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Loïe râla et se leva. Elle eut un regard désolé pour sa psychologue avant de tourner en rond dans la pièce. Sous ses pas, le vieux parquet craquait d'un bruit sec. Le plancher faisait de l'oeil aux moulures abimées du plafond qui donnaient malgré tout, du cachet au cabinet. Celui-ci était situé au 3 ème étage d'un immeuble datant du XVIIIème siècle. Anciennement construite sur Pilotis et entourée d'eau, cette riche demeure appartenait surement à un ancien armateur s'étant enrichi du commerce triangulaire. Ce marchandage épouvantable avait marqué la ville de Nantes et de Bordeaux en y laissant de grandes bâtisses dont l'allure contrastait avec l'horreur que les esclaves avaient vécu. Loïe se fit la réflexion qu'encore aujourd'hui la société de consommation exploitait des centaines de millions de personnes au prix du bonheur et de la prospérité de milliers d'autres.

À la fenêtre, on pouvait apercevoir le vieux CHU qui devrait bientôt perdre ses fonctions. Une route séparait l'hôpital et les pelouses du quartier Feydeau.

C'est dans la contemplation tranquille des environs que Loïe prit soudainement peur en apercevant une voiture qui se stoppa en plein milieu de la route. Elle se frotta les yeux pour s'assurer que ce qu'elle voyait était réel et qu'il y avait vraiment des personnes insensibles à ces pauses temporelles.

Trois hommes et une femme sortirent de la voiture.

De loin, elle vit qu'ils étaient habillés de longs manteaux noirs et qu'ils portaient des chapeaux Homburg de la même couleur. Leur tenue lui faisait penser à inspecteur gadget en plus terrifiant. Ils s'approchèrent de l'immeuble et à mi chemin la femme l'aperçut. Elle arrêta ses collègues et d'un hochement de tête ils se mirent à courir vers l'immeuble.

Loïe se mit à trembler et sans réfléchir quitta le bureau de la psychologue. Elle monta l'escalier en bois à toute vitesse alors qu'au rez de chaussé, ils tentaient de forcer la porte. Le 5ème et dernier étage était occupé par une professeure de Piano. Par chance, son studio était ouvert car elle l'occupait actuellement avec l'un de ses élèves.

Loïe se précipita dans la pièce et se cacha derrière un long rideau bordeaux qui occultait la lumière.

Elle s'efforçait de ne pas trembler, terrifiée dans ce petit renfoncement. Elle les entendit fouiller l'immeuble et l'un d'entre eux dit d'une voix qu'elle avait déjà entendu quelque part :
« - Je monte au 5ème! »

Ses pas rapides frappaient les marches violemment. Peu à peu, il se rapprochait d'elle.

« - Il faut qu'on la retrouve avant que le temps reprenne son cours!!! On doit absolument l'emmener avec nous. On n'a pas le choix, elle nous a vu. » Cria une autre voix dont le bruit se faisait plus lointain que le grincement de la porte du studio s'ouvrant peu à peu.

Loïe avait la respiration coupée. Elle se terrait, complètement immobile, la peur lui serrant les entrailles.

Tel un félin agile, il avançait doucement la cherchant dans la pièce.

Soudain, alors qu'elle sentit qu'il s'écartait un peu, elle entendit des notes de piano, jetées à la volée dans le silence. Les notes s'agrippèrent les unes aux autres pour former une mélodie. Elle reconnut l'air de Prokofiev. Bien qu'affligée par la peur, elle avait quand même envie de jeter un coup d'oeil pour regarder l'individu s'emballer sur cette musique puissante. Mais quand la mélodie devint plus stressante, plus forte, plus vive et plus grave, elle se ravisa. Alors que la musique prenait de l'ampleur, Loïe restait stoïque, interprétant la cadence essoufflée des notes de piano comme une menace terrible.

« - Edgar, veux tu arrêter de jouer cette pièce d'amour ridicule et te remettre à chercher plus minutieusement!? »
Ordonna la voix forte qui s'était déjà exprimée auparavant qui rajouta en criant d'un ton acerbe :

Et le temps s'arrêta. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant