Cette soirée londonienne est intense. Je suis juché sur une petite scène, au milieu de la foule. Je me trémousse autour d'une barre de pole dance que je partage avec une danseuse. Je ne porte qu'un boxer couleur or scintillant. Elle, elle est en bikini rouge vif. On m'a badigeonné la peau avec une substance qui la fait luire comme si j'avais pris un bain d'huile. En plus, on m'a balancé des paillettes dorées pour que j'aie l'air encore plus ridicule. Heureusement que j'avais bu avant de réaliser cette exhibition, sinon je n'aurais jamais eu le courage de faire ce genre de chose. Mon autre motivation est le sourire d'Irénée, heureux de voir son petit copain se donner à fond pour que cette soirée soit un succès.
Effectivement, le public apprécie. De temps en temps je me baisse, non pas seulement pour présenter mes fesses à la foule, mais pour que les clientes et les clients puissent glisser des billets dans mon boxer ! Pris par l'ambiance, je ne trouve ça ni déplacé ni humiliant. Il me faut quand même une pause, pour boire, quelque chose de fort, histoire de ne pas redevenir conscient trop vite...
— Tu es vraiment super, on dirait un vrai professionnel.
Un danseur me dit ça en me caressant le torse. Moi qui voyais l'Angleterre comme un pays de coincés... Depuis que je suis dans cette boîte on n'arrête pas de me palper et de se frotter à moi !
Je reçois beaucoup d'encouragements. Je ne sais pas si c'est sincère ou si c'est juste un prétexte pour me toucher ! Je pense aussi qu'ils veulent que je continue à me trémousser comme un débile sans me poser de questions. Une troisième hypothèse, crédible, est que tout le monde est complètement bourré et n'est plus capable de voir la réalité. Je n'ai en tout cas jamais autant dansé de ma vie. Je ne me croyais pas capable d'une telle chose. Pendant les soirées entre potes, j'ai plutôt tendance à rester dans mon coin, à éviter d'aller sur la piste avec les autres.
— You're so cute ! (Tu es si mignon !)
Des femmes et des hommes me caressent pendant que je danse. Quand je suis debout, ils n'arrivent qu'à atteindre mes mollets, la scène est surélevée. Je n'ai jamais rêvé de devenir un Chippendale et pourtant, là tout de suite, c'est ce que j'ai l'impression d'être. J'essaie d'oublier que tous ces gens fantasment sur moi et je me dis qu'au moins c'est une forme de récompense pour toutes les heures de sport qui ont sculpté mon corps.
Qu'est-ce qu'on ne ferait pas par amour ! Parce que tout ça, je le fais uniquement pour Irénée, pour sauver sa soirée, pour que tout le monde soit content. Si ça n'avait tenu qu'à moi, je me serais contenté de rester dans le carré VIP à siroter du champagne. Mon « travail » cesse à six heures du matin, alors que la boîte de nuit est sur le point de fermer. Mon DJ d'amour remballe son matériel. Ne reste plus qu'une musique préenregistrée pour les quelques clients qui veulent prolonger la nuit.
— Vous revenez quand vous voulez, Matthew !
Le gérant ne se gêne pas de venir me parler dans les coulisses, alors que je suis en train de me changer ! À cette proposition, je souris poliment, sans donner de réponse. Je suis certain que beaucoup de danseurs rêveraient d'une telle offre. Moi, je ne me vois pas venir à Londres tous les week-ends pour me trémousser sur une petite scène. C'était drôle comme expérience, mais je n'ai pas envie d'en faire un métier.
Une fois douché, pour enlever cette substance luisante qui s'est mêlée à la transpiration, et habillé, je m'installe au bar. En tant que petit ami du DJ et danseur de la soirée, le barman me sert ce que je veux, gratuitement.
— Voilà pour vous.
Le gérant dépose une liasse de billets entre mes mains. Il me paie en euros ! D'ailleurs, je ne pensais même pas recevoir quelque chose. J'attends que mon homme vienne me rejoindre, il est temps de partir d'ici.
YOU ARE READING
Le journal de Mathieu (8)
General FictionMathieu pourrait avoir une petite vie tranquille, s'il n'y avait pas les autres... Parce qu'il y a toujours quelqu'un pour nous mettre des bâtons dans les roues, il y a toujours des événements auxquels on ne s'attend pas !