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Je commençais à avoir horreur du bleu.

Une semaine venait de s'écouler depuis les évènements. Jimin continuait à vouloir ma présence à ses côtés pour aller voir Taehyung à l'hôpital, mais je trouvais toujours une bonne excuse, ou un prétexte quelconque, pour y échapper : « je préfère le voir complètement rétabli » (fait plus ou moins faux en lui-même), « j'ai entraînement ce soir », « j'ai une interrogation demain », « je dois finir un devoir maison »... Jimin acceptait mon refus à chaque fois, avec résignation, toujours avec un sourire contrit. La culpabilité m'avait secoué les nerfs chaque jour de la semaine, conséquence indésirable d'un noeud de souhaits contradictoires grossissant à vue d'œil.

Je crevais d'envie de revoir Taehyung, pour une raison toute simple : me rappeler de son visage. Chaque soir, plongé dans cet état de semi-conscience qui précède l'endormissement, les traits abîmés et déformés de Taehyung réapparaissait sous mes paupières, parfois neutres, parfois hurlant sans bruit, souvent tordus de douleur. Le premier soir qui avait suivi l'incident, je l'avais entendu crier à l'aide, appelant mon nom, au point de se déchirer les lèvres et la peau. Depuis, un sentiment d'impuissance coupable alourdissait mes pas, me faisait baisser la tête. J'étais incapable d'aller le voir parce que je n'en avais tout simplement pas la force : la force vitale qui me poussait à marcher me manquait à chaque fois que je m'étais mis en route pour l'hôpital, m'empêchant même de prendre le bus pour y aller. Ce visage me hantait, me torturait littéralement jusqu'à m'en laver le cerveau, au point d'oublier le faciès initial de Taehyung. Regarder des photos de lui avait l'effet de plonger dans une autre dimension, une autre réalité, ce qui ne faisait qu'augmenter mon dilemme interne. Jimin essayait de me persuader en me disant que Taehyung voulait me voir, la culpabilité se décuplait face à cet argument maintes fois utilisé, et les messages de Taehyung empiraient sa ténacité :

TAEHYUNG : Comment ça va, Kook ?

TAEHYUNG : Aujourd'hui les visites sont jusqu'à 19h, si tu veux

TAEHYUNG : Jimin me dit que tu es très occupé... J'espère que ça va quand même...

N'étant pas un monstre de première catégorie, je lui répondais toujours, lui demandant sans cesse des nouvelles, sans pour autant lui demander s'il avait encore des séquelles - c'était trop étrange - et me confondant toujours en excuses pour ne pas venir le voir. Je m'en voulais beaucoup. Il ne me demandait pas expressément de venir, cela dit, ce qui me soulageait, d'un côté, car bien que j'aurais accouru au moindre problème, je pouvais me réfugier facilement derrière mon emploi du temps pseudo-surchargé ; or, d'un autre côté, j'étais frustré. Peut-être que s'il me l'avait demandé, j'aurais trouvé la force d'aller le voir : il en avait peut-être besoin, et Dieu ce que l'air était irrespirable à cette pensée.

- Jungkook ?

Les cheveux désormais argentés de Jimin reprirent forme devant mes yeux tandis qu'il les peignait avec ses doigts, et je me souvins alors que j'avais accepté de venir chez Jimin et Hyungsik pour une aide aux devoirs personnalisée. J'avais de vrais problèmes avec la géométrie et ils s'étaient naturellement proposés d'éclairer ma lanterne.

- Bon, on va vraiment abandonner pour ce soir. C'est la troisième fois que je te sors de tes pensées en une heure. Qu'est-ce qu'il y a ? me demanda Jimin, faussement agacé.

Au même moment, mon téléphone vibra.

TAEHYUNG : Je sors demain, normalement. On se voit à ma sortie ?

- Je suppose qu'il t'a dit pour demain, me dit Hyungsik, avec un petit sourire, sa tête penchée vers mon écran. C'est ça qui te tracasse ?

Je laissai mon cellulaire retomber sur mon genou avec un long soupir. Je me pinçai l'arête du nez pour dissimuler, un tant soit peu, mes yeux anormalement humides.