Clodomir traversa le péristyle d'un pas lent renâclant à la tâche qui venait de lui échoir. Chilpéric se soustrayait à ses obligations de roi et la grosse reine allait encore larmoyer jusqu'à lui ballonner la tête. Il rechigna dans sa barbe aux poils fins et rigides semblables au reste de sa physionomie. Une nuit de beuverie le laissait mieux qu'un entretien fût-il bref avec dame Audovère.
Levant les yeux au ciel, il détailla les colonnades faîtes de bois polis et sculptés jusqu'aux entablements ceignant la bâtisse royale avec élégance. Autour du principal corps de logis se trouvaient disposés par ordre les logements des officiers du palais. D'autres maisonnées de moindre apparence étaient occupées par les artisans qui exerçaient, hommes et femmes, toutes sortes de métiers, depuis l'orfèvrerie et la fabrique des armes jusqu'à l'état de tisserand et de corroyeur.
En contre bas, les bâtiments d'exploitation agricole, les haras, les étables, les bergeries et les granges, les masures des cultivateurs et les cabanes des serfs du domaine complétaient le village royal.
Le dernier recensement ordonné par Chilpéric de la villa Brennacum faisait état de mille deux cent têtes. Les temps étaient prospères, les récoltes fructueuses et les naissances abondantes. C'est dire puisque la boulotte de reine vient de mettre au monde son quatrième royal enfant, pensa Clodomir en son for.
En pénétrant dans les appartements de sa souveraine il croisa Marileïfe, premier médecin du roi, qui venait tout juste de prendre congé de sa majesté après être resté à son chevet la nuit durant. L'homme était petit de taille et avait des joues ravagées par une couperose œdémateuse. Ses mains se trouvaient rougies de sang séché et il les frottait tant bien que mal avec un linge humide.
- Un bain d'acide sulfurique vous aidera à récurer, lui suggéra Clodomir dans un rictus maladroit feint de bonnes intentions.
- Dieu a voulu que je sois médecin et vous chambrier. Grand bien nous fasse ! rétorqua Marileïfe de sa voix aigrelette en quittant la pièce.
Fouetté par la remarque, Clodomir pressa ses jambes longues et mollasses pour aller quérir la reine. Être en sa présence lui parut soudainement moins irritant.
Grosse elle l'était, sans conteste.
Emplissant l'intégralité de sa couche, son nourrisson paraissait d'une ridicule petitesse couché sur sa panse proéminente. Entre ses épaules et sa tête, son cou avait été progressivement enseveli sous un amas de graisse. Le reste de son corps avait connu le même sort après quatre gestations successives.
Malgré tout, le Seigneur dans sa grande bonté lui avait accordé un présent indéniable : elle conservait un visage plaisant et une dentition parfaite.
- Alors ? lui lança-t-elle d'emblée à peine avait-il franchi la porte.
Se pinçant les lèvres, Clodomir marmonna d'une voix faiblarde :
- Notre roi s'affaire à régler les ennuis du royaume votre Majesté. Il vous laisse le libre choix du nom de ce nouvel enfant.
Vociférant des injures autant que faire se peut dans les oreilles d'un Clodomir impassible, la reine s'empourpra de colère. Elle s'agita de toute sa masse en gesticulant. Son corps tremblotait par ondulations de haut en bas et du bas en haut selon la provenance du mouvement. Une chandelle entière aurait pu brûler avant qu'Audovère ne se soit calmée.
Finalement les cris de la mère réveillèrent l'enfant qui se mit à brailler lui aussi. Elle se rasséréna dans l'instant et retrouva la raison.
- Soit, concéda-t-elle à contre-coeur. Basine sera son nom. Faites-le consigner dans la journée par Marileïfe.
Le nouveau-né continuait de s'égosiller jusqu'à ce que la reine lui colle le sein dans la bouche.
- Dehors ! lui ordonna-t-elle.
Et Clodomir tourna à nouveau les talons.
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Gesta Francorum
Historical FictionAu 6ème siècle, alors que la peste ravage le royaume des Francs, un mal bien plus obscur se répand parmi les hommes. Bonjour à tous. Mon roman se base sur des faits réels de notre histoire pendant la guerre fratricide de deux rois au 6ème siècle...