Blue Moon

Chapitre 2

Les médecins arrivèrent seulement quelques minutes avant que les lumières du dortoir s'allument claquant les portes contre les murs, ils étaient trois comme toujours, ils s'avancèrent comme un seul homme dans leurs vêtements propres les prenant de haut leurs implants illuminant la pièce. De vrais clichés de film d'horreur.

"Un contre-maître nous a informés que vous aviez besoin de notre expertise, vous le savez pourtant les implants vous évitent d'être blessés, ils vous préservent, vous protègent, ils améliorent vos réflexes et préviennent de la majorité des blessures, sans compter qu'ils améliorent grandement vos chances de guérison, ils vous épargnent la douleur. N'est-ce pas folie de refuser un tel présent ? Allez allez que le blessé vienne, nous n'avons pas de temps à perdre, les soins à l'ancienne sont longs et si douloureux. Vous resterez tous pour le soutenir n'est-ce pas ?"

Ce n'était pas une question, personne ne prit donc la peine de leur répondre. Ted avança, Taken sur les talons une main sur son épaule pour le soutenir, personne n'était assez fou pour mentir et prendre sa place, les médecins savaient qui ils venaient voir, mais n'hésiteraient pas à "soigner" quiconque serait sur leur passage.

"Mon contre-maître s'est inquiété pour rien, tout va bien maintenant, ce n'était que le choc.
- Un os cassé sans implant ne se remet pas en une nuit, monsieur Jenkins, ne faites pas l'enfant et venez vous faire soigner."

Il lui saisit le bras avec force pour l'examiner les hématomes étaient toujours visibles, il n'y avait aucun de doute que la poigne de l'homme allait en provoquer de nouveaux, Ted avait la sensation qu'il voulait lui broyer le poignet. Malgré son inspection plus que minutieuse l'homme ne trouva pas de trace de la fracture, pas même d'une foulure, il grogna de frustration fusillant du regard celui qui aurait dû être son souffre-douleur. Il pinça les lèvres visiblement déçu ne pouvant se permettre de trop en montrer devant les autres.

"Il semblerait que vous soyez chanceux et que l'on nous ait fait venir pour rien. Vous allez être en retard messieurs, hâtez-vous dans vos ateliers."

Les médecins partirent leur jetant des regards suspicieux, ils se sentaient floués, pressentant que quelque chose n'était pas normal. La chance de Taken résidait dans le fait que leur système ne pouvait admettre l’existence même de sa flamme. Ils avaient cherché en vain la présence de technologie qui aurait pu guérir la blessure, mais la magie n'était pas imaginable pour leur esprit atrophié. La petite flamme se remit à danser dès qu'ils eurent passé la porte, elle s'était figée de terreur à leur arrivée. Les deux amis se sourirent alors que d'autres y répondaient aussi, la pièce semblant se réchauffer, pour la première fois ils avaient gagné contre le système et sourire ne leur semblait plus interdit. Ted avait une flamme, il était donc comme Taken lié à la terre... s'il ne connaissait pas la magie alors c'est sûrement qu'il ne s'était pas éveillé à elle avant d'arriver ici, était-ce la magie qui les avait tous rendu réfractaire à la technologie ? Refusant de la faire entrer dans leur corps les conduisant jusqu'à l'exil ? Auraient-ils tous une flamme ?

Taken n'eut pas le temps de s'appesantir sur la question, préférant courir jusqu'à son poste de travail la peur au ventre, il ne devait pas arriver en retard. Il se mit au travail sans attendre sachant que traînasser ne lui apporterait rien de bon, tout retard pour se rendre sur son lieu de travail ou rentrer au dortoir était sanctionné par ces très chers protecteurs, sauf bien sûr si les médecins les gardaient pour leurs petites séances de torture psychologique.

Le message de propagande qui raisonna quand il acheva de charger l'appareil eut une saveur ironique particulièrement douce pour Taken qui en rit légèrement, il n'avait plus ri depuis son arrivée pourtant.

"Les implants vous gardent en bonne santé adaptant vos repas et activités à votre forme physique afin que vous soyez toujours au top de votre forme. Acceptez les implants ils amélioreront votre vie. Accepter les implants c'est dire oui à la santé et à une longue vie heureuse"

L'arrivée des implants et leur volonté de vous garder sauf avait été assez comique à voir, mais seulement au début, au début jusqu'à ce que les gens cessent de se battre contre la machine qui "désirait uniquement leur bien". Les implants interdisaient l'accès à certains menus ou lieus, ils interdisaient aussi de quitter les salles de sport tant que vous n'aviez pas fait suffisamment d'exercice, vous interdisant d'entrer ailleurs que dans une salle de sports si vous refusiez de vous y rendre seul, ils peuvent aussi choisir de vous garder captif de votre chambre jusqu'à temps que vous ailliez suffisamment dormi, parce qu'ils contrôlent toute votre maison, ouverture automatique des portes, activation de la cafetière et tant d'autres fonctionnalités.

Les implants font de vous les prisonniers de votre corps et d'un dictât du beau, allant jusqu'à votre miroir vous bombardant d'annonces de chirurgie esthétique, ciblées sur vos "défauts". Toute votre vie constamment passé au crible par ces machines ne s'arrêtant jamais. Peut-on encore s'estimer libre quand une machine juge jusqu'au choix de votre slip ? N'hésitant pas à vous rappeler à chaque fois que vous vous remettiez les parties en place que c'est de votre faute, elle vous avait conseillé un choix plus judicieux, mais bon au moins pour le slip vous pouvez encore désobéir. En exil et prisonnier de ce camp de concentration, loin de sa planète adorée, mais tellement plus libre que tous ceux qui y demeurait. Ici la propagande était si évidente qu'elle ne trompait personne c'est l'épuisement qui les forçait à se soumettre pas un quelconque espoir que leurs paroles soient vraies.

Taken soupira chargeant une énième fournée de linge à l'odeur putride, ce monde lui donnait l'envie de vomir, de rendre tripes et boyaux si tant est que ça puisse le libérer. Sauf que le seul moyen de sortir d'ici demeurait d'accepter les implants, une petite mort lente et si douloureuse. Finirait-il par mourir ici ? Il commençait à le croire.