La lumière intense du foyer fracturait la noirceur de la nuit. Des bourrasques de vent attisèrent le feu libérant des nuées de papillons mortels, cendres brûlantes et irrespirables.
Posté à bonne distance du brasier, les pieds joints et les mains dans le dos, Grégoire suffoquait de chaleur dans sa bure laineuse. L'atmosphère chargée d'une dense fumée noire lui garrota les narines et embua ses yeux.
Malgré l'inconfort manifeste de sa posture, il n'esquissa pas le moindre mouvement. Depuis la prononciation de ses vœux, honorer les morts était un devoir auquel il s'était résolu, quelles que soient les circonstances.
Devant lui l'amas de dépouilles se consumait avec une facilité déconcertante. Chair et os s'étaient substitués aux traditionnels fagots de bois. La fournaise semblaient s'en repaître avec régal.
D'abord réticentes, les religieuses avaient finalement consenti à embraser les cadavres au prix de maintes persuasions. Grégoire avait eu raison de leur volonté et les avait menée vers cette purification. Dieu n'apprécierait peut-être pas ce choix mais la puanteur insoutenable qui se répandait depuis des jours dans les ruelles, exhalaisons acides et piquantes des corps en décomposition, révulsait jusqu'aux plus aguerris.
Il régnait dans la ville un véritable chaos. La peste et ses innombrables morts avaient entrainé une exode massive de la population. Ceux qui ne pouvaient pas partir, les plus démunis, se sont retrouvés affamés en raison de l'arrêt brutal du commerce. Les marchands n'osaient pas franchir les portes de la cité tandis que les paysans des alentours s'étaient claquemurés dans leurs fermes.
C'était sans compter sur la double désertion de l'Évêque et du Comte de la ville, figures de puissance et d'autorité. Le premier se terrait en rase campagne dans un bourg isolé et ne donnait pas signe de vie. Le second, un certain Gaiso, s'en était allé chez un cousin à dos de cheval laissant femme et enfants.
Tours s'était retrouvée livrée à elle-même. Grégoire avait donc décidé de rester pour remettre de l'ordre. Un travail laborieux l'attendait à présent.
- Mon Père ? osa une voix féminine à son encontre.
A cette heure avancée de la nuit, Grégoire aspirait à de la tranquillité. Contrarié d'être dérangé pendant son recueillement, il inspira profondément avant de répondre de façon laconique.
- Je vous écoute ma Sœur...
- Votre émissaire vient d'arriver.
Soudain, un craquement sourd se fit entendre au centre du brasier et l'ensemble de la structure, haute de vingt pieds, s'affaissa. Avivées par cette effervescence, les flammes s'étirèrent brusquement en libérant des débris rougeoyants et en fracassant l'air d'un crépitement fougueux.
- Voilà une nouvelle réjouissante. Faites le venir à moi.
- Tout... tout de suite ? questionna-t-elle étonnée. Le voyage a été long, un peu de repos...
- Votre nom, ma Sœur ? l'interrompit-il sèchement.
- Sœur Isabeau, mon Père.
- Si vous ne souhaitez pas être relayée aux ablutions des mourants, je vous recommande fortement de ne plus jamais questionner mon autorité !
Le ton était sans appel, Sœur Isabeau fila à toute allure tandis que les ronflements du feu peinaient à retrouver un rythme lent et régulier.
- Elle retiendra la leçon, à n'en pas douter !
Grégoire connaissait bien ce timbre si particulier. Faisant une entorse à ses propres principes, il se détourna du feu pour saluer son jeune ami. Campé nonchalamment sur une corniche, les jambes dans le vide, le nouveau venu inclina respectueusement la tête en retour.

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Gesta Francorum
Historische RomaneAu 6ème siècle, alors que la peste ravage le royaume des Francs, un mal bien plus obscur se répand parmi les hommes. Bonjour à tous. Mon roman se base sur des faits réels de notre histoire pendant la guerre fratricide de deux rois au 6ème siècle...