Je m'effondre avant d'avoir pu finir ma phrase. Je suis encore conscient, c'est juste que mes jambes ne me soutiennent plus. Je tente de me relever avec mes bras mais mes jambes sont trop faibles pour me porter. Je n'ai même plus assez de force pour les bouger. J'aurai pas pu juste mourir ? Non ! Il a fallu que mes jambes cèdent pile à ce moment précis. J'en ai marre, putain. J'en peux plus, je veux juste mourir.
-Arg ! Gnfphmpf... Aeouch !Mes bras ont eux aussi cédé. Ma mâchoire a donc brutalement heurté le toit de l'entrepôt. Et voilà que ce dernier commence à grincer. Je le soupçonne de s'effondrer dans 3, 2, 1... Et voilà. Je l'avais dit. Je me retrouve donc dans une pièce en béton sans toit, sur un amas de bois et d'ardoises rouges. L'homme qui m'avait menacé s'avance vers moi en boitant légèrement. Il me regarde de ses yeux de la même couleur que la tignasse qui lui sert de cheveux. Je le regarde à mon tour et constate que soit il a bu une quantité astronomique d'alcool, soit il est très en colère. Ou les 2, vu la teinte de son visage. Mais je suis trop sonné par ma chute pour dire quelque chose. Il me prend par le col et me soulève avec une facilité déconcertante (j'ai perdu tant de poids que ça ?). Ma tête dodeline sur mon cou, au gré des secousses générées par l'homme qui me soulève. Mon corps est semblable à un chiffon qu'on a essoré : il est tout mou. L'homme finit par me lâcher et je m'écroule comme un sac sur les gravats. Ma supposée amante vient à ma rescousse et explique la situation à son mari. Ce dernier se calme petit-à-petit, au fur et à mesure des explications de sa femme. Quant à moi, j'écoute vaguement leur conversation. Mon infirmière me jette un regard en coin et je la vois paniquer. C'est marrant de les voir s'affairer autour de moi. Je vois leurs lèvres bouger mais je n'entends que des bruits sourds. L'homme s'approche de moi et me soulève sans ménagement puis il court vers l'auberge, moi dans ses bras. Après, je ne sais plus. Il me semble que je perds connaissance.
Je me réveille dans mon lit, à l'auberge. Mes souvenirs d'avant mon réveil sont vagues. Je me souviens de moi qui passe par la fenêtre de ma chambre. Je voulais rentrer chez moi, sous mon pont. Cette envie est toujours présente mais elle est aussi irréalisable : on m'a attaché au lit. Je ne peux plus bouger. Je suis attaché comme on attache un fou. On dirait un chien qu'on enferme dans une cage ou qu'on enchaîne à un mur. Je ris quant à ma condition de bête. Mon fou-rire rauque et grinçant alerte mon infirmière et son mari. Je les entends monter les escaliers quatre à quatre. La porte s'ouvre à la volée. Leur souffle saccadé par l'effort et la panique me fais sourire. Ils s'approchent de mon lit et leur visage apparaît dans mon champ de vision.
-Ça va ? Que s'est-il passé ? On a entendu du bruit...
-Ça va, je vais bien. Je trouve ça amusant que je sois attaché comme un chien, alors que j'ai réussi à faire parler un allemand pendant la guerre. J'ai fait tourner la roue, j'ai changé la face de la guerre, je suis un héros de guerre, et on m'attache comme une bête. C'est ironique.Ils se regardent entre eux et l'homme s'approche de moi pour dénouer mes liens. Une fois libéré, je me lève et serre mon infirmière et son mari dans mes bras puis je passe le pas de la porte. Je commence à descendre les escaliers et ma vision se brouille. Je suis forcé de m'appuyer sur la rambarde pour ne pas tomber. Une fois en bas (après une descente plus risquée que les mois passés dans les tranchées, un fusil sans cesse braqué sur moi), je m'effondre au sol, faute de support. Je me relève et ma jambe droite me lance à cause de ma blessure. C'est alors qu'un chien apparaît. Un beau labrador au poil brillant et fournit. Il s'approche de moi, craintif. Je lui tend ma main pour le caresser mais il s'éloigne brusquement en grognant. Je tente de le calmer car un chien en colère peut devenir violent. Et je ne suis pas en mesure de me défendre contre une mouche dans l'état où je suis. Je marche doucement vers le labrador. Il commence à grogner et à pivoter vers la droite, toujours en face de moi. On dirait un duel, où l'un des deux concurrents peut sauter sur l'autre à tout moment. À force de tourner, nous avons fait un demi-tour. Je recule tout doucement vers la porte et les grognements se calment petit-à-petit. Je me retrouve dos au mur avec soulagement. Le fait d'avoir un support pour éviter que ma tête entre en contact avec le sol me réconforte. Je marche vers la porte, collé au mur. Une fois arrivé à destination, après énormément de détours dû aux angles des murs, je sors dehors et me met à courir vers la liberté qui me tend les bras. Ma jambe droite me lance encore plus mais je trace, craintif que mes hôtes me retrouvent et m'attachent à nouveau au lit, comme un fou. Rapidement, je retrouve le chemin de mon pont. Rien n'a bougé. Rien n'a changé. Rien n'a été volé. Ma vieille couverture en laine est toujours là. Mon petit pommier n'a pas été déraciné. Je vois des pommes vertes qui commencent à perler sur les branches, parmi les feuilles. Je les regarde, osant à peine les toucher tant elles sont belles. Finalement, la faim l'emporte. Je croque dans une pomme et la recrache immédiatement. Elle n'est pas mûre. Tant pis. J'ai faim. Je croque une autre bouchée et la mâche avec difficulté tant elle est acide. Au final, j'ai fini ma pomme et ma faim s'est calmée. Je retourne vers mon abri et m'enroule dans ma couverture en lambeau. Son odeur, si proche de la mienne, me fait me sentir chez moi, à ma place. La rivière qui s'écoule m'apaise et me calme. Je laisse mes pensées suivre le courant de l'eau. Je commence à somnoler puis, s'en m'en rendre compte, je m'endors d'un sommeil profond et sans rêve.
Je me réveille avec une cruelle et terrible envie de fermer à nouveau les yeux. Ce que je fais. Maintenant, je dois trouver un moyen de les maintenir fermés pour toujours. Non, je ne veux pas devenir aveugle. Je veux mourir. Pendant que je réfléchis, le murmure de la rivière vient bercer mes oreilles. Ce serait dommage qu'un animal se noie dans le cours d'eau. Mais oui, la noyade ! Sans attendre une seconde de plus, je cours et me jette à l'eau. Puis je me laisse couler. Ma vision se brouille et s'obscurcit jusqu'à ce que je ne vois plus rien. Mes poumons me brûlent. Mon cœur cogne fort dans ma poitrine. Encore quelques secondes... Je sens quelque chose de doux m'effleurer le visage. Sûrement une algue. Mais il n'y a pas d'algues dans les rivières. Mon cerveau n'est pas suffisamment oxygénée, j'ai du mal à réfléchir. Je me sens alors aspiré vers le fond. Je perds connaissance avant que mon dos ne touche les rochers au fond de la rivière.
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Le Survivant
Historische Romane1914, la guerre éclate dans le nord de la France. Les allemands répliquent. Un jeune français pas très patriote est envoyé à Verdun. Grâce à lui, le cours de la guerre va changer en faveur de la France. Mais on étouffe son exploit, de peur que ses...