Chapitre 1 : le départ

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Aujourd'hui, un gendarme est venu me voir pour me dire que je devais partir. J'ai réunis mes quelques affaires et je suis parti avec lui. Il m'a emmené à la mairie la plus proche et m'a laissé là. J'ai attendu plusieurs heures avant que quelqu'un ait la décence de m'expliquer pourquoi j'étais là. Je savais qu'on est en guerre et comme j'ai 19 ans, je dois protéger mon pays. Et c'est ainsi que je me suis retrouvé dans la boue avec les rats, à défendre mon pays qui a organisé la plus grosse boucherie jamais imaginé par les tueurs en série ou les psychopathes. Ça fait déjà plusieurs jours que je tente de mettre fin à ma vie par tous les moyens mais toutes mes tentatives sont vaines. Les jours passent et j'en perds la notion du temps. Je relève légèrement la tête et constate que la neige recouvre le No Man's Land. On doit être en février. Tiens, c’est l'heure de l'assaut. Je vais pouvoir me dégourdir les jambes. Je sors des tranchées tandis que les premières balles fusent. Je cours tout droit pour que les Boches en face puissent me viser mais mon pied s'enfonce très profondément dans la boue (à ce stade là, c'est même plus de la terre, c'est de l'eau) et je m’effondre, la tête la première dans la boue. Apparemment, c'est bon pour la peau. J'espère que c'est aussi bon pour l'intérieur du corps que pour l'extérieur parce que je viens d'en avaler une gorgée. Ça a un goût de terre. De terre humide. Un peu comme de l'eau en Inde. Je reste là, sans bouger, à analyser le goût de la terre. Puis le bruit des balles cesse. Je me relève pour aller me faire tuer mais je trébuche sur un corps et m’effondre à nouveau, tandis que les Allemands tirent à nouveau sur nous. J’essaie de bouger, pour attirer leur attention mais ils sont trop occupés à tirer sur le reste du régiment pour se soucier de moi. Un de mes camarades vient m'aider à me relever puis il fait trois pas et s’effondre sous les balles. Je ne bouge pas, en priant pour qu'ils visent bien mais ils tirent à côté. Je cours vers eux dans l'espoir qu'ils me voient comme une menace mais déjà, ils n'ont plus de munitions. J'ai l'impression que le sort s'acharne sur moi. Mais je ne perds pas espoir. Je cours dans l’humidité terreuse (et non pas la terre humide) et esquive les cadavres tout en tentant de me prendre une balle perdue au passage. Mais comme je m'y attendais, aucune balle ne vient me délivrer de ma triste vie. Pourquoi est-elle si triste ? Je suis issu d'une famille pauvre. Tous mes frères sont morts à force de travailler sans repos pour rembourser une dette de famille. Mon père a dû vendre ses terres pour aider à rembourser. Ma mère l’a quitté dès qu'il avait signé le papier de vente. Mon père est mort de faim parce qu'il n'avait plus rien pour produire ce qu'il vend. Je n'ai ni femme, ni enfant. Personne ne m'attend à la maison. Même pas ma terre, je n'en ai pas. Rien ne me retient sur cette planète. Donc je me relève pour mourir sur le champs de bataille. Je cours vers le camp ennemi tandis que les camarades tombent comme des mouches autour de moi. Finalement, je suis encore vivant quand je tombe dans l'une des tranchées allemandes. Et sans m'en rendre compte, ils m'ont encerclé. Ils m'emmènent vers leur colonel pour qu'il décidé de mon sort. Ne parlant pas allemand, je n'ai aucune idée du sort qu'ils me réserve. Je prie pour qu'ils me tuent d'une balle dans la tête ou dans la nuque. Je serais bientôt fixé, ils m'embarquent pour m'emmener vers un souterrain en mur de boue séchée. Là, ils m’attachent à l’aide d’une corde. Le colonel arrive avec une chaise et il m'interroge en français sur nos plans.
-Qu'est ce que vous comptez faire ?
-C’est-à-dire ?
-Quels sont vos plans ?
-Je ne sais pas. Si vous croyez que le gouvernement français communique ses plans à tous les fantassins, on n'aurait pas fini. En plus, comme ce sont les fantassins qui se font capturés, ce sont uniquement les personnes hautes placées qui connaissent les plans. J'aurais bien aimé vous aider mais je ne sais rien, désolé.

Le colonel se lève et parle froidement à ses hommes. Il leur ordonne sûrement de me tuer puisque je ne leur suis plus d'aucune utilité. Ils m'emmènent encore, leurs armes à la ceinture. Un sourire que je n'arrive pas à contrôler se dessine sur mon visage malgré la situation. Les allemands, me voyant tout sourire, me disent avec un fort accent :
-Tu sais que tu vas mourir aujourd'hui ?
-Oui, c'est ça qui me rend heureux.
-Parce que tu n'as pas trahis ton pays, tu penses que tu vas mourir en héros ?
-Pas du tout. Si je pouvais faire perdre mon pays, je le ferai. Y a un truc , quand même, qu'il faut que vous compreniez bien les gars. Si vous voulez, moi, à la base, je suis une balance. C'est le postulat de départ, on a devant soi, une balance. Donc, une personne, si vous voulez, qu'on a pas besoin de cogner puisqu'elle vient elle-même délivrer l'information, sans que vous ayez même à la demander. Parce que non, pourquoi je vous dit ça ? Puisqu'on est à une heure et demi d’une balle dans la nuque là, et si je vous dit que je ne sais rien, c'est que, effectivement, je ne sais rien. Sinon je vous aurait tout dit.
-Pourquoi ?
-Parce mon pays ne m'a jamais aidé au cours de ma vie. Il m’a toujours laissé dans la merde. Une fois, j'ai rencontré un politicien. J'ai trébuché et sans faire exprès, je lui ai marché sur le pied. Quand je me suis relevé, il m'a regardé comme si j'avais commis un crime d’État. Le pire, ça a été quand mon père est mort. À 15 ans, je devais gérer seul la terre qu’il avait vendu à l'État.

Les deux soldats allemands écoutent avec attention mon récit. Finalement, ils changent d'avis et me laissent partir avec une de leurs armes, ainsi que leur veste, car ma tenue est en lambeau et pleine de boue. Je me retrouve donc dans un champs désert et silencieux, ravagé par les obus. C'est alors qu'une idée me traverse l'esprit. Je prends l'arme allemande et la pose sur ma tempe. J'appuie sur la détente et seul un petit clic vient briser le silence au lieu du pan assourdissant attendu. Putain, il est vide. Heureusement, il me reste des munitions. Je décide de les charger mais les balles ne sont pas adaptées à mon arme. Fait chier ! Il faut que je retourne vers les tranchées françaises. Ou alors je pourrais déserter. L'idée me plait bien. Mais si je déserte, ou vais-je aller ? La réponse m’apparaît alors comme une évidence : vers la mort. Malheureusement, je n'en ai pas le temps. Un français me trouve près des tranchées allemandes et il m'emmène vers son camp, une arme (chargée, cette fois) sur ma tempe. Mais je ne peux rien faire pour mourir. Il me prend pour un soldat allemand et ça serait con qu'il se fasse virer le premier jour parce qu'il a abattu le seul prisonnier allemand depuis des mois.

Une fois arrivés, il me confie à son colonel en lui disant ou il m’a trouvé. Ensuite, ils discutent du fait que j'ai une arme allemande et leur tenue. Ils décident de m'interroger sur leur éventuel plan d'attaque mais avant que le soldat ai fini de parler, je leur dit :
-Les gars, vous savez que je suis français ? J'étais dans le 27ème régiment d'infanterie et les Allemands m'ont fait prisonnier.

Ils me regardent, dépourvus. Je leur raconte donc mon récit, tout en accentuant bien le fait que si j'avais su ce que la France comptait faire, je l'aurais dit volontiers aux Boches. À ce moment précis, le colonel devient rouge de colère et il m'engueule, me disant que c'est une chance d'être du côté des Français, du côté des « Vainqueurs ». S'en suivi alors un débat enflammé sur lequel à la meilleure chance de gagner la guerre. Finalement, il me laisse partir au bout d'une heure et demi d'entretient. Je retourne dans les tranchées françaises pour me faire tuer sur le champs de bataille. Mais apparemment, les Allemands ont cessé les assauts. Tant pis. Ce sera pour une prochaine fois. Je reste dans les tranchées avec mon bataillon, à attendre le prochain assaut allemand ou notre prochain assaut. Finalement, ce sont les Boches qui se sont manifestés les premiers, à bord de leur toute nouvelle arme secrète : des avions. Si l’un d'entre eux s'écrase, il pourra peut être abréger ma souffrance éternelle. Je prie pour que nos armes les touchent. Soit elles vont ricocher contre l'acier et peut-être me toucher, soit elles vont transpercer la peau de métal de ces avions. Elles ricochent contre l’oiseau de fer pour venir s'encastrer dans la terre à côté de moi. Je tente d'en toucher une mais rien n'y fait. Elles tombent toujours à côté. Peut-être que si j'avance, j'aurai plus de chance de me faire toucher par une balle perdue. Donc je cours vers les tranchées allemandes en priant pour qu'une de leurs balles me touche. Tandis que je cours, une balle me frôle la jambe droite, arrachant un peu de chair au passage. Je m'effondre au sol, l'une de mes jambes ne pouvant plus supporter mon poids. Pourtant, je me relève et continue de courir malgré ma blessure à la jambe. Et je pense que ce n'est qu'une égratignure. Je cours comme un dératé vers la mort mais elle s'éloigne à chaque fois que je fais un pas. Les avions font demi-tour pour se ravitailler en carburant ou en munitions. Le colonel continue d'avancer donc je le suit, en espérant que les allemands auront bientôt rechargé leurs mitraillettes. Au final, nous atteignons leurs tranchées sans encombre. Une fois arrivés là, nous tuons tous les allemands présents, sauf ceux qui pourront éventuellement nous dire leurs plans d'attaque. Une fois cela fait, nous emmenons tous nos prisonniers dans une petite pièce, sombre et humide, construite à la va-vite pour torturer les éventuels prisonniers. Comme j'avais déjà subi leurs tortures, on m'a demandé d'assister à ce spectacle macabre. J'entre donc dans la salle, les prisonniers allemands attachés à une chaise. Mon regard croise celui de l'officier qui m'a interrogé. Il a l'air déterminé. Il ne va pas craquer facilement. Il semble me reconnaître et me salue d'un signe de tête. Mon général le remarque et me demande :
-Tu le connais ?
-Oui.
-D'où ?
-C'est l'officier allemand qui m'a interrogé quand j'ai été capturé.

Le SurvivantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant