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Les rires.
Leurs rires.

Je marchais, traversais la cour en diagonale. J'étais le centre d'attention de la foule. Celle-là même qui me pointait du doigt comme on affiche un parasite. Celui qui repoussait cette foule par sa laideur, son immondice, son malheur. J'étais ce parasite. Un insecte avec des bleus, du strap sur les joues, les cheveux crasseux, la peau poussiéreuse. Les membres frêles, je passais devant ces sourires odieux et effrayants. Ces grimaces qui s'étalaient sur leurs visages satisfaits. Le malheur des uns fais le bonheur des autres. La tête basse, je plaçais un pied devant l'autre, hésitant, incertain, perturbé. Je sentais leurs remarques couler et se coller contre mon corps instable. Je menaçais de m'effondrer à chaque pas. Je regardais le goudron défilé sous mes yeux, absent et vidé de toute envie de vivre. La douleur retentissante à l'arrière de mon crâne me figea. Une série d'autres suivit le mouvement initial. Ce même mouvement de masse qui projetait des cailloux contre mon dos, mes épaules, mon visage. Mes jambes cédèrent, mes genoux rencontrèrent le sol brutalement et je les sentais se fissurer un peu plus tel mon cœur dans ma poitrine. Le sang cognait dans mes tempes et je priais le ciel pour qu'il s'arrête. Mais rien ne cessait jamais. Tout recommençait encore dans ce même cercle vicieux.

Une pierre.
C'est tout ce qui leur a fallut.

Un bout de roche percutant mon âme. Un geste en avait amené des milliers d'autres. Ce mouvement répétitif qui écorchait mon pull orange. Le vieux cadeau de Jiraya, le seul et l'unique de toute ma pauvre existence. Leurs moqueries envahissaient l'air et m'étouffaient. Je me sentais sale, comme un déchet, un mécréant.

Un enfant né au mauvais endroit au mauvais moment.

La peine, la douleur, la souffrance tapit au fond de moi depuis des années remontaient à la surface violemment. Et je me noyais dedans. Cette enveloppe protectrice et familière qui m'entourait de ces bras glacés,violacés de bleus et de vie. Les miens. Mes bras. Ceux-ci qui agrippaient ma peau couverte de cicatrices, rouges. Celles gravées au sang sur ma peau bronzée. Mes yeux humides voyaient les larmes dévaler sur mes joues creuses. Je fermais mes paupières, priant pour que cela s'arrête. Espérant que leurs voix dans ma tête disparaissent. Je plaquai mes mains contre mes oreilles, en me repliant sur moi même. J'hurlai à plein poumons. Je crevais l'abcès et enfin tout ce pus de souffrance me quittait. Je grognai comme un animal, et je criai de toutes mes forces, j'implorai leur pitié. Je ne sentais plus mes cordes vocales, elles vibraient tellement fort qu'elles m'assourdissaient. Je ne m'arrêtais seulement quand leurs voix disparurent, et laissèrent mon âme en paix. Dieu était clément aujourd'hui, la tête en direction du ciel, les yeux fermés je le remerciais de me laisser en paix.

À genoux dans la cour, au milieu de la foule, leurs chuchotements envahirent à nouveau mes oreilles.

De plus en plus fort, ils brallaient, beuglaient, des injures des vœux de mort. Jamais cela ne cesserait :

— "Quel monstre", "Il est cinglé", "Sûrement posséder", "Il n'y a que le diable pour faire des choses comme ça", "Cette chose devrait retourner en enfer", "T'as entendu son hurlement ? Pire qu'une bête", "Aucun doute il ne nous apportera que du malheur"....

Sans cesse les mêmes mots. La même rengaine. Les mêmes jours. La même douleur. Cette même vie, épuisante, fatiguante, cette vie qui me donnait envie de mourir. De me tirer une balle, de me jeter du haut de la falaise. De me laisser mourir, d'abandonner face à ce calvaire, à cette souffrance qui m'envahissait toujours un peu plus chaque jours qui passaient. Ô Dieu, qu'avais-je fait pour mériter celà ? Pourquoi il n'y avait que moi que tu punissais de la sorte ? Pourquoi eux n'avaient-ils rien ?

Pourquoi n'avaient-ils pas mal comme moi j'avais mal ?

Le dégoût. La peur. La haine. Voilà tout ce que j'inspirais ?
Voilà tout ce que je méritais ?
Ma naissance était-elle tant regrettée qu'ils me le faisaient payer ?

Et ces voix dans ma tête. Ces mains qui me battaient. Ces mots qui m'écorchaient. Toute cette souffrance qui s'installait en moi telle une amie de longue date. Pourquoi me faisaient-ils ça ?

— Laissez moi ! Par pitié ! Tuez moi ! Ne me laissez pas vivre ça ! Achevez moi ! Allez vous en ! Partez ! Laissez moi ! Par pitié, je vous en supplie, laissez moi...

Ma voix se perdit dans l'air, et la foule ne sembla pas se reculer. Au contraire, ils s'avancèrent, et l'éclat de leurs rires dégoûtants me frappèrent de toutes parts. Les cailloux rencontrèrent encore ma peau, mon corps, usé par la souffrance. Finalement Dieu ne m'aura pas aidé longtemps, lui aussi me laissait entre les mains du Diable. Entre ces milliers de mains.

Tout s'arrêta. Les pierres arrêtèrent de s'écraser contre moi et aucun être ne bougea plus. Les mains sombres et immondes s'effaçèrent lentement, pour laisser une lumineuse apparaître et me toucher l'épaule. Sa chaleur se propagea dans mon corps et saisit me cœur entre ses doigts. Elle me fit vibrer. Les frissons de l'inconnu parcoururent ma peau ensanglantée de cicatrices. Je me redressais sur mes genoux, levant les yeux vers ce puit sans fond. Les abysses brûlantes de son corps glacial, je me plongeais dedans. Sa silhouette faisant barrage au jet de pierres. Ils prenaient les coups autant que moi, mais lui ne s'effondrait pas. Il m'attira violemment à lui, et je me laissais fondre entre ces bras si fort, contre son torse robuste. Il me serait contre lui, attendant que la cloche résonne.

De longues minutes défilèrent jusqu'à ce que le gong sonne. Je me sentais protégé. Invincible entre ses bras. Je respirais à pleins poumons son odeur musqué, elle appaisait mon cœur chamboulé. Ils partirent tous les uns après les autres, n'ayant plus de quoi se divertir. Je chuchotais alors quelques syllabes :

— Sasuke...
— Ne laisse pas les démons te tourmenter Naruto.

Il se détourna de moi et partit en m'entraînant avec lui. Aucun autre jet de pierres me tomba dessus de la journée. Je retrouvais mon sourire de la veille, et il ne me quitta plus. Nous étions tous deux des parjures, des rebus de l'humanité, mais seul lui semblait assez fort pour faire face à cette horreur de la vie. Celle qu'on oublie trop souvent. La haine des hommes envers les leurs.

Les doigts de Sasuke liés au miens réchauffèrent mon cœur d'une nouvelle douceur.

Je ne voulais plus perdre cette saveur.

Au gré du ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant