Chapitre 5 : Portier ou pas?

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La première chose que je remarque, en paniquant un tantinet, c'est qu'il est vraiment plein. J'ai besoin de dissimuler ce que je vole : autrement je ne dors pas. Avant, j'avais peur que la poussière s'accumule sur les objets et se colle à mon âme, mais les dépoussiérages nocturnes ont allégé mes angoisses. Je range le savon sur l'étagère du bas, près d'une casquette des Yankees et de longues bougies torsadées en cire d'abeille. J'ai la nausée. Je n'avais pas besoin de cette savonette. Je me hais. Cette fois, c'est décidé : j'arrête de voler. De toute façon, je n'ai plus la place d'entreposer le fruit de mes larcins. L'exiguïté des appartements new-yorkais est tristement célèbre.

Notre deux-pièces, situé au-dessus d'un restaurant japonais, se trouve entre Lexington et la 3e Avenue, à la hauteur de la 30e Rue. J'ai longtemps raffolé des sushis. Jusqu'à ce que l'odeur tenace de poisson cru me dégoûte et attire carfards et souris. Les bestioles sont venues en masse. Je n'arrête pas de me doucher et, depuis que j'ai entendu parler d'une femme qui a été obligée de se faire opérer parce qu'un cafard s'était introduit dans son oreille, je dors avec du coton dans les tympans. Il m'est arrivé de ne pas entendre mon réveil sonner ; c'est cependant moins grave que de se faire retirer un insecte du conduit auditif.

Nous n'avons pas de portier. Nous avons Ben, un clochard noir qui dort dans le hall de l'immeuble. S'il est de bonne humeur, il vous ouvre la porte et vous gratifie d'un sourire édenté. En revenche, s'il a passé une mauvaise journée, gare aux croches-pieds. Ben est né en Géorgie, mais cela fait cinquante ans qu'il vit à New York. << Je viens de Géorgie >>, m'a t-il dit le jour de mon arrivée. J'essayais de hisser un énorme futon dans l'escalier et je m'arrêtais toutes les dix secondes pour jurer. J'aimerais bien voir la cave du sadique qui a inventé le futon. À mon avis, elle est probablement remplie de chaînes, de fouets et autres accesoires bizarres. Soit ce type n'a pas paris en compte le fait que des gens allaient devoir déplacer son matelas, soit il s'est délecté à l'idée de la difficulté que cela présenterait. De surcoît, ce jour-là, les amis qui avaient promis de m'aider avaient tous été frapés par le virus du déménagement et je maudissais le saint des Déplacements dès que mes tennis mouillées dérapaient sur les marches. Il avait plu toute la journée, << Puis-je vous donner un coup de main? >> a proposé Ben en s'emparant de mon fardeau sans me laisser le temps de protester, mais il se dirigeait déja vers l'étage supérieur. << Avant, j'tais déménageur professionnel >>, m'a-t'il confié. Je venais de passer quatres heures à charger une camionette louée et, si je ne la ramenais pas à temps à l'agence de location, j'allais devoir payer un supplément de soixante-quize dollards. Ben était ma bouée de sauvetage.

Il a transporté le reste de mes affaires tout seul et sans effort. Plus tard, j'ai appris que sa surprenante énergie provenait en fait d'un cocktail de speed et de cocaïne, mais sur le moment, je l'ai vraiment pris pour un pro. Par la suite, il m'a raconté qu'il avait également été cuisinier, nageur de compétition et chef scout. Je lui donne à manger et un peu de sa monnaie pour s'acheter de Jack Daniels.

Dès qu'il me repère sur le trottoir, il ouvre la porte de l'immeuble, se courbe de façon théâtrale et annonce en hurlant : << Madison MMMMMMMitchell ! >> C'est très gênant. Il empeste et j'ai récemment songé à lui proposer de venir se doucher chez moi, mais je pense que c'est John, notre propriétaire, qui devrait mettre à sa disposition un logement comprenant une cabine de douche. Après tout, Ben nous sert de conierge. John vit en face, dans un building, bien plus cossu que le nôtre, avec des palmiers en ports à l'entrée et un lustre dans le vestibule. Nous, nous avons droit à des bac en plastique où pousse du blé et à une ampoulr électrique qui ne fonctionne plus. Ils ont aussi un vrai portier qui sourit tous les jours.

Parfois, j'ai envie de dénoncer John à une organisation de défence des droits de l'homme - mais cela aiderait-il vraiment Ben ? N'est-il pas mieux dans un hall d'immeuble à moitié chauffé que dans la rue ? Le jour de mon déménagement, je lui ai donné un oreiller et une couverture qui ont par la suite disparu. Je ne comprends pas qu'il puisse préférer dormir à même le sol ; néanmoins, je ne vais tout de même pas faire la morale à un clochard alcoolique.

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Cleptomania (Harry Styles)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant