Chapitre 9

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"Je ne vois pas pourquoi on ferait un travail de deuil. On ne se console pas de la mort de quelqu'un qu'on aime. " Michel Houellebecq

Je me levai et suivi mécaniquement le chemin de la sortie du grand amphithéâtre. Je n'avais pas été privilégié, aucune avance sur personne. J'avais eu la surprise en même temps que tout le monde. « Réunion générale pour les 1ère année Licence LLCER à 10h » - avait indiqué la notification de mon téléphone à mon réveil.

Un petit mail innocent qui avait pourtant réussi à faire tomber mon monde à lui tout seul sans que je m'en doute un instant. Aussi facilement qu'un chapiteau de carte. Mes jambes ne voulaient pas se calmer, tremblantes si fort que je pouvais entendre mes genoux craquer à chacun de mes gestes.

J'essayais de respirer mais j'avais la sensation d'avoir oublié comment faire. Je devais me concentrer pour ne pas oublier d'inspirer, d'expirer. C'était comme si quelqu'un s'était assis sur mon ventre ou que j'avais avalé une grosse pierre. Je paniquais. Je paniquais et je ne connaissais rien qui aurait pu me soulager. Rien qui pouvait tout arranger.

Des échos, qui me paraissaient si éloignés de moi, demandaient « Pourquoi ? », « Comment ? ». Mais moi je m'en fichais. Pourquoi ça m'arrivait ? Comment j'allais faire, MOI ?

Mes yeux étaient perdus dans le vide. De toute façon je ne pouvais et ne voulais rien voir, tout était flou. Est-ce que je pleurais ? Non, je restais silencieuse. Personne ne me prêtait attention au milieu de cette foule. Des filles pleuraient leur « âme sœur », d'autres ne pouvaient s'empêcher de chuchoter des rumeurs. Tous des vipères !

La réunion est terminée les amis... Mais même une fois franchis les lourdes portes insonorisées, les sentiments gluants et terrifiants resteraient agrippés à ma peau. Quelque part dans le monde, quelque chose venait de disparaitre. Sans effets spéciaux. Sans tours de passe-passe. Sans magie. Quelque part en France, une femme et un homme avaient appris en avant-première la nouvelle, à la différence de moi. Quelque part dans cette ville un corps froid reposait sur une table de morgue, attendant qu'on le fasse présentable pour sa veillée funèbre.

Un corps que j'avais connu en mouvement ; un corps vide qui avait abrité l'âme si belle d'un formidable ami.

Alexandre est mort. Mon Alex' à moi ; mon meilleur ami venait de se donner la mort.

Il parait qu'il était beau dans ce cercueil. Je n'ai pas réussi à le regarder. Là-dedans, ça n'est pas lui. Vous le savez, vous aussi ? Il ne peut pas tenir dans une si petite boite, n'est-ce pas ? Vos discours, ce n'est pas cette chose qui peut les entendre. Où est-ce que je dois regarder quand je m'adresse à lui : ce drôle de caisson, vers le ciel, en bas, fermer les yeux peut-être ?

« Dis, toi, tu sais ? Aide-moi à te localiser, s'il te plait. » Besoin d'un GPS pour une âme...

Kévin m'attendait à la sortie du bâtiment. Tout recroquevillé dans son coin, tout hésitant. Je ne le laissais pas me prendre les mains ni l'écoutais me dire des sermons empruntés à un prêtre. Si personne ne peut extraire la pierre de mon ventre, je ne veux pas entendre le diagnostic d'ignorants !

Tout va bien... tout allait bien avant, pourquoi ça n'irait plus ?

Les cours ont repris à l'identique. A chacun d'entre eux, Missa s'assoit à côté de moi, se penche sur mes notes, pose des questions. Chaque midi je mange avec Elodie et Camille à notre table de cinq. Même si nous ne sommes plus que trois. Comme d'habitude, je continue à passer mes soirées devant mes révisions.

Tout va bien... tout allait bien avant, pourquoi ça n'irait plus ?

Quand on m'a demandé si j'allais toujours à la fête foraine, j'ai dit « Pourquoi pas ? ». Après tout j'ai déjà payé mon billet de bus pour cette occasion.

La vie après TomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant