Chapitre 5

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— C'est vrai ? m'écriais-je en me mettant en position assise sur mon lit. Tu m'as bien dit oui pour que j'aille au lycée cet après-midi ?

Mon père, Bruce, se trouvait devant moi, les mains serrant la barre au bout de mon lit d'hôpital. Il m'avait annoncé ça dès qu'il était entré dans la chambre. Il savait parfaitement que la nouvelle allait me faire plaisir car j'allais pouvoir retrouver Matthieu. Il était venu me voir directement après avoir parlé avec les médecins. À part trois ou quatre hématomes et des bleus artificiels, je n'avais rien de cassé. Les médecins étaient ok pour que je quitte l'hôpital seulement si je ne me retrouvais jamais seule dans les prochains jours. Il fallait que je sois accompagnée pour vérifier si tout allait bien.

D'un coup, je pris mon portable dans mes mains et, voyant la tête interrogative de mon père, je l'informai en reposant mes yeux sur l'écran :

— J'envoie juste un message à Matthieu pour qu'il vienne me chercher pour aller au lycée ensemble.

— Je t'emmène, ordonna-t-il.

Je levai ma tête d'un coup et j'eus subitement mal au crâne. Froissée de sa réaction, je commençai à trouver des arguments.

— Mais tu as beaucoup de travail et Matthieu peut venir me chercher, il est encore tôt...

— Je t'emmène, reprit-il plus froidement que la première fois.

Rien à faire, j'étais impuissante. Quand il prenait ce ton-là, il avait dit son dernier mot et plus aucun argument ne pourrait le faire changer d'avis. Le fait d'être majeur ne fonctionnait pas. Dans l'état où il était, je ne voulais pas non plus en rajouter. Je sentais qu'il était dévasté par le décès de maman et que l'enquête le préoccupait. Oui, car il y avait une enquête pour connaître les faits plus en détail.

Une question me taraudait : pourquoi m'interdisait-il d'aller avec mon meilleur ami ? En plus, ce n'est pas comme s'il ne le connaissait pas. Les deux garçons s'étaient déjà vu une bonne trentaine de fois. Mon père s'était toujours méfié de nos fréquentations et en particulier les personnes du sexe opposé. Heureusement notre mère n'était pas comme lui.

D'après mes souvenirs, j'étais la première à avoir ramené un garçon à la maison. Nous étions encore petits à l'époque. J'avais bien insisté sur le fait qu'il ne se passerait jamais rien entre nous. Flo n'avait pas arrêté de m'embêter durant de longues semaines. Mais au bout d'un moment, elle avait fini par comprendre que Matthieu et moi c'était une grande amitié fraternelle, rien de plus.

Cette situation me laissait tout de même sceptique. Depuis l'accident, j'avais l'impression de ne plus reconnaître personne. À ne rien y comprendre.

L'heure du cadran de bord affichait 1:50 PM. Les cours commençaient normalement dans dix minutes. Par du sport en plus. Une heure à ne rien faire, « ordre du médecin » m'avait déclaré mon père. Il ne fallait pas que je sois brusquée d'une manière ou d'une autre. Malgré le fait que je me sente en pleine forme, j'étais encore fragile physiquement et psychologiquement.

Plus la voiture se rapprochait du lycée, plus j'avais une boule qui se formait dans mon ventre. Clignotant droit, puis léger coup de volant pour s'introduire dans une ruelle. Cette petite rue où se retrouvaient les adolescents. Plus que quelques mois à supporter les gens immatures de ce bahut et je pourrais enfin me barrer à l'université. Il me restait tout même à avoir le A-Level et cela n'avait absolument rien à voir avec toutes nos évaluations précédentes.

Sous un arbre, non loin de l'entrée, j'aperçus Matthieu qui m'attendait tranquillement, les écouteurs dans ses oreilles, un bandana blanc qui maintenait partiellement sa touffe de cheveux. Mon père ne se stoppa pas. Je lui déclarai donc :

— C'est bon, tu peux me déposer ici. J'ai à peine trois pas à faire tu sais.

Visage renfrogné, il ne m'écouta pas. Il avait insisté pour qu'on y aille avec sa voiture de service où un grand « POLICE » était inscrit sur le capot du véhicule. Le damier jaune et bleu sur la carrosserie blanche n'était pas très discret. Moi qui voulais passer inaperçue, et bien, c'était totalement raté. Je voyais bien les regards des personnes converger vers nous à mesure que la voiture passait entre les tas formés par les élèves.

Finalement, la voiture s'immobilisa, serrant de près le trottoir. Mon père se mit en warning et Matthieu leva brusquement la tête. Il ne nous avait pas vus arriver. Je pris mon sac posé sur les sièges à l'arrière et sortis de la voiture sans adresser le moindre mot. Je claquai la porte et mon père redémarra.

Cela nous arrivait souvent de se prendre le bec pour pas grand-chose et de ne pas y faire plus attention. Mais aujourd'hui, j'avais une sensation bizarre. Je sentais que j'avais mal réagi et je culpabilisais. Il n'avait parlé qu'une seule fois pendant le trajet pour me dire qu'ils avaient retrouvé mes lunettes dans la voiture et que je devrais reprendre un rendez-vous chez l'ophtalmologiste pour avoir une nouvelle paire. Celle que je portais au moment de l'accident était complètement détruite. J'avais du mal à me faire à la réalité et chaque pensée me ramenaient à ma mère.

— Hey ! Prête pour une heure d'ennui ? tenta Matthieu.

— Oula, ne m'en parle même pas... répondis-je en esquissant un sourire peu convaincant.

La sonnerie retentit etnous entrâmes dans l'enceinte du lycée. Nous nous quittâmes pour rejoindre nosvestiaires respectifs.

𝐃𝐞𝐬𝐭𝐢𝐧𝐲 𝐉𝐞𝐦𝐦𝐚 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant