Chapitre 2 : Connaissances, amis et ennemis

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Le colonel n'a pas l'air satisfait de ma réponse mais je n'en ai cure et reporte à nouveau mon attention sur le colonel allemand. Pour me punir de ma mauvaise réponse, mon général m'ordonne de torturer l’homme qui m'a salué un peu plus tôt. Étant donné que c'est mon supérieur hiérarchique, je suis obligé d'accepter, même si cela ne me plaît pas. Je regarde à nouveau mon général, puis le colonel. Les deux ont un regard de fer. Sachant que je serai exécuté si je désobéis, le décide donc de faire les choses bien. Je m'approche du prisonnier, un poignard à la main. Mon général arbore un grand sourire. Son sourire s'efface vite quand il se rend compte que je coupe les liens qui entravaient le colonel allemand. Ensuite, je retourne le couteau et je me le plante dans le ventre. Là, je me retourne vers mon supérieur. Il est aussi rouge que le sang qui entache mon uniforme bleu. Il dégaine son arme et hurle :
-Traitre ! Je savais que tu étais du côté allemand. Je vais te buter, espèce de salopard sans foi ni loi !
-Ce que vous dites est faux. Je ne suis pas sans foi ni loi. J'obéi à mes propres lois qui sont de sauver les êtres humains quand je le peux.

Ça n'a pas l'air de le convaincre. L'officier allemand se lève de sa chaise et mon sang coule sur le sol. Il se plante devant moi et écarte les bras pour me protéger. Puis il dit la chose la plus stupide que j'ai jamais entendu :
-Je suis prêt a mourir pour l'homme qui m'a sauvé la vie.
-QU'EST-CE QUE TU FOUS, BORDEL !? ON EST EN TEMPS DE GUERRE, SAUVE TA PEAU, ESPÈCE DE CON ! Quant on peut abattre un ennemi par n'importe quel moyen, on le fait.
-C'est pas ce que t'as fait, répond-t-il en me regardant.

Pendant ce temps, le colonel français nous regarde sans savoir sur qui tirer. Mon sang entache ma tenue et je ne tarde pas à m'effondrer au sol, dans la flaque d’hémoglobines. Tous tentent de me maintenir debout tant bien que mal mais je retombe inlassablement au sol, tel un chiffon. La seule chose qu'ils parviennent à faire, c'est d'agrandir la flaque de sang sur ma tunique et au sol. L'un d'entre eux retire le couteau, pensant que c'était une bonne idée. Il avais tord. Il s'en rend compte d'ailleurs car le flot de sang s'intensifie et la flaque rouge et visqueuse au sol s'étend encore un peu plus. Ensuite, je perds connaissance.

Je me réveille dans un endroit tout blanc. J’ai réussi ? Je suis mort ? C'est le Paradis ? C'est pas aussi beau que ce l'on dit mais ça a un certain charme. Puis ma vision se fait plus précise et je distingue une tâche jaune sur une bâche blanche au dessus de moi. Alors c'est une tente ? Mais, du coup, je suis mort ou pas ? Je tente de me lever mais la douleur est trop forte et je repose ma tête. Que s'est-il passé ? Ou suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? Je me rappelle alors avoir libéré un prisonnier allemand puis mon général me pointait une arme dessus. Que s'est-il passé ?! Puis tout me revient en mémoire : ma « trahison », mon ennemi qui me protège de mon colonel et mon sang qui se répand sur le sol. Pourquoi le colonel ne m'a pas tué ? QUE S'EST-IL PASSÉ ?!!! Je tente encore une fois de lever la tête et cette fois-ci, j'y parviens. Non sans difficultés et quelques vertiges, certes, mais j'y parviens. L’infirmière, une petite bonne femme de 35-40 ans, un peu ronde, se penche vers moi pour prendre ma température. Ses cheveux noirs bouclés tombent en cascade autour de son visage et viennent me chatouiller les narines. Elle les prend à la racine et les attachent en queue de cheval avec un foulard. Elle me prend la température en posant une main sur mon front, puis sur ma joue. Sa peau glacée vient apaiser mes vertiges et je me rend compte que je suis brûlant de fièvre. Elle se relève et disparaît de mon champs de vision, qui se limite au bout de tente au dessus de ma tête. J'entends des chuchotements à l'autre bout de la tente mais je ne peux distinguer ce qu'ils disent. Donc, j'attends. Au bout de quelques minutes, l'infirmière revient et me dit que j’ai une permission pour rentrer chez moi. Des militaires vont venir me prendre demain pour me ramener chez moi. Enfin ! Je vais pouvoir rentrer dans mon village. Les habitants vont être tellement contents de pouvoir me critiquer à longueur de journée. Ils vont à nouveau pouvoir m'insulter de fainéant devant leurs enfants. Et moi, je vais pouvoir me reposer chez moi, sous un pont qui relie deux terrains. J'attends avec impatience l'arrivée des militaires qui me ramèneront chez moi. C'est sarcastique.

Le lendemain, comme convenu, les militaires arrivent et m'embarquent dans leur camion. Le voyage est long et désagréable car, à chaque nid de poule, à chaque dos-d'âne, ma blessure au ventre me fait souffrir. Quand nous arrivons dans mon village, les militaires me demandent mon adresse. Je leur indique donc le terrain de l'autre côté du pont. Ils roulent doucement pour ne pas louper ma « maison » et ils s'arrêtent au milieu du pont.
-Nous ne pouvons avancer plus loin si vous ne nous autorisez pas à entrer sur votre propriété.
-Ce n'est pas ma propriété.
-Mais alors, où habitez-vous ?
-En bas.

Au début, ils ne comprennent pas. Puis ils regardent sous leurs pieds. Puis ils me regardent. Le chauffeur redémarre le camion et fait marche arrière.
-Où allez vous ?
-Vous allez voir.

Je proteste comme un enfant, suppliant fiévreusement pendant tout le voyage, réclamant qu'on me ramène sous mon pont. Le camion s'arrête à nouveau, devant une maison au toit rouge (c'est la seule chose que je peux voir dans ma position). Là, les soldats me soulève et entre dans l’auberge « Chez Gilbert » (j'ai lu la pancarte devant la porte) sans même prendre la peine de toquer à la porte. Une jeune femme vient nous accueillir en protestant sur nos manières de faire. L'un des soldats la prend à part et lui explique la situation. De là où je suis, je ne perçois que des chuchotements. Pourquoi tant de secrets ? Je les soupçonne de parler de moi. Au bout de quelques minutes, la jeune femme revient avec le soldat et elle nous guide dans l'une des chambres de la bâtisse. Mes camarades me posent doucement sur le lit et ils ressortent puis montent la garde devant la porte de la chambre. La jeune femme qui nous avait accueillit revient me voir, une serviette humide dans les mains. Elle demande aux soldats-sentinelles de la laisser seule avec moi et ils prennent congé. Elle applique la serviette sur mon front fiévreux. Qu'elle est belle avec ses yeux vert pomme. Ses beaux cheveux rouges couleur sang tombent en cascade sur mon visage et leur délicate odeur de pomme verte (comme ses yeux) vient m’apaiser. Les senteurs de la nature me rappellent mon enfance et me calment comme par magie. Je retire ma main de ma blessure et caresse la joue de mon infirmière personnelle. Un peu de mon sang se dépose sur son visage, ce qui la encore plus séduisante. Elle me questionne sur ma vie d'avant pour briser la glace. Comme je n'aime pas que le monde sache que je suis un sans-abri, j’enjolive ma vie :
-Je vivais dans mon petit chez-moi, tranquillement, je faisais ma vie. Ma maison se trouve entre la terre des Rosnowski et des Kowalski. Comme je vis seul, je fais les tâches ménagères. Je faisais donc la vaisselle quant un gendarme est venu me dire que la France est en guerre. Et je me suis retrouvé dans les tranchées à défendre ma patrie.
-Je sais que vous êtes un sans-abri. Le soldat m'a tout raconté tout-à-l'heure.
-Vous devez alors savoir pourquoi je ne suis pas mort comme un traitre.
-Pourquoi tuer un héros ?
-Un héros ?
-Oui. Grâce à vous, on a découvert la stratégie des allemands.
-Comment… (j'ai peur de la réponse.)
-Le colonel allemand que vous avez épargné a décidé de parler à condition que vous soyez sauvé et acquitté.

Je la regarde avec apeurement. Il a pas fait ça, ce con. Il a pas parlé. Putain ! Tout est de ma faute ! Merde ! Je tente de me lever mais la femme à mon chevet me plaque brutalement sur le lit. Elle me dit que ça ne sert à rien et que le soldat allemand est mort des suites de la torture qu'il a subi. Je n'aurai passé que quelques jours avec cet homme mais je me suis attaché à lui. Une larme roule sur ma joue et mon cœur se serre dans ma poitrine. Je m'allonge sur le lit, dépité. La belle rousse continue de me poser des questions sur la guerre et je lui réponds vaguement. Au bout de plusieurs tentatives de discussion entravées par mon silence, elle se lève et quitte la chambre. Putain, j'y crois pas. Il s'est sacrifié pour me sauver. Mais pourquoi moi ? Je ne lui ai rien demandé, à cet égocentrique qui se prend pour un héros de la guerre. C'est alors qu'une de ses répliques me revient en tête : « une vie pour une vie ». Il a sacrifié sa vie pour sauver la mienne. Mais quel égoïste ! J'y crois pas. Je me suis sacrifié pour le libérer, trahissant mon pays pour sa petite gueule et lui, il gâche tout ! Mais quel con ! Je tente de me lever de mon lit mais les vertiges qui m'assaillent ont le même effet que mon infirmière : ils le plaquent au lit. Mais, n'écoutant que ma fierté blessée, je me lève et ouvre la fenêtre. Je regarde en bas et le toit d’un entrepôt m'offre la possibilité de sauter sans me casser un bras. Je passe une jambe, puis l'autre et saute. J'atterris maladroitement sur le toit, produisant un bruit sourd. Merde ! Je vais me faire repérer si je continue comme ça. Ah ben non. Je suis déjà repéré. Un homme aux cheveux noirs et courts sort de l'auberge avec un fusil pointé sur moi. Je remarque qu'il a une jambe de bois, ce qui explique pourquoi il n'est pas à la guerre malgré son jeune âge (peut être 5 ans de plus que moi).
-C'est toi le salopard qui a osé coucher avec ma femme ?! (De quoi parle-t-il ? Enfin, je m'en fous, il a une arme à la main.)
-Oui, c'est m…
PAN !

Le SurvivantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant