Chapitre 1.10

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Le jour suivant, la jeune fille quitta comme à son habitude la demeure familiale dès qu'elle eut respecté les commodités d'usage : sa présence au petit déjeuner et l'approbation docile des commandements de sa mère, dans une méthode bien rodée pour que cette dernière se désintéresse d'elle au plus vite. Aussitôt sortie, elle regretta que sa présence ce jour-ci ne soit pas requise à l'herboristerie, où elle aurait pu se confiner et s'absorber dans n'importe quelle tâche qui, nécessitant son attention soutenue, lui aurait offert le loisir de se détourner des pensées douloureuses des circonstances de la mort de sa sœur qui venaient d'être rappelées à son souvenir. La nuit dernière son sommeil avait été peuplé de cauchemars qu'elle ne désirait pour rien au monde voir se poursuivre à son réveil. Obéissant aux directives de Ma'a, elle avait revêtu la longue cape rouge, que la température printanière, assez fraîche, si ce n'était pour la protection, justifiait de porter. Au-dessus d'elle, le ciel, gris depuis la fête avortée, laissait craindre d'autres averses. Le retour des jours ensoleillés représentait pour Elfée un attrait particulier ; l'éveil de la nature, la hausse des températures, s'avéraient tant d'occasions de quitter l'atmosphère oppressante qui régnait au sein de son foyer et exerçait sur elle une pression mortifère. L'absence de pluie pour l'heure se révélait suffisamment engageante, et l'idée d'une excursion solitaire en forêt germa assez vite dans son esprit. Il ne lui échappait pas qu'il s'agissait précisément de ce que Ma'a lui avait défendu en son absence, mais le sentiment que les bois ne représentaient pas un danger pour elle la convainquait de ne pas commettre là une erreur, de plus elle portait sa cape, n'est-ce pas ? La nécessité de savoir, de comprendre était trop forte pour se montrer raisonnable, les réponses, si la vieille herboriste ne voulait les lui donner, elle les obtiendrait par elle-même, ou tout du moins ne serait-ce que le début d'une piste. Elle emprunta les rues étroites, fuyant celles où existait le plus grand risque de croiser des passants, les bois entourant le village, peu lui importait quelle partie de la forêt elle rejoignait ; elle se dirigea vers le nord, là où ses pérégrinations ne l'avaient pas encore menée, et tandis qu'elle progressait, les habitations se firent plus espacées, puis plus rares, bientôt remplacées par la végétation désordonnée et l'épaisseur des arbres bordant le chemin de terre qu'elle poursuivait. Ce dernier se resserra, et la jeune fille passa devant une maisonnette de bois, accolée à la forêt, tenant probablement encore debout par un miracle de la nature, tant la construction branlante paraissait avoir bénéficié de réparations là où d'autres auraient considéré qu'il n'y avait là plus rien à sauver. Elfée n'y jeta qu'un bref coup d'œil et s'avança avec légèreté sous le couvert des arbres ; la pluie de la veille avait imbibé le sol déjà humide qui était devenu spongieux par endroits et, pensant à la boue qui déjà maculait ses chaussures et ne manquerait pas de soulever des questions de la part de sa mère, hésita un instant à poursuivre, un instant de trop. Une voix bourrue l'interpella.

— Hé toi ! Pas dans la forêt ! ordonna-t-elle.

Elle se figea et pivota lentement sur ses pieds, avisant l'homme d'âge mûr qui sortait de la maisonnette en semi-ruine et clopinait dans sa direction, le poing méchamment levé comme pour manifester son mécontentement. Pendant une fraction de seconde elle envisagea de l'ignorer et de fuir dans la forêt, mais changea d'avis en apercevant Loup à la suite de l'homme, que faisait-il ici ?

Celui-ci saisit l'homme par l'épaule.

— C'est bon, je m'en occupe, allez-y, lui glissa-t-il.

L'homme hocha la tête et repartit en sens inverse, maugréant tout de même pour faire bonne mesure. Loup avança à la rencontre d'Elfée, sur son visage les hauts pins projetaient leur ombre sans toutefois empêcher la jeune fille de rencontrer l'éclat vif de ses prunelles. Il avait l'air surpris, désagréablement ou pas, Elfée ne pouvait se prononcer tant il mettait un soin particulier à contrôler toute expression de son visage qui laisserait entrapercevoir ses émotions.

— Que fais-tu ici ? s'enquit-il d'un ton prudent.

— Je pourrais te retourner la question, esquiva la jeune fille.

— Je vis ici.

Il désigna d'un geste du bras l'habitation délabrée.

— Oh, fut la seule réponse qui parvint aux lèvres d'Elfée, qui s'était attendue à tout sauf à cette explication, en vérité des plus logiques.

Quant à celle à laquelle lui s'attendait... Elle espérait simplement qu'il n'en viendrait pas à penser qu'elle le suivait. Elle se contraignit à reprendre contenance.

— Je pensais faire une balade en forêt, expliqua-t-elle, je ne m'étais pas imaginé que je risquerais ici de me faire... surprendre.

Il la fixa intensément, elle le dévisagea en retour, chacun jaugeant chez l'autre la personnalité sous l'enveloppe de chair.

— Après les tout récents événements, commença-t-il en choisissant ses mots avec soin, je trouve cela en effet, assez surprenant.

Promenons-nous dans les boisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant