Diktat 5 - Femme, Bain et Algue

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Ah insomnie...

Il lui arrivait à nouveau ces drôles de moments où, peu importait la dure volonté de plonger sereinement dans le monde des rêves, il gardait inlassablement les paupières entrouvertes. Il fallut qu'il eut ressenti le doux éclat du soleil ascendant contre sa joue droite pour l'alerter d'à quel point il avait veillé.

Ah Insomnie...

Il tourna la tête vers la droite. De la salle de bain émanait le doux bruit de l'écrasement des petites gouttes d'eau contre les parois rigides de la baignoire. Toute la nuit, Brocéliande l'avait passé à se frotter. Il avait longtemps arrêté de compter les heures, montant à la place plusieurs théories sur ces récents événements.

■▪■■■▪ Homme de la mer, Algue de la mer ▪■▪▪▪■


La mer l'apaisait. À chaque fois qu'un doute le tracassait, il aimait venir contempler la tranquillité des eaux, comme si cette vague étendue pouvait aspirer ses problèmes et les égarer vers l'horizon.

Un doux rêve. Digne d'un doux rêveur.

Aujourd'hui, il était d'humeur à prier. En croisant les doigts, il fit un voeu du plus profond de son coeur.

Il leva les yeux et vit que celui-ci fut exaucé : Au loin, une sirène lui faisait signe de la main.

En tout gentleman qu'il était, il se devait de répondre à cette attention particulière.

Sev' en était si ému que toute sa joie se condensa dans sa vessie. Au moment de lever la main, il sentit la brusque insistance de son robinet qui lui intimait l'ordre de tout laisser couler à flot. DE TOUTE URGENCE. De toute urgence.

Il maudit le destin d'être aussi abominable. Pourquoi au moment où il devait saluer la créature de son voeu, mourait-il d'envie d'uriner?

Le dilemme était grand : Solliciter ses deux mains et répondre à la sirène avec courtoisie? Ou bien réserver ses deux mains pour pisser à côté?

- Réfléchis. Réfléchis. Réfléchis.

En observant la femme-poisson qui lui faisait toujours signe de la main, il trouva le compromis idéal.

D'une main, il allait la saluer, car après tout la sirène la saluait pareillement.

De l'autre, il pisserait à côté. En affichant son plus beau sourire, cette dernière action perdrait en importance, selon lui.

Il s'exécuta.

La sirène finit par disparaître. Elle lui avait envoyé un dernier baiser volant avant de disparaître entre deux vagues. Le sourire de Sev' s'élargissait. En ramenant son regard vers son robinet, il s'aperçut qu'il urinait sur une étrange algue.

La petite plante collait sa semelle. Il ajusta son tir pour la détacher mais la chose gardait fermement ses positions.

- Saloperie ! Vas-tu me lâcher oui?

Il puisa dans ses ultimes ressources pour déverser le meilleur jet de sa vie.

- J'ai besoin d'aide ! Mon monde est en danger ! s'exclama l'algue.

- Qu'est-ce que j'en ai à faire?

L'algue interagissait avec lui. Sur le moment, cela ne le surprenait pas beaucoup. D'ailleurs, sa plus grande surprise ne fut pas de voir une algue parler, mais plutôt que le fait que sa pisse avait donné cette capacité à cette chose verte.

Plus il lui urinait dessus, plus elle racontait de conneries.

- Je suis femme !

Deuxième jet...

- L'homme dérive de la femme !

Troisième jet...

- Hahn Bäcker, cet immondice...

Quatrième jet...

- Je suis une femme... Je suis une femme... Une femme... Une fem.... Une algue... Une lgue... Une algue magique.... Je suis une algue magique. ALGUE MAGIQUE...

■▪■▪■▪■▪■▪■▪

- Sors de là, Brocéliande ! J'ai résolu l'énigme !

Il avait débarqué à la hâte dans la salle de bain, fier et honoré de sa découverte. La pièce, grise et rectangulaire, contenait le strict minimum en terme de mobilier.

- Tu es une algue magique ! Tu as reçu le don de parler grâce à ma sainte pisse ! Maintenant sors de là, je vais te ramener auprès des sirènes.


Il ne reçut nulle réponse, hormis le bruit de l'eau qui continuait à couler.


- Hum. Je crois comprendre, reprit-il en croisant les bras. L'eau du bain a dû diluer ma potion magique à un tel point que tu ne peux plus me répondre. Quelle tristesse. Je vais encore devoir te purifier. Prépare-toi à la magie !


Il heurta un des gantelets de la duchesse et lâcha un juron. Brocéliande avait éparpillé ses vêtements un peu partout sur le sol carrelé de la salle de bain.

En sautillant pour atténuer la douleur, Severian marcha sur le corset de la duchesse. Un bout de papier s'en échappa. Il prit la photo en main. Une fois ses yeux posés dessus, il ne put s'en détacher. Pendant seize longues minutes.

Il se dirigea ensuite vers le baignoire et une fois le rideau à sa portée, il le tira sèchement.

Brocéliande n'était plus là....

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