Chapitre 3

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Depuis un moment, j'avais la bouche ouverte, ne prononçant aucun mot. De toute manière, que j'eusse ou pas dit quelque chose, cela n'aurait rien changé. Le mal était fait et il avait frappé à notre porte. Je sentis des larmes couler sur mes joues, mes lèvres se mirent à trembler et ma respiration devint de plus en plus saccadée.

Mon père était resté debout, dans la même position pendant ces longues secondes. Il attendait sûrement que je fasse ce que je faisais d'habitude : hurler, crier à me casser la voix, bouger, essayer de donner des coups de poing dans le vide, pleurer, rejeter toute personne voulant me consoler... Cependant, je n'en fis rien. Pour ma mère, je n'avais pas la force de me mettre dans tous ces états. Au fond de moi, je ne savais pas comment réagir. Je n'avais jamais vécu ce genre de situation.

Il avança d'un pas, mais se ravisa. Au lieu de ça, il me demanda de sa voix qui se voulait rassurante :

— Tu veux que je reste avec toi ?

D'une inclinaison de la tête, je lui fis comprendre que rester seule un moment me conviendrait mieux. Il ne me contredit pas, tourna les talons et, juste avant de sortir de la chambre, il mit sa main dans sa poche. Il en sortit un objet et je découvris son portable. Il le leva puis me montra la table à côté de moi. Je vis alors mon portable posé juste à côté. Le cliquetis de la porte me confirma que mon père venait de quitter les lieux. Je me sentis alors affreusement seule. Je ne pouvais parler à personne.

J'avais mal au cœur. Je me répétais que c'était impossible, que ça n'arrivait que dans les cauchemars la nuit. Je ne pouvais pas m'avouer que cela était réel. Ma mère n'aurait pas pu partir de cette manière. Elle était beaucoup trop jeune pour disparaître de ce monde.

Je pris mon portable. Tout en composant le mot de passe, je remarquai que le l'objet en lui-même n'avait pas trop souffert de l'accident. Certes, il avait un bout d'écran fêlé mais ça allait encore. Je voulus envoyer un message à mon meilleur ami Matthieu mais une vibration me stoppa dans l'action. Quelqu'un m'avait contacté : Matthieu en personne. Je ne croyais pas trop en la télépathie entre jumeaux ou amis. Sauf qu'avec lui, on pouvait dire qu'on remettait en cause cette hypothèse.

« Ton père vient de m'appeler. Il m'a tout raconté. Tu vas bien ? Je suis là pour toi tu le sais »

En lisant le message, je pu encore être témoin de la puissance de l'amitié que nous avions. Je savais bien que les véritables amis se comptaient sur les doigts de la main. Pour moi c'était assez facile. Il n'y en avait qu'un et c'était lui.

Je ne lui laissai pas le temps de patienter et je lui répondis de suite.

« Merci de t'inquiéter pour moi. Ça ne va pas très bien... J'aimerai que tu sois là pour te parler »

« C'est normal, je suis là pour ça. Je viendrai te voir en fin d'aprèm quand j'aurai fini les cours, promis »

« Merci Matt »

Je laissai tomber mes mains sur le drap. La lumière de mon portable attira mon regard. Un dernier message venait de m'être envoyé :

« T'inquiète p'tite sœur »

J'avais été surnommée « p'tite sœur » pour deux raisons. La première est simple : il m'a toujours considérée comme faisant partie de sa famille et m'avait adopté en tant que petite sœur lorsque nous étions petits. Cette adoption fut réciproque. Malgré notre complicité, il n'y avait jamais eu d'ambiguïté entre nous et, au grand dam de beaucoup de personnes, nous avions toujours exclu l'idée de tomber éperdument amoureux l'un de l'autre. Pour une raison qui restera un secret entre nous, nous étions comme deux vrais frères et sœurs. Cela restera ainsi.

La deuxième raison est très logique : il a toujours été le plus grand en termes de taille et d'âge. Il est né quelques mois avant moi. Nous sommes de la même année, nous avons techniquement le même âge mais comme il aime me le rappeler, il est le plus âgé. De plus, avec son mètre quatre-vingt, je n'avais plus aucune chance de le dépasser un jour.

Je m'étais perdue dans mes pensées et cela m'avait offert une parenthèse de légèreté. L'ambiance de la chambre ne me rassurait pas beaucoup. J'avais hâte de pouvoir revoir Matthieu pour que je puisse enfin m'apaiser un petit peu. Mais il restait tout de même une question : comment allais-je tenir tout ce temps sans parler à personne ? Ruminer mes sombres pensées me torturait de l'intérieur.

Finalement, je ne m'étais pas si ennuyée que ça. Pendant un long moment, j'avais regardé le plafond de la chambre en me demandant ce que j'avais fait pour mériter ça. Pourquoi avait-il fallu que ça tombe sur moi ?

Quand j'avais fini d'analyser tout ce qu'il y avait autour de moi, j'avais eu la bonne idée de jouer avec des boutons, principalement ceux sur une télécommande posée contre le rebord de mon lit. Le premier bouton que j'avais actionné avait soulevé l'endroit où se trouvaient mes jambes. Comprenant que le boutons juste en-dessous produisait l'effet inverse, j'avais appuyé sur la touche.

Mais cette occupation ne dura pas qu'un temps car mes idées sombres revenaient à chaque fois. Il m'arrivait d'avoir des crises de larmes. J'avais des flots incontrôlables de tristesse qui débarquaient sans prévenir et qui m'envahissaient.

Je voulais revoir Flo et lui parler de tout ça. Je voulais qu'elle me libère l'esprit ou qu'elle me fasse rire. Mais elle n'était pas là. Ma sœur, plus âgée de quatre ans, était partie à New-York alors que je restais bloquée dans cette petite ville complètement paumée.

C'est après m'être amusée avec les deux boutons que j'en avais touché un autre par mégarde. Je fis une gaffe : c'était le bouton d'une alarme. Quand j'avais appuyé dessus, rien ne s'était passé. Aucun mouvement, aucun bruit. Alors j'avais recommencé, une fois, deux fois, trois fois en cherchant sa fonction. Jusqu'au moment où une infirmière avait fait irruption dans ma chambre. C'était celle qui était venue un peu plus tôt dans l'après-midi et qui avait conduit mon père à moi. Elle s'était approchée de moi.

— Ne jouez pas avec tous les boutons s'il vous plaît, m'avait-elle dit en levant un doigt et en le bougeant de gauche à droite mais tout ça d'une voix douce. Ceci est le bouton d'une alarme. On s'en sert seulement quand on a un problème.

J'avais compris la leçon et je lui promis de ne pas recommencer. Je lui demandais si je pouvais avoir de l'occupation.

— Il faudrait mieux que vous vous reposiez, me suggéra-t-elle.

L'infirmière avait raison mais je n'avais pas du tout sommeil.

— Avez-vous un livre ou une revue à me prêter, demandai-je en la regardant réorganiser les draps de mon lit.

Elle acquiesça et se dirigea vers la petite commode à ma droite. Elle en sortit deux revues de mode et un livre de Charles Dickens. Mon choix se porta sur le livre et elle me le donna.

Je n'attendis pas qu'elle soit sortie de la pièce pour commencer à lire les premières pages. Je ne vis pas le temps passer malgré le fait que mes pensées prenaient quelquefois le dessus sur ma lecture. Il m'arrivait de faire des pauses, de regarder par la fenêtre en face de moi et de réfléchir. J'avais du mal à me faire à l'idée qu'elle ne puisse pas revenir.

Je ne pourrais plus prononcer le doux mot « maman » en l'attente d'une réponse. Je n'entendrais plus jamais les « oui ma puce » qu'elle me lançait lorsque je l'appelais, les « je suis là mon cœur » ou encore « Bonne nuit trésor ». J'allais devoir vivre sans sa douce voix, sans son timbre si clair et agréable à écouter. J'allais devoir apprendre à vivre avec le vide de sa présence, la fin de ses étreintes chaleureuses, de ses sourires, de ses rires et de ses moments de joies partagés.

Désormais, j'avais peur.Je n'étais pas plus effrayée à l'idée que notre passage sur Terre était éphémèremais j'étais terrifiée de ne plus me souvenir, d'oublier tout ce qui merattachait à elle. Je me rendais compte de cela une fois qu'elle n'était plusparmi nous. Je comprenais à quel point elle était une bouée de secours lorsqueje me noyais. Elle savait me remonter à la surface de manière délicate et avectoute l'attention dont j'avais besoin. Je ressentais la nécessité de lui direau revoir une dernière fois pour honorer tout ce qu'elle avait été pour moi.Une confidente, un soutien et surtout une maman.

𝐃𝐞𝐬𝐭𝐢𝐧𝐲 𝐉𝐞𝐦𝐦𝐚 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant