Elle sort la clef, pousse la porte et pense : « enculé de père, quelle vie de merde, quelle
maison de merde ! » Vite, entrer, ouvrir... Mais les fenêtres sont abîmées, l'humidité, la
vieillesse, rien n'a été fait, aucun entretien, aucune réparation, un trou à rat, une taupinière,
peut-être même vivait-il en gardant tout fermé !
La rage la prend, elle s'arc-boute dans sa volonté d'échapper à l'odeur, et les fenêtres
cèdent à la puissance de sa hargne. La lumière et l'air chaud s'engouffrent partout et les
scènes du passé se mettent à bouger devant ses yeux. C'est quoi, le temps ? C'est quoi, la vie
et la mort, finalement, si tout peut bouger dans cette sorte de transparence ? Dans les filets de
poussière soulevés par l'air, soudain, la mère est là avec son grand sourire, le petit frère court
après le chat, la petite sœur est assise sur le canapé, elle mange sa pizza... C'est un matin
d'été, tout le monde est là, tout le monde ignore ce qui va advenir. L'innocence. On va partir à
la pêche, le père prépare le bateau, les serviettes, les glacières, les nattes, tout est prêt et l'air
est léger.
Clara est tétanisée, prise dans ce passé suspendu.
Cette vision furtive l'a galvanisée.
Elle décide de faire comme un locataire ou un acheteur : elle va vérifier l'état des choses,
voir ce qui fonctionne ou pas. Histoire de ne pas penser. Donc, les robinets, l'eau, les
tuyauteries, les toilettes... Elle commence par ça. Ce n'est pas fameux. Tout est jauni, il traîne
des journaux par terre. Elle tire la chasse, ça marche, ça fait un drôle de bruit, mais l'eau finit
par atterrir dans la cuvette. Elle va dans la salle de bain, même constat. Elle repart vers la
cuisine, ouvre le robinet de l'évier, le referme, et entend distinctement un bruit qui provient de
dessous. Il va falloir appeler un plombier. Elle ouvre la porte en contreplaqué et se fige. Elle
ne sait pas très bien combien de temps elle regarde bêtement ce récipient dans lequel de l'eau
goutte et s'accumule. La bassine. Elle pensait l'avoir oubliée, mais non. Elle est là et ça lui
saute au cœur, ça se met à déranger son estomac. Elle recule, sort de la cuisine et va marcher
ailleurs... histoire de faire comme si elle ne l'avait pas découverte.
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ROUGE COMME LA HAINE
HumorExtraie du livre ROUGE COMME LA HAINE pour le complet: www.editions-humanis.com/quartiers%20libres.php#979-10-219-0039-4