapprocha du terrier et tapota à l'entrée. Les têtes des lapins sortirent, dirent bonjour, puis rentrèrent à nouveau comme chaque jour. Mais ce matin, l'enfant remarqua quelque chose d'inhabituel. Son regard fut attiré par des entités étranges qu'il n'avait jamais vues auparavant. Entre lui et le terrier cheminaient de drôles de créatures, toutes petites et toutes en ligne, portant chacune quelque chose sur leur dos, comme une feuille morte ou un morceau de cailloux. Hokori, intrigué, en attrapa une dans ses mains. La petite bête noire ressortie très bien sur la blancheur des doigts de l'enfant et Hokori put admirer sa petite forme. La bête était divisée en trois : une petite tête noire surmontée de longues antennes et de mandibules acérées, un thorax fin portant trois paires de pattes rouges et plusieurs fois articulées, et enfin un abdomen rond dont on aurait cru qu'il était détaché du reste du corps. Il reposa la bête qui reprit sa place dans la file et se mit à suivre à quatre patte la ligne formée. Qu'elle était longue ! Il marcha cinq minutes dans la forêt, slalomant entre les arbres, grimpant sur les rochers et serpentant entre les tas de feuilles mortes jusqu'à arriver à une bosse sortant de la terre. Yassi toujours sur ses talons, l'enfant s'approcha du monticule et le regarda sous tous les angles. La ligne de ses petites bêtes s'évanouissait à l'intérieur, mais Hokori ne sut trouver où. Il tourna autour, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois et à la cinquième, il remarqua quelque chose de très particulier.Ses grands yeux rouges tombèrent sur une de ces petites créatures, tristement coupée en deux, qui présentait malgré tout quelques différences. En effet, la petite bête, bien qu'en trois parties elle aussi, avait une couleur plus claire identique à l'humus du sol, et surtout, une paire d'ailes transparentes plus longues que son propre corps. Il l'attrapa délicatement dans ses mains et attendit qu'elle bouge. Elle ne bougea pas, jamais, et Hokori attendit encore jusqu'à ce qu'il comprenne qu'elle ne le pouvait plus. Alors, délicatement, il essaya de recoller les deux morceaux, se disant que c'était peut-être pour cette raison qu'elle ne pouvait plus bouger. Sous le regard intrigué de Yassi, il recolla puis décolla encore et encore l'abdomen avec le thorax mais rien n'y fait, la petite bête ne bougea jamais. L'enfant eut pour la première fois de sa vie, un regard triste. Il ne sut quoi, mais quelque chose d'invisible avait attrapé sa gorge et la compressait. D'une main, il tenta de retirer l'emprise de la chose invisible, mais elle n'avait pas consistance non plus. Puis il comprit que cela venait de l'intérieur et il ne sut comment arrêter cette soudaine douleur. Paniqué, il se dit que Hen saurait peut-être quoi faire pour sauver cette petite bête inanimée. Alors, il bondit sur ses étranges jambes et couru jusqu'à la cabane.

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