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La capuche rabattue sur la tête, les yeux perçant les trombes d'eau qui s'abattaient avec force sur la route, Loïe marchait toute seule, coupée du monde, perdue. Chaque jour depuis qu'elle avait appris le décès de sa soeur, son quotidien se composait de ses larmes ruisselantes, de ses questions sans réponse, de ces coups de poignards itératifs qui transperçaient  son âme, de sa douleur aïgue qui ne partait pas et du parfum d'injustice qui se mêlait amèrement à celui de l'incompréhension la plus totale. La vie avançait sans elle, le chagrin la clouant sur place. Un vide l'abritait pour qu'elle ne sombre pas dans le chaos. Elle avait l'impression qu'on la poussait aux bords de ses retranchements les plus infimes. Jamais elle n'avait pensé avoir la force d'atteindre de telles limites, jamais elle n'avait pensé pouvoir surmonter un sentiment aussi insupportable. En fait, en vérité, elle ne le supportait pas... elle était complètement abattue, elle n'arrivait pas à puiser la force qui lui fallait pour passer cet obstacle. Elle préférait flotter dans le vide plutôt que tomber dans ce gouffre béant qui ne pourrait pas la retenir. La encore, dehors sous la pluie elle avait essayé de s'enfuir. Mais, on ne peut pas quitter sa vie, on ne peut pas échapper à son passé, on ne peut pas tout oublier. Ce n'est pas comme si Loïe n'avait pas cherché le bouton « start again ». Ce n'est pas comme si elle n'avait pas tout essayer. D'abord elle avait essayé de nier. Elle n'en avait pas parler à sa mère. Elle avait essayé de se dire que c'était tout à fait incohérent. Mais parfois, ce qui n'a pas de sens, en prend soudainement un quand un gendarme vient sonner à votre porte vous confirmer l'impensable.

Ça faisait un mois. Déjà. Loïe n'avait pas fait sa rentrée à la fac, à la place, elle passait ses après midis chez le psychologue qui tentait soigneusement de recoudre son coeur. Loïe ne se livrait pas car elle avait peur qu'une fois qu'elle ait tout déballé; tous ces souvenirs partiraient en lambeaux. Elle ne voulait pas perdre les derniers moments partagés avec sa soeur. Elle ne voulait pas recréer des souvenirs sans sa soeur qui, sans qu'elle s'en aperçoive rongeraient ceux qu'elle gardait précieusement. De plus, elle savait qu'elle se sentirait coupable si elle essayait d'aller mieux. Elle se sentirait coupable de vouloir essayer de passer au dessus de tout ça.

Avec comme seule compagne, sa solitude qui ne la quittait plus elle rentra chez elle. Elle grimpa les escaliers et s'enferma dans sa chambre. Elle dévisagea le tableau qu'elle avait peint la veille du départ d'Émée encore et encore et alors que ses sanglots reprirent de plus belle, elle plongea dans un sommeil profond sans se préoccuper de savoir quelle heure il était.

Loïe fit ce qui lui sembla être un rêve des plus étranges. Dans son rêve, elle se leva et quitta sa maison à 4 heures et 5 minutes du matin. Elle prit la voiture, alors qu'elle n'avait pas le permis (elle l'avait loupé 3 fois). Elle se gara près d'une petite montée sur laquelle on pouvait apercevoir les lumières de Nantes. Elle monta la colline jonchée de très vieilles pierres volcaniques et entourée de vignes. La haut, sous l'arbre gigantesque elle s'assit sur un banc et contempla les étoiles peuplant la nuit noire. Rien ne semblait bouger. Elle attendit que le soleil se lève pendant ce qui lui sembla être une éternité. Fatiguée, et alors que le soleil ne se levait pas, elle reprit la voiture pour rentrer chez elle et remarqua avec surprise que l'horloge de la voiture déraillait complètement puisqu'elle indiquait toujours « 4 heures 05 ». Sur la route elle ne croisa absolument personne jusqu'à ce qu'elle aperçoive un chat entièrement noir assis au bord de la route. Le chat était totalement immobile et ne bougea pas d'un poil lorsque la voiture le devança. Dans son rétroviseur, Loïe ne le vit pas non plus évoluer. « Quel chat bizarre » se dit elle. Une fois sa voiture garée dans l'allée de la maison, elle se décida de rester dans la voiture pour écouter la radio, intéressée de connaître ce qui pouvait y passer de si tôt. Elle l'alluma, mais rien ne marcha, elle eut beau changer de station aucune des radios n'émit le moindre son. « La voiture a un véritable problème » se dit elle. De peur d'oublier de confier le message à sa mère, elle glissa un post it dans la boîte à gant. D'ailleurs, elle trouva dans celle ci une photo de sa soeur et elle. Accrochée au sourire qu'elles affichaient plus jeunes, elle s'échappa de la voiture et monta dans sa chambre. Une fois dans celle ci, elle glissa sa photo dans le tiroir de sa table de chevet sous un de ses magasines. Puis, prise de vertiges, elle s'écroula sur son lit.

Loïe se réveilla vers 10 heures et se remémora sa nuit. Elle demanda à sa mère le visage éteint si la voiture avait un problème de radio ou d'heure. Mme Gatway, endormie et complètement amorphe, lui répondit que non absolument pas et qu'elle en était certaine.

Loïe se rendit compte alors qu'elle avait vraiment fait un rêve étrange. La journée passa lentement mais cette fois Loïe ne décrocha pas une larme même si cela ne tenait pas sa tristesse en rigueur.

Le soir sans rien avaler elle s'affala de nouveau sur son lit et s'endormi paisiblement.

De nouveau, elle fit un rêve des plus étrange où elle allait chez les voisins. Cette fois, quand elle se leva son réveil affichait 23 heures 24. Les voisins faisaient une soirée, elle pénétra chez
eux, et chose étrange ils étaient tous immobiles et elle avait l'impression qu'il ne la voyait pas. Elle assistait comme à un véritable mannequin challenge. Elle sonda chaque personne de la pièce jusqu'à apercevoir Marc le propriétaire de la maison servir une de ses invitées. Sa femme le couvrait d'un regard tendre et amoureux, alors que son mari avait les yeux cloués dans ceux de la jolie blonde qu'il servait. Celle ci portait d'ailleurs une jolie robe qui mettait sa poitrine en valeur. Si les yeux de Marc etaient à l'instant dans les siens, Loïe devina que plus tard ils sauraient se poser sur ce beau décolleté. A coup sur, Loïe se doutait bien qu'il se passait quelque chose entre ses deux là mais ce n'est pas ce qui la choqua. Les gouttes de vins en suspension dans l'air qui sortaient de la bouteille de bordeaux s'apprêtant à rejoindre le verre vide la firent trembler d'avantage. Il était clair et net qu'elle hallucinait. Cherchant une logique à son rêve elle rejoint la cuisine où elle prit avec délice une part de cake à l'olive. En face de l'horloge, un peu perdue et la bouche pleine elle s'aperçut qu'il était toujours 23 heures 24. Dans un silence, elle regarda les alentours et se fit l'hypothèse que le temps était suspendu. Au fond d'elle, elle en était certaine (et puis de toute façon ce n'était q'un rêve)... Elle s'essuya la bouche par mégarde avec une petite serviette en papier qu'elle fourra au fond de la poche de sa veste kaki. Elle rentra chez elle et à nouveau prise de vertiges étranges qui lui donnaient un mal de crâne horrible elle s'effondra sur son lit.

Le matin elle se réveilla tard, et resta au lit jusqu'à 13h. Sa mère ne s'était pas levée non plus. Elle se sentait alourdie du poids de sa vie qu'elle trouvait inlassablement pénible. Oui, elle déprimait complètement se laissant dépérir. Elle choisit de se lever. Aujourd'hui elle devait aller voir la psychologue, sa mère l'y emmena les yeux mouillés. Dans la salle d'attente, Loïe prit machinalement un magazine qui trainait sur la petite table basse. Il n'y avait personne à part elle jusqu'à ce que rentre un homme d'une beauté étrange à l'allure féline. Il s'assit en face d'elle et croisa ses longues jambes. Il se tenait incroyablement droit comme s'il était coincé du dos et rien ne pouvait trahir son agilité que démentait sa démarche souple plus tôt. Il sortit un carnet et alors qu'il mit des lunettes rondes et sévères, son regard croisa longuement celui de Loïe. Ses yeux étaient d'un bleu profond très clair, glacial. Il sourit mais ce sourire ne rassura pas la jeune fille qui se sentait dévisagée. Elle se sentait si mal à l'aise en présence de cet homme un peu plus vieux qu'elle. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait croisé personne. Elle essaya de se convaincre que si elle se sentait si épiée c'est parce qu'elle avait du mal à percer à nouveau dans le monde social. L'homme se mit à dessiner sur son carnet et à noter quelques informations. Cachée derrière son magazine elle avait tout même l'impression que le grand blond sexy étrange et effrayant l'observait de temps à autre. 10 minutes plus tard qui lui semblèrent durer une éternité la psychologue entra dans la salle d'attente pour accueillir Loïe un sourire sur les lèvres. La jeune fille se leva et rejoignit sa bonne fée, la psy. Alors que le blond la suivit du regard, elle eut le temps de jeter un regard sur son carnet. Et là, ce qu'elle vit lui fit froid dans le dos. L'homme l'avait dessiné. Elle en était sure. Presque à la porte du cabinet, elle fit soudainement volte face et lui arracha le cahier de dessin des mains.

« - Monsieur je m'excuse mais le portrait c'est so moyenâgeux vous auriez pu me prendre en photo, j'aurais même peut être pu accepter un selfie. »

Il la dévisagea un poil étonné mais portant toujours ce petit sourire moqueur à la bouche. Avec poigne, elle lui prit son téléphone des mains et se prit en photo avec. Elle le lui rendit puis lui cracha au visage :

« - Si vous réalisez une quelconque étrange étude sur les gens dépressifs, sachez que je suis le pire des cobayes, car je ne suis jamais les codes, et que le temps va vous paraître très long avec moi.

Ses dents se laissèrent à s'apparaître sous ses lèvres fines.

- Tu ne crois pas si bien dire Loïe... Il se leva quitta la pièce en s'adressant à la jeune fille dont il connaissait déjà le nom : Au plaisir de te revoir ma jolie. »

Et le temps s'arrêta. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant