Le journal de Mathieu (8)

Jour 68

De retour au lycée, chacun veut écouter les détails de mon escapade londonienne. Quand je raconte l'histoire à mes amis, ils sont fascinés. Ils réclament des vidéos. J'espère qu'il n'y en a pas, que personne ne m'a filmé et que ce ne sera pas posté sur Internet. Évidemment, j'enjolive un peu les choses. Ils semblent tous m'envier. De l'extérieur, on pourrait effectivement croire que c'est amusant de jouer au gogo danseur. Ils n'ont pas conscience que ce n'est pas si simple de rester sur une petite scène pendant des heures à se trémousser. Moi-même je ne sais pas si j'ai envie de recommencer !

Le samedi suivant est tout à fait normal. Après une heure de course avec Sébastien, je rejoins Fabien pour jouer au tennis. La partie est violente. Plusieurs fois je manque de me prendre la balle en pleine tête. Ce n'est qu'une fois sous la douche que nous pouvons discuter.

— Quelque chose ne va pas ?

— Désolé, je suis un peu énervé.

— On dirait que tu m'en veux.

— Non, ce n'est pas contre toi.

La douche est un de ces endroits où il est plus facile d'avoir des conversations sérieuses, de parler à cœur ouvert. D'abord parce que nous sommes seuls. Et puis, pourquoi ne pas se confier alors que nous sommes en train de nous laver, nus, l'un en face de l'autre ? Comme si le fait de dévoiler son corps permettait aussi de dévoiler son âme.

— Je ne suis pas à la hauteur.

— Tu plaisantes ? Tu es bien meilleur joueur de tennis que moi !

— Je ne parle pas de ça, Mathieu. On s'est disputés avec ma petite copine. Je crois que c'est terminé entre nous.

— Mince, qu'est-ce qui s'est passé ?

— Je crois que je suis sorti avec elle pour de mauvaises raisons. Je ne sais même pas si j'ai des sentiments pour elle.

— Si tu dis ça, si tu as un doute, c'est qu'il n'y a certainement rien.

— Je sais bien. Toi tu es totalement épanoui. Tu étais heureux avec Steven et maintenant avec Irénée. Sébastien, lui, s'est finalement remis de sa séparation avec Emeline et il semble heureux avec sa nouvelle copine. Je ne veux pas être le seul célibataire, tu comprends ? Vous êtes occupés tous les deux et moi je n'ai pas envie de passer mes soirées seul dans ma chambre, comme un gros naze.

Pendant des années je n'avais pas d'amis et je restais seul dans ma chambre, la semaine comme les week-ends. Je ne me suis jamais considéré comme un gros naze. Il faut parfois faire attention à ce que l'on dit...

Nous sortons de la douche pour nous rendre dans les vestiaires. Je trouve que mes potes sont quand même géniaux. Ils n'ont pas peur de se montrer totalement nus devant moi. Je pensais que ça changerait lorsqu'ils ont appris que je suis gay. Mais pas du tout, leur comportement ne s'est pas modifié. Et moi, je ne sais pas comment j'arrive à rester calme devant eux, sans doute parce que ce sont de vrais amis...

— Il ne faut pas te forcer juste pour faire comme tout le monde.

— Je sais bien, mais je me sens tellement nul. Sébastien est le capitaine de l'équipe de natation. Toi tu vis plein d'aventures exceptionnelles, tout le monde t'adore, tu te fais des amis super facilement.

Il a cette image de moi parce qu'il ne m'a pas connu avant. Je ne suis devenu comme ça que récemment ! Ce qui veut dire que tout le monde peut changer, passer d'un état introverti à une personnalité extravertie.

— Moi je ne suis personne. On me voit comme le meilleur pote de Sébastien, je suis certain qu'il y en a qui ne connaissent même pas mon prénom. Parfois, j'ai l'impression d'être totalement transparent.