Chapitre 7

562 35 1
                                    

— Comme mademoiselle Lawford n'est pas concentrée, je lui demanderais de me conjuguer le verbe « soñar » à l'imparfait et au passé simple.

À la prononciation de mon nom, je relevai la tête. J'eus le réflexe de replacer mes lunettes sur mon nez mais je ne les portais pas. Pour le moment, cela ne semblait pas me déranger et ma vue s'adaptait bien depuis que je n'en avais plus. C'est à ce moment même que je vis flou. Une seule explication logique : ma myopie avait encore dû baisser et j'avais réellement besoin de lunettes.

Je me suis mise à réciter le verbe « soñar » sans discuter. J'avais prié pour ne pas que le nouveau se retourne. À la fin de ma récitation, la prof d'espagnol passa à autre chose. En ce moment, on voyait la prise de Constantinople, sujet pas passionnant du tout mais qui semblait quand même intéresser un quart de la classe.

La sonnerie retentit, indiquant la fin du cours d'option espagnol. Toute la classe sortit dans la bonne humeur, plus particulièrement Matthieu qui venait de retrouver son portable chéri.

— Alors tu l'as vu mon message ? me demanda-t-il.

Suite à cette question, je constatai que je n'avais pas vu mon portable depuis le cours de sport. J'enlevai une bretelle de mon épaule pour pouvoir fouiller dans la petite poche de mon Eastpak mais je ne trouvai pas ici. Je recherchai ensuite dans la grande poche, toujours aucune trace de l'objet.

— Bah ça alors. Toi la fille la plus organisée du bahut qui n'a encore rien paumé vient de perdre son portable ? Ce n'est pas possible, pincez-moi je rêve !

— C'est ça fous-toi de moi ! m'exclamai-je avec sarcasme.

Sa réflexion lui coûta tout de même un léger coup de poing dans l'épaule. Il ne nous restait plus qu'une heure avant la fin des cours. Soixante minutes où je ne fis que de réfléchir à l'emplacement de mon téléphone. Cela me prouva que l'on pouvait vraiment devenir dépendant de ce petit objet électronique.

Les mathématiques c'était mon truc. Calculer une dérivée, sa pente, des pourcentages... j'aimais beaucoup ça. Comme Matthieu galérait, je l'aidais régulièrement. Et tous les jeudis soir, nous restions une heure de plus pour réviser. Ça nous permettait de passer du temps à parler de sujets divers et variés.

À la sortie de la classe, j'eus un vertige. Probablement dû à mon déjeuner que j'avais renvoyé dans les toilettes. Il n'était pas resté longtemps dans mon ventre celui-là. Jane m'avait proposé son goûter, composé d'un paquet de quatre gâteaux et d'une compote en gourde. Elle me l'avait tendu avec enthousiasme mais je l'avais refusé malgré le fait que j'eusse extrêmement faim. L'odeur des aliments me donnait la nausée. Ma vision qui se dégradait puis la nourriture qui me dégoûtait : rien n'allait plus ! Était-ce le choc post-traumatique qui me produisait ces symptômes ?

Mon portable toujours introuvable, j'avais demandé à Matthieu de me prêter le sien. Je composais un numéro puis j'attendis trois sonneries.

— Allô ? dit une voix masculine qui grésillait un peu.

— Salut papa, c'est moi. Pour te prévenir que Matthieu peut me ramener...

— Hors de question, me coupa-t-il fermement.

Vraiment, je ne comprenais plus rien.

— Papa, je ne vais pas te faire déplacer...

— J'arrive, tu ne montes pas dans sa voiture.

Juste après la phrase, je remarquai que sur la place habituelle où se garait mon ami, sa voiture n'y était pas. Matthieu me questionna avec ses yeux. Il n'entendait qu'une phrase sur deux de notre conversation téléphonique.

— Je commence à rentrer à pied, terminai-je.

Je n'attendis même pas la réponse que je raccrochai aussitôt.

— Alors, il a dit quoi ton padré ?

Un long soupir sortit de moi. J'étais à cran depuis ce midi. Ce comportement si inhabituel de mon père allait me rendre totalement folle.

— Il m'a interdit de monter dans ta voiture.

Il se retourna et balaya le parking de son bras d'un mouvement circulaire.

— De toute façon, comme tu peux le voir, je ne suis pas venu en voiture donc techniquement, je ne peux pas te ramener en voiture.

— Tu es venu comment ?

Il me regarda avec un air pour m'inciter à réfléchir. Mais j'étais crevée et mon ventre criait famine.

— Aller, Matt... j'suis pas en forme pour jouer aux devinettes...

— C'est mon beau-père qui m'a emmené ce matin avant de se rendre à son travail.

D'un signe de la tête, je lui dis OK.

— On fait un bout de chemin ensemble ? m'interrogea-t-il.

Un sourire s'afficha sur mon visage, le même que celui de Matthieu. Nos pas s'enchaînèrent sur une même rythmique et nous sortîmes de l'enceinte du lycée.

Sur le chemin, nous parlions tranquillement du cours d'espagnol. Je me demandais bien où se trouvait ce foutu portable. Alors que nous empruntions une rue, j'eus une étrange impression. Pendant ce temps, Matthieu ouvrait l'appareil photo de son portable pour prendre une photo de nous deux (ce dont sa galerie n'était pourtant pas dépourvue). Une personne nous suivait, j'en étais sûre ! Et ce, depuis notre départ du lycée.

Je ne ralentis pas l'allure, et je le vis en tournant la tête. Je fis semblant de regarder Matthieu. Je compris aisément que la personne voulait se fondre dans le décor mais mon compagnon de route était si bruyant qu'il m'était impossible d'entendre quoique ce soit.

— Matt, chuchotais-je, il y a un mec qui nous suis depuis un bon moment...

Avec toute la discrétion qu'il pouvait y avoir sur Terre, il se retourna vivement en stoppant net sa marche. Le garçon avec la capuche leva la tête et je le reconnus immédiatement. C'était le nouveau de la classe !

Luke s'arrêta d'avancer et Matthieu fit un pas dans sa direction. Il avait la bouche ouverte prêt à demander pourquoi il nous suivait mais l'autre garçon déguerpit. Voyant cela, Matthieu commença à le poursuivre.

Je le vis s'élancer mais ma vision se brouilla. Mes membres commençaient à ne plus supporter mon poids. Je levais les mains à la hauteur de vue mais tout sembla trembler avec moi. Je sentis mes jambes se dérober. Je tombai lourdement sur le sol en fermant les yeux.

***

Ma tête me faisait horriblement souffrir. Je n'arrivais pas à ouvrir mes paupières malgré ma détermination. Petit-à-petit, j'entendis des voix, deux précisément. Masculines qui plus est. Puis le bruit typique d'une personne qui marche sur le sol me parvint aussi. Il fallait que j'arrive à ouvrir mes yeux. Je le voulais plus que tout mais ceux-ci n'en faisaient qu'à leur tête.

La personne était maintenant toute proche de moi. La discussion arrêtée. Cela ne pouvait être que l'un des deux hommes. Il y eut ensuite un grincement puis un claquement d'une porte au loin. La personne que je ne voyais pas s'immobilisa. Je compris qu'elle était proche, voir presque collée à moi.

Je n'entendis pas le bruit de sa respiration, ce qui me parut étrange dans un tel silence. Désormais, il ne bougeait plus. C'était comme si je vivais un cauchemar : un inconnu près de moi dont je ne connaissais pas les intentions, dans le noir de mes paupières clauses. Ne pouvant toujours pas ouvrir les yeux, je me mis à imaginer les pires scénarios possibles.

Je le voyais déjà avec un couteau ou une petite cuillère dans la main (oui parce qu'on ne le sait peut-être pas mais les petites cuillères peuvent elles aussi faire de sacrés dégâts), la main levée ou bien les deux, prêt à me sacrifier. Il pouvait également me regarder en se demandant ce qu'il allait bien pouvoir faire de mon cadavre. Question bête qui a toute son importance : comment se débarrasser du corps après avoir tué quelqu'un ?

Toutes ses pensées me faisaient renoncer à faire le moindre geste, de peur d'éveiller les soupçons. Mon cœur battait à tout rompre puis il s'arrêta net. Ce fut une surprise pour moi de ne plus le sentir dans ma poitrine. Je fus choqué qu'il ne reprenne pas sa course folle dans ma cage thoracique.

𝐃𝐞𝐬𝐭𝐢𝐧𝐲 𝐉𝐞𝐦𝐦𝐚 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant