Stress post traumatique : trouble anxieux sévère qui apparaît à la suite d'un événement traumatique qui a éventuellement exposé à la mort, personnellement ou visuellement.
Je gravis quatre à quatre les marches de mon immeuble, arrive à mon étage. Je bataille avec mes clés et finis par réussir à ouvrir ma porte. Je les jette sur le sofa, pose mon sac à côté de la porte, retire mon manteau.
Je sors une tasse pour le café, mets une capsule dans la machine et l'enclenche. Son vrombissement emplit toute la pièce alors que l'arôme fort de la caféine s'en dégage pour remonter jusqu'à mes narines.
C'est mon rituel. Il en va de même pour toute la semaine, une routine que j'accomplis chaque jour sans vraiment y réfléchir. Mais j'aime bien ça, moi, la routine.
Je m'appelle Lizzie, mais je ne sais pas si c'est vraiment utile de le préciser puisque tout le monde - et là, je dis bien : absolument tout le monde - s'obstine à m'appeler Liz.
Aujourd'hui, en 2019, ma figure est bien connue sur les réseaux sociaux : mes cheveux châtain clair, les tâches de rousseur qui parsèment mon nez et mes joues, ma fossette sur la joue gauche et mes yeux verts d'eau ; oui, la plupart des jeunes connaissent bien ma frimousse. Et c'est pour dire ! J'ai atteint récemment 2, 3 millions d'abonnés sur YouTube, sans parler d'Instagram ou des autres réseaux sociaux sur lesquels je suis présente.
De base, travailler sur le Web n'était pas un métier envisageable pour moi - surtout que petite, Internet était loin d'être ce qu'il est aujourd'hui. Je voulais devenir avocate. C'est en Terminale que mon regard a changé sur mon avenir et j'ai finalement intégré une école d'audiovisuel.
Cependant, une fois diplômée, je ne savais pas ce que je voulais faire. J'ai été prise pour une émission de téléréalité en tant qu'assistante et c'était de loin le pire boulot que j'aie fait de ma vie - le job de vendeuse de glaces en fête foraine que je faisais à seize ans en été compris dans le classement. Les participants se prenaient pour des stars, étaient condescendants, l'équipe était de mauvaise humeur et surtout : je ne servais à rien. Ce qui n'empêchait pas la productrice de me hurler dessus. Je détestais tellement ce travail que j'ai quitté le tournage en plein milieu de la saison - les acteurs n'auraient plus qu'à se débrouiller pour savoir où étaient leurs lunettes de soleil de luxe dernier cri.
Cette expérience traumatisante m'a retiré l'envie de travailler à nouveau dans un boulot de ce type. En dehors de ce premier emploi catastrophique, je faisais assez confiance à mon instinct pour savoir que je ne m'épanouirai jamais sur ce type de jobs.
À l'époque, on venait de lancer la rémunération des YouTubeurs et autres gens du Net. Intéressée, j'ai commencé ma chaîne YouTube et j'ai adoré. Si au départ, j'ai beaucoup ramé pour avoir des vues, mon nombre d'abonnés a progressivement augmenté, et l'effet boule de neige a fait que, aujourd'hui, à vingt-cinq ans, quelques années plus tard, j'ai 2, 3 millions d'abonnés. Entre temps, j'avais aussi lancé un blog de conseils qui avait également pas mal pris. L'année dernière, j'avais également participé à un projet appelé Just... Laugh (à traduire : juste... ris, ce qui n'est pas très français, mais l'idée principale est claire : marre-toi devant nos conneries, point barre), organisé par TF1. Il consistait, avec plusieurs YouTubeurs, à écrire et tourner des courts-métrages (de vingt à trente minutes) à l'aide d'une équipe de la chaîne, qui passaient chaque Mercredi et Samedi à 16h00 pendant trois mois. De l'humour, parfois des leçons de vie... Le programme avait rencontré un sacré succès qui m'avait ravie et permis de déménager - un projet que je souhaitais réaliser depuis belle lurette. Nous sommes d'ailleurs en train de tourner une deuxième saison et le projet m'enthousiasme toujours autant.
Je vis bien, dans un appartement assez confortable et je suis entourée de gens positifs et sincères. Peut-être que j'aurais pu avoir une meilleure vie si j'avais continué mon premier métier, mais je suis épanouie, et c'est le principal.
Enfin, ça, c'est la version officielle. Parce que ma vie est loin d'être aussi parfaite qu'elle en a l'air et que je l'ai décrite plus haut.
Ma mère est morte quand j'avais sept ans - alors qu'elle était enceinte de son deuxième enfant.
Je suis l'unique témoin de sa noyade accidentelle et tous mes souvenirs de ce jour-là ont disparu. J'ai été victime de stress post traumatique pendant plusieurs années avant de réussir à tourner la page.Son nom est un tabou dans la famille où le sujet de sa mort est sacré - chose plutôt étrange dans ma famille excentrique et ouverte d'esprit, où se mélangent blancs et noirs, chrétiens et bouddhistes.
C'est mon père qui m'a élevée. Policier, il n'était peut-être pas le père le plus présent qu'il existe, mais il m'a toujours soutenue et encouragée, et tous nos moments complices, tous nos moments de rire restent gravés dans ma mémoire.
Les haters font aussi partie de ma vie courante. Si l'expérience m'a appris à passer outre, recevoir un message insultant ou péjoratif n'est jamais sympathique pour le moral.
Je me laisse tomber sur ma chaise de bureau et allume mon ordinateur.
En ce moment, avec le tournage de la deuxième saison de Just... Laugh, j'ai moins de temps pour tourner et poster des vidéos - mon rythme habituel étant d'en faire au moins une par semaine, si possible plus.
Comme chaque après-midi, à seize heures, quand je rentre du tournage, j'ouvre ma boîte mail. Rien de bien nouveau : ma facture de loyer et quelques vidéos débiles dont Evelyn - Eve, pour les intimes, ma meilleure amie - me bombarde chaque jour.
J'attrape ma tasse de café et regarde les commentaires postés sur ma dernière vidéo sortie la veille. « Tu nous manques, Liz ! », « Chouette, une nouvelle vidéo ! », « J'adore, j'adore, j'adore ! », « Elle a pas un peu grossi ? », « J'adooore ton haut ! Passez la réf, please ! », « Mouais, enfin... Faut pas exagérer, la meuf elle raconte sa vie sur Internet, quoi ! ». Ce dernier commentaire me fait éclater de rire. D'abord parce que la personne ne semble pas du tout se rendre compte de la grosse charge de travail que représentent mes vidéos, ensuite en voyant les nombreuses réactions de mes abonnés, qui contestent, s'indignent, me défendent.
En vérité, je ne raconte pas ma vie sur Internet - même s'il m'arrive assez souvent de glisser des anecdotes dans mes vidéos. Je poste principalement de l'humour - en général par rapport à des situations de la vie de tous les jours - et des conseils.
Je souris au commentaire de @juju224 qui me demande si je peux faire une vidéo sur comment avoir plus d'abonnés sur les réseaux sociaux, mais mon sourire s'efface devant le commentaire suivant.
Parce que ce n'est pas un hater comme les autres.
Parce que celui-ci ne semble pas être juste le fruit de haine dirigée contre moi, mais il paraît bel et bien contenir des informations sur mon passé que je n'ai jamais divulguées sur Internet.
Parce que je ne suis pas sûre de ce qu'il s'est réellement passé il y a maintenant dix-huit ans : pourquoi ce sujet est-il si tabou chez ma famille ? En étais-je juste spectatrice ou alors le traumatisme qui a effacé mes souvenirs de ce jour-là cache autre chose ?
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Le Poids du Doute
Short Story[en réécriture] Lizzie est jolie. Lizzie est intelligente. Lizzie est connue. Lizzie semble avoir une vie parfaite. Mais c'est faux. Car Lizzie a un trou noir dans son passé. Un gros traumatisme qui vient de son enfance. Un drame dont elle était l'u...