Chapitre 1 : "Tout le monde te trahit un jour ou l'autre"

72 19 46
                                    

C'était une nuit calme. La brise fraîche faisait danser les roseaux au bord du lac Dangeon. Autour, les arbres de la forêt abritaient les nids de nombreux oiseaux endormis. Les chouettes hululaient et chassaient les mulots dans la plaine voisine, tandis que les prédateurs nocturnes sortaient de leurs cachettes.

Dans le ciel, les étoiles brillaient, comme d'habitude, cachées derrière un voile de brume. Le croissant de lune éclairait faiblement le chemin qui menait à la forêt, partant de la ville Dauvers et passant par des broussailles qui n'avaient pas été coupées depuis plusieurs années. Ce chemin, peu utilisé, passait au-dessus d'un pont, enjambant une rivière polluée dans laquelle une usine déversait ses déchets quelques kilomètres plus haut.

Vers vingt-trois heures trente, un renard déguerpit de sous un buisson, près du pont : deux silhouettes s'approchaient à vive allure.

-Purée, Gatien... fit une voix. Marche plus vite ou on va se faire attraper !

-Mais non, personne ne nous a vus sortir. Il n'y a aucun risque ! Ils se réveilleront demain matin, et on sera déjà bien loin !

-Arnaud nous a vus !

-Mais c'est parce qu'il nous a aidés à nous enfuir, dit Gatien avec amusement. C'est notre ami !

-Et alors ? Il peut très bien nous trahir et avoir déjà prévenu mon père et Pascal ! Ah, mais pourquoi as-tu tellement insisté pour le mettre dans la confidence !

-Estelle... soupira Gatien. Puisque je te dis que c'est notre ami. Pourquoi irait-il donc nous dénoncer alors qu'il a tant travaillé pour nous faire sortir de cette maudite ville ?

La dénommée Estelle lança un coup d'œil nerveux par-dessus son épaule pour s'assurer qu'ils n'étaient pas suivis.

-Dans ce royaume, il n'y a pas de place pour l'amitié, dit la jeune fille d'un ton assuré. Tout le monde te trahit un jour ou l'autre. Le seul moyen de ne pas être victime de trahison, c'est d'être seul et de ne faire confiance à personne !

-Tu ne me fais pas confiance, alors ? Tu veux que je te laisse seule ?

-Je te fais confiance, à mon plus grand regret, parce que j'ai la malchance de t'aimer, et je ne veux pas te quitter. Mais je sais très bien à quoi m'en tenir : comme tout le monde, tu me trahiras un jour, et je te trahirai !

-C'est fou comme tu peux être joyeuse et louer la vie, fit ironiquement Gatien.

-Si tu n'es pas content, rentre chez Pascal ! répliqua Estelle.

Gatien grimaça à l'idée.

-Non, je ne préfère pas. Et je ne t'abandonne pas.

-Alors dépêche-toi !

Ils traversèrent le pont en se faufilant entre les broussailles, et poussèrent un soupir de soulagement en voyant la forêt à quelques centaines de mètres.

Des clameurs au loin leur coupèrent alors le souffle. Ils se retournèrent, apeurés, et virent aux portes de la ville des silhouettes à cheval tenant de grandes lanternes. Des aboiements retentirent, annonçant l'arrivée de chiens, et un grésillement les prévint que leurs poursuiveurs s'étaient armés de fusils à énergie électrique.

-Trahison, siffla Estelle. Je te l'avais bien dit : Arnaud nous a trahis !

-Mais... fit Gatien, sans comprendre. Pourquoi ?

-Pourquoi ? répéta Estelle. Mais pour gagner un peu d'argent et s'acheter du pain, bien sûr ! La survie de sa famille est plus importante que son « amitié » envers toi, la carotte ! Maintenant, cours sans te faire repérer !

La Quête de la LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant