Il faisait très beau en ce mois d'Avril. Je sautillais partout dans la maison. J'étais suis très contente : la veille, ma maîtresse m'avait donné un bon point parce que j'avais bien récité ma poésie. J'étais tellement fière que je souriais encore le matin même. J'avais même oublié que Marie-Aude me faisait la tête parce que je n'avais pas voulu jouer au jeu des détectives avec elle.

- Arrête de courir partout, Lizzie, tu vas finir par te casser le cou ! s'exclama ma mère derrière moi.

Je me retournai et lui souris malicieusement. Elle tenait à deux mains son gros ventre, sur le tissu tendu de sa longue robe.

- Tu es sûre que c'est raisonnable, chérie ? s'inquiéta Papa derrière nous. Tu es quand même à deux mois à peine de ton accouchement...

- Mais oui, rétorqua ma mère en levant les yeux au ciel. Tu vas voir, ça va bien se passer.

Je sautai de joie en battant des mains. Aujourd'hui, on allait faire un pique-nique près du lac. J'avais hâte d'y être. Pour l'occasion, j'avais étrenné ma belle salopette toute neuve, bien repassée par Maman.

- Attention à ne pas te tâcher ! s'écria cette dernière alors que je courais dans le jardin.

Ils se sont mis à charger les sacs dans la voiture et je m'installai à l'arrière.

- Mets la radio, Papa ! je m'écriai.

Notre 4x4 roulait à la voix de Charles Aznavour pendant une quarantaine de minutes jusqu'au lac, où nous étions seuls, avec cette grande étendue d'herbe et d'eau rien que pour nous.

Dès que je sortis, je fis une roue dans l'herbe haute et manquai de tomber.

- Lizzie, tes habits !

- Désolée, M'man ! je m'écriai pour la forme, car en vérité, c'était loin d'être un détail important pour moi en ce moment.

Je respirai l'air frais à grandes goulées et aidai mes parents à installer la nappe. Maman sortit les assiettes, les couverts et les verres en carton, Papa prit la glacière et déposa sur la nappe son contenu : sandwiches, tomates, gâteaux apéritifs, boissons, yaghourts et même un sachet d'abricots. J'adorais les abricots !

Nous passâmes un début d'après-midi idyllique. Il faisait très beau, les oiseaux chantaient, mes parents rayonnaient et je m'amusais beaucoup.

- Beurk ! je m'exclamai avec dégoût tandis que Papa et Maman s'embrassaient sous les cerisiers. C'est dé-goû-tant !

Ils rirent de ma naïveté et de ma candeur et Papa m'attrapa pour me chatouiller le ventre.

- S'il... S'il te plaît, ahanai-je entre deux rire, arrête... Arrête, Papa !

Avant de partir, nous décidâmes d'aller faire un dernier tour sur le ponton du lac.

- Fais attention à ne pas tomber, me recommanda Papa en me pinçant la joue. C'et dangereux.

- Tu ne viens pas avec nous ? je m'étonnai.

- Non, j'ai vu une biche, juste à côté, dans la forêt, m'expliqua-t-il. Je vais essayer de la photographier.

Je courus en direction du ponton, Maman essoufflée derrière moi.

- Lizzie, attends..., s'essouffle-t-elle derrière moi.

J'arrivai sur le ponton et me penchai tout au bord de l'eau. J'étais déçue : il n'y avait pas de poissons. J'avançai ma main pour toucher l'eau, mais ma mère me demanda :

- Lizzie, recule, s'il te plaît.

Ma mère arriva derrière moi et me prit par les épaules pour m'obliger à reculer.

- Non ! je rétorquai en me dégageant de sa poigne.

- Lizzie, c'est dangereux ! Souviens-toi de ce que t'a dit ton père.

Je soupirai, histoire de bien lui montrer mon mécontentement et reculai de quelques pas. Je pris une moue boudeuse, mécontente.

- Lizzie..., soupira Maman. Tu ne fais pas la tête, quand même ?

- Je voulais toucher l'eau ! criai-je.

- Désolée, ma puce, dit ma mère en prenant sur elle. De toute façon, quand on père sera revenu, on va devoir y aller. Tu as école, demain, n'oublie pas.

- J'm'en fiche !

- Lizzie ! s'écria Maman, choquée. Je ne veux plus...

Elle ne finit pas sa phrase. Je fus éjectée en arrière et j'atterris quelques mètres plus loin, sur le ponton. Un homme en noir m'avait bousculée et projeta violemment ma mère dans l'eau.

Il s'enfuit aussitôt, tandis que je me rapprochai de l'eau.

- Maman ?

Aucune réponse. Elle n'était plus là. Le lac était sombre, je ne voyais pas à travers.

- Maman ?!

J'avais très peur.

- Désolée, Maman, je ne dirai plus jamais que je m'en fiche ! C'était pas vrai ! J'suis désolée, pardon, M'man ! Reviens, maintenant. S'il te plaît !

Et le silence, qui devenait soudain trop bruyant pour moi. Je resserrai mes genoux contre moi et bouchai mes oreilles, les yeux fermés, les épaules tremblantes, une seule pensée en tête : c'était ma faute.

Tout avait commencé un si bel après-midi...

Le Poids du DouteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant