Chapitre 2

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Quatre heures sonnaient. Madame Roussel et ses quatre enfants, Théo, Lucie, Nicolas et Alzire, se réveillaient d'un sommeil lourd et profond. Il avait plu une bonne partie de la nuit et le pavé de la rue Agrippine Ière était jonché de larges flaques d'eau.

Chacun leur tour, tous passèrent à la douche, chacun frissonant au contact froid du gaz parfumé.

Ils ne mangèrent que très peu, n'aillant pas vraiment faim à cette heure matinale.

Dehors, il faisait encore nuit, une nuit profonde fouettée par le vent violent de février. Ils marchèrent jusqu'à la gare où ils retrouvèrent les Vineuil qui les attendaient là.

Comme la veille, personne ne dit rien. On attendit seulement Kayla Wind et ses parents et Isaac qui arriva seul. Ses parents étaient morts lorsqu'il était très jeune et il vivait à présent chez ses grands-parents pour qui il était absolument impossible de se déplacer jusqu'à Prime maintenant.

Tout le monde monta dans le train déjà rempli de voyageurs. Le flux de français arrivant dans cet engin fut continu jusqu'à son départ à cinq heures trente exactement.

Chacun se serra pour économiser les places assises: Alzire, la benjamine de la famille Roussel, sur les genoux de sa mère, Lucie sur ceux de Théo son frère aîné, Kayla sur ceux d'Isaac, Sonya sur ceux de Jules. Charles (le grand frère des jumeaux Sonya et Jules) et Nicolas (le petit frère de Lucie) se relayaient pour se partager la dernière place assise du train.

Il régnait un silence de mort. Personne n'osait vraiment se regarder dans les yeux, il n'y avait que des regards vides qui observaient le sol, la fenêtre ou qui relisaient encore et toujours le même écriteau sans en comprendre jamais le sens.

Lucie observait le paysage défiler à une vitesse folle devant ses yeux. Elle observait le Soleil se lever tranquillement comme chaque matin, partageant de nombreuses couleurs éclatantes de lumière. Du jaune. Du orange. Du rouge. Du rose. Du violet. Puis du bleu.

Mais, en arrivant aux abords de Prime, le ciel fut soudain recouvert d'une épaisse couche de nuages gris tirant sur le noir.

Après deux heures de voyages, le train s'arrêta brusquement dans une secousse qui ne fit bouger personne tellement chacun était serré contre son voisin dans cette boîte de métal. A peine les portent étaient-elles ouvertes que chacun se précipita dehors en direction de la sortie.

Par toutes les voies, des trains venant de tous les environs arrivaient. Sur le quai d'en face, en descendant, Lucie croisa le regard d'un jeune homme. Il devait avoir son âge à peu près, c'est-à-dire quinze ans. Ou peut-être était-il légèrement plus vieux. Au premier coup d'oeil, il ne semblait éprouver aucune émotion. Pourtant, Lucie aurait juré qu'il était triste; même peut-être qu'il avait peur.

Elle n'eut pas le temps de le regarder plus longtemps qu'elle fut déjà emportée par le courant pressé des hommes se rendant à l'hommage d'un mort à qui ils n'avaient jamais adressé la parole. Lucie rechercha le Mystérieux Inconnu du Quai mais elle ne le vit pas. Il était perdu dans cette foule. Elle ne le reverrait sans doute jamais.

Soudain, elle sentit une main se glisser dans la sienne. C'était celle de Nico, son petit frère, qui craignait d'être séparé de sa famille dans cette cohue. Théo était quelques mètres derrière, surplombant les plupart des gens autour de lui, tenant fermement la petite Alzire dans ses bras.

Tous suivirent machinalement le troupeau qui devait sûrement se rendre au Grand Palais. Ils s'entassèrent sur la place qui faisait face aux grilles de cette immense demeure.

Au deuxième étage, Lucie crut apercevoir la silhouette d'une jeune fille qui observait la foule de sa fenêtre. Il aurait été impossible de l'affirmer, mais Lucie était persuadée que la jeune fille l'avait fixée.

A huit heures, la musique commença. Partout sur la place, de larges écrans fixés en haut des lampadaires montraient des photos du défunt empereur.
Tout le monde se mit à chanter l'hymne impérial d'une seule et même voix.

Soudain, un bruit sourd se fit entendre. De la fumée s'échappa au loin, vers les grilles du Palais qui devaient être à deux cents mètres de Lucie. Il s'agissait d'une fumée épaisse et noire comme les ténèbres.

On vit des militaires traîner un homme par les épaules à travers la foule. Sûrement celui qui avait tiré l'engin explosif. Personne ne leva la tête vers l'homme dont le rire transperçait les tympans de la foule solennelle.

Ces centaines de milliers d'êtres humains restèrent là toute la journée, même après le coucher du soleil, à honorer une dernière fois Lucius Ier, désormais en cendres, qui partait au cimetière dans son urne d'argent.

Vers dix-neuf heures, les gens se décidèrent enfin à rentrer chez eux.

Les chroniques de LucieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant