Chapitre 1

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Taken se massa les tempes, depuis son arrivée quelques six mois plus tôt la migraine ne l'avait jamais quitté, la montagne de linge puant devant lui n'allait pas aider. N'avoir qu'une tenue par semaine ne permettait définitivement pas de garder sa dignité ou son odorat surtout que les douches étaient à peine plus fréquentes qu'une tenue propre. Il soupira, un nouveau message de propagande passait sous le dôme, chaque heure du jour ou de la nuit un message de ce genre raisonnait.

" Vous êtes des hommes de l'ancienne terre, désuets qui ne suivent pas le progrès, l'évolution ne saurait le tolérer, le schéma qu'elle suit n'a jamais varié, tout ce qui est dépassé meurt, à chaque nouveau stade de l'homme le stade précédent a cessé d'exister. Vous êtes dépassé, mais nous vous aimons, comme nos frères ! Laissez-nous vous aider ! Revenez auprès de nous ! Acceptez les implants ! Réinsérez-vous dans votre société, elle ne demande qu'à vous accueillir"

Il jeta un œil à ses collègues, certains semblaient à bout, privés de liberté, de dignité, d'intimité. Ces messages pouvaient paraître réconfortants. Après tout, revenir à la "civilisation" c'était ne plus vivre dans ces immeubles où chaque étage n'était qu'un immense dortoir où la cohabitation se faisait avec une vingtaine d'individus de même sexe. Le sexe opposé étant de toute façon parqué dans un autre quartier que le vôtre, ce serait pouvoir manger et choisir son menu au lieu de devoir se contenter de ses pilules qui ne coupaient pas la faim en plus de n'avoir aucun goût, contrairement à l'eau qui semblait toujours croupie, une affaire de recyclage, comprenne qui pourra. Revenir à la civilisation c'était pouvoir faire autre chose que "boulot, métro, dortoir", avoir une vie, mais quelle valeur avait une vie que l'on ne contrôlerait plus, du moins pas plus que celle que l'on avait ici, les implants choisiraient pour vous le "meilleur" parcours.

Taken soupira chargeant le linge dans les immenses machines qu'il lui faudrait ensuite programmer, comme chaque jour, pour qu'elles fonctionnent. Le système est vicieux non ? Si vous ne programmez pas les machines, elles ne tournent pas et votre travail n'est pas fait ce qui vous astreint à subir une punition, dont nous allons vous épargner les détails par égard pour votre estomac, mais si vous programmez la machine alors vous vous soumettez à la technologie, une petite réinsertion forcée quelque part. Être sur la lune vous force à vous soumettre, mais elle, elle vous pousse à la rébellion.

Une rébellion qui vient pour Taken de la plus belle des façons, par amour. Par amour pour un frère de galère, pour celui qui lui avait appris à survivre ici. A son retour Ted contrairement à son habitude n'était pas à les attendre près de la porte pour s'assurer qu'ils allaient bien, et si nécessaire soigner leurs petits maux au plus vite pour ne pas attirer l'attention, de ceux qui étaient pire que les protecteurs. Non ce soir Ted était roulé en boule au fond de sa paillasse, serrant son bras contre son torse en retenant difficilement ses sanglots, Taken courut à ses côtés craignant le pire ses tripes brûlant de la certitude de ne pas se tromper.

"Ils vont venir Taken,... les démons... ils vont venir... cache-moi... je t'en supplie cache-moi"

La fièvre s'était visiblement déjà installée, l'odeur de la peur commençait à saturer l'air. Le jeune mage le prit contre lui, berçant son corps pour l'apaiser, il avait du temps devant lui, ils attendraient que la terreur soit à son paroxysme dans le dortoir pour venir. Les démons... ceux qui osaient se faire appeler médecin, des bouchers, des bouchers sadiques plus précisément. Il n'oublierait jamais l'horreur qui lui avait glacé le sang dans les veines la première fois qu'il les avait vus, les hurlements du blessé hantaient encore ses cauchemars. Tout le temps de leur torture ils avaient poussé le blessé à accepter les implants, revenant chaque jour pour l'y forcer sous couvert de lui apporter des soins pour sa rémission, soins toujours aussi douloureux sur un corps toujours plus épuisé. Il avait fallu sept jours avant que la douleur soit trop forte, trop insupportable et qu'il cède. Taken serra les dents, ils ne feraient pas ça à Ted, pas temps qu'il pourrait l'empêcher. Il lui chuchota une douce litanie de mots de réconfort prenant le membre blessé pour l'examiner.

"Ted tu me fais confiance ?

- Je... Qu'est-ce que tu vas faire ?

- Ted je peux t'aider, mais tu dois me faire confiance. OK ?

- Ouais

- Poses ta main sur mon cœur"

Il caressa les doigts un instant en ultime geste de soutien avant de commencer, Taken posa une main ferme sur son poignet pour le maintenir et l'autre sur son coude. Il soupira sa flamme se rebellant. Elle était combative et vindicative, elle n'avait aucun désir de soigner ou d'apaiser. Il la poussa toujours plus vers Ted refusant de le laisser comme cela, il la contraindrait à agir autant qu'il le jugerait nécessaire menant une furieuse bataille intérieur. La bataille prit fin avec un sursaut qui ne venait d'aucun d'eux, non, le sursaut d'une petite flamme renaissante grâce à une étincelle, elle était si petite et gracile qu'une simple larme avait suffi à l'éteindre, mais elle se rallumait maintenant dans le cœur de Ted, s'attirant les bonnes grâces de la flamme de Taken qui coula vers elle pour la réconforter et la raviver. Taken put alors replacer les os et forcer la consolidation, sa flamme se prêtant désormais volontiers à l'exercice familier. Elle n'avait plus sa douceur d'antan et il entendit Ted couiner, il lui adressa un faible sourire d'excuse concentré sur sa tâche. La petite flamme avait grandi pendant les soins nourrie par la sienne elle semblait danser joyeusement désormais, était-ce elle qui permettait encore à Ted de sourire après plusieurs années ici ? Cette si petite flamme ? Était-ce elle qui éclairait leur enfer de tant d'espoir ? Il leva enfin le regard vers Ted, il avait mal et ne pouvait le cacher.

"Ça ira. D'accord ? Ça va encore faire un peu mal, mais ça ira.

- Comment tu... merci mon frère, merci"

Ted l'écrasa contre son torse s'accrochant à lui comme si sa vie en dépendait et quelque part c'était vrai, il venait de lui épargner des heures voir des jours de souffrances qui se seraient soldés par la soumission aux machines. Maintenant il avait une chance de garder l'esprit clair.

Blue MoonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant