Prologue

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Je ne pensais pas que mon père était sérieux lorsqu'il nous a annoncé qu'il avait hérité de cette vieille maison en pierre à la mort de mamie. Et encore moins quand il a dit que nous allions passer de longues et reposantes vacances là-bas, au fin fond de la campagne française. En général, je ne me sens pas concerné par ce genre d'événements – les successions, pas les vacances – qui sont des affaires d'adultes comme ils aiment les appeler. Après tout ce n'est pas comme si cela changeait quelque chose à ma vie.

Il se trouve que, pour une fois, c'est malheureusement le cas. Papa était sérieux pour les vacances. On m'a à peine laissé le temps de me remettre des examens de fin d'année – adieu le calvaire du lycée – que me voilà déjà catapulté dans un avion entre mes parents. D'un côté il y a mon père, tapant furieusement sur son clavier, incapable de lâcher son travail même pendant les vacances, et de l'autre ma mère, déjà shootée par ses calmants. Elle déteste l'avion. Il paraît que moi aussi, mais je ne m'en rappelle pas.

Direction la vieille bicoque à la campagne, à plusieurs milliers de kilomètres de chez moi, qui plus est. Quitte à posséder une résidence, secondaire, autant que cela soit une ruine à l'autre bout de l'Europe, après tout.

Je branche mes écouteurs et ferme les yeux en m'enfonçant dans mon siège, priant pour que ces deux mois et demi de vacances passent plus vite si je dors du matin au soir, en plus du soir au matin. Et encore, il paraît que l'été est tellement chaud dans le Sud de la France qu'on ne peut pas dormir sans air conditionné. C'est sûr que, à Helsinki, la question ne se pose même pas.

Je sens une pression sur mon bras, et ouvre un œil pour regarder ma mère. Elle me dévisage avec un mélange d'espoir et d'inquiétude, persuadée que ce voyage me sauvera ou causera ma perte. Je ne vois pas comment l'une ou l'autre de ces hypothèses pourrait se réaliser.

D'abord parce qu'il n'y a rien à sauver, ensuite parce que je n'ai rien à perdre.

— Tout va bien, kulta ?

Je ne sais pas si elle parle de l'avion, ou de moi de manière générale. Peu importe. Je me contente de hocher la tête et referme les yeux.

Comment lui dire qu'elle n'a rien à attendre de moi ? Et puis, qu'est-ce qu'elle attend finalement ? Que je me fasse des amis avec qui m'enivrer dans les bars ? Que j'aille sauter dans les vagues ? Jouer au football ? Elle sait que ça me rend malade, tout ça. Papa le sait, lui aussi, et pourtant il me laisse tranquille. Il sait que je n'ai besoin de personne. Personne, à part moi-même et mes dessins.

Ça, c'est moi. Passer des heures au bord du lac l'hiver à dessiner ou à peindre les arbres nus sous la neige, jusqu'à ce que je ne sente plus mes doigts. Ça ne me rend pas heureux, mais ça m'empêche de penser au reste. Au vide. A tout ce que personne ne voit.

Jusqu'à ce que lui voie en moi tout ce que je ne voyais pas.

Il est entré dans ma vie comme un éclair qui transperce la nuit.

Et l'orage me terrifie.

Painting Stars [ÉDITÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant