Première heure

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Victoire avait pour royaume un village perdu. Elle avait pour contrée le vide des terres labourées, pour peuple des paysans et des marins. Victoire régnait sur ce petit territoire sans partage, seule. Victoire est une princesse sans prince et une fille qui n'a pas de mère. Heureusement pour elle, son frère la protège, n'est jamais loin. Il veille sur elle, comme un chien de garde sur une maison précieuse, comme un pirate sur son trésor.

Elle avance doucement, sur des terres qu'elle foule depuis son âge le plus tendre. Chaque morceaux de terres qui s'accrochent à ses chaussures, chaque brins d'herbe qui verdissent le bas de sa robe nacrée, Victoire les piétinent depuis longtemps.

La lande sur laquelle elle se rend, est remplie de coquelicots. Du rouge sur du vert, du sang sur la terre. Personne ne s'y approche à par elle et son frère qui n'est jamais très loin. Le petit peuple à peur de ses plantes suceuses de sang, il craint, tout ce qui sort de l'ordinaire. D'un ordinaire bien trop rempli de choses fantasques et sans aucun sens selon elle.

Au moins, Victoire Blasser était seule quand elle s'adonnait à son art. Elle avait le champ libre sur de multiples horizons. Elle emporte toujours dans ses poches, des crayons, un carnet et de jolies petites lunettes à montures dorées. Celle de sa mère, morte en lui donnant la vie à elle et son jumeau.

Elle regarde le ciel bleu, l'horizon verdâtre de la mer et s'assoit. Elle attend. L'inspiration est pour elle une parole divine, une voix venue d'ailleurs qui lui dicte ce qu'elle doit dessiner.

Des oiseaux volent au loin dans le milieu des landes. Son frère grogne d'impatience. Pourtant Victoire ne les entend pas, elle est déjà loin.

« Bonjour Frère Maynard. Venez je vous en prie, venez vous asseoir. Prenez un gâteau également. Ils viennent de chez le petit épicier du village. Ils sont succulents vous verrez. J'en suis particulièrement friand ses temps-ci. A croire que je me laisse aller aux devants de mes plus vils instincts. »

Le frère Maynard pris un trépied et s'assit. Cela faisait du bien d'être posé, d'avoir un reposoir autre que des bancs de pierre ou des sandales de cuir, qui chauffées par le soleil, vous brûlent la plante des pieds. Une boîte en fer-blanc était ouverte devant lui. Il y prit un petit gâteau rond qui sentait le sucré du miel et l'acidité du citron. Succulent en effet. Cela change des fines galettes et des légumes journaliers.

« Je suppose que vous savez pourquoi je vous ai fait quérir ? »

L'abbé Prieur avait en lui un coeur qui se voulait en or et une image digne d'un saint. Il était svelte, avait le cheveux luisant et touffu malgré son grand âge et ses yeux pleins de sagesse étaient aussi claires que l'azur. Il respirait la jeunesse et l'assurance. Un symbole fort qu'est celui du protecteur des moines et des brebis terrestres.

« Vous avez importuné le frère Constant ce matin. D'après lui vous avez encore blasphémer. Vous savez ce que j'en pense et vous savez donc que vous ne serez pas jugé. Comme le veux notre Sauveur. Nous devons toujours pardonner. Pourtant, vous mettez en danger mon monastère avec vos paroles. Vos mots acerbes et douteux ne doivent pas être pris pour acquis. Si cela se produisait, vous savez ce qui risquerait de vous arrivez. J'espère être clair. Pour la peine, ce gâteau sera le dernier que vous mangerez et votre remerciement envers moi sera votre dernier mot. Les gens de ce monastère seront prévenus de vos agissements et de votre, ce qui passerait, pour une possible douleur. De ce fait, vous serez le seul à tout préparer, à tout prévoir et organiser. Je ne veux plus vous revoir en face à face. Vous aurez à méditer sur vos agissements et Frère Constant sera désormais votre garant. Je pense que son nouveau statut le ravira beaucoup plus que le vôtre. Et puis allez donc nourrir les bêtes. Elles commencent à avoir faim. »

Le frère Maynard se leva, claqua la boîte en fer-blanc dans un geste brusque et reposa le trépied dans un coin de la pièce, là où était formé par de la pierre, une arche. Imprimé directement dans la roche, elle ne donnait sur rien. Une folie artistique sans doute. Car il y en avait un peu partout, réparti dans les quatre coins de l'abbaye.

Il referma la porte en un geste violent. Il devait se rendre dans la fraîcheur des enclos. Cela lui ferait sûrement du bien. Il avait un don avec les animaux.

Sur le chemin, des idées, des songes lui vinrent à l'esprit. Il voulait hurler, se débattre, réduire ce monde à néant. Il voulait tuer, massacrer, vouer son âme à ceux que lui, chérissaient depuis le début. Il commençait à s'inquiéter. Et si son plan ne fonctionnait pas ? Pourtant il était imparable ! Mais cela n'empêchait pas l'ombre du doute de planer au dessus de lui.

L'heure approche se dit-il en jubilant, un sourire torve sur le visage et les yeux pétillants d'une étrange lueur. Il est bientôt arrivé, le temps de la décadence et de la folie.

La nuit venait de tomber sur le petit village. La lune gibbeuse s'élevait haut dans le ciel. Aucun nuages, aucune étoiles ne venaient l'embêter. Elle planait, mystérieuse et horrifique sur les landes désolées et les champs fertiles. Au loin ou près, un loup hurlait. Ce bruit du diable, un son discordant, grinçant, tranchant ne cachaient pas ceux plus distants, des ébats amoureux.

Elle lui griffait entièrement le dos tandis qu'il la mordait avec sauvagerie au cou. Il venait en elle, bougeait en elle tandis que le bruit de son extase se faisait entendre dans toute la maison. Le mur trembla quand il la plaqua contre la pierre. Du sang perla de la longue estafilade qui apparu sur son épaule. Elle en avait cure. Victoire aimait cette petite violence, ce jeu animal. Il la regarda de son air bestial tout en lui prenant son sein dans une main et venant en elle avec l'autre. Ses vas et vient étaient tels qu'elle se perdit. Définitivement. Perdue dans un endroit où seule elle en possédait l'entrée.

C'est le cri de son frère qui la réveilla. Victoire regarda Paix de ce doux regard que seul l'intimité d'une chambre pouvait cacher. Il avait les mains en sang. Là où il les avaient posé, sur le corps de sa jumelle, des rougeoiements se faisaient voir. Paix posa sa peau brûlé à vif sur l'humidité des draps. Il regarda la rougeur partir et monta son regard de la flaque incolore vers sa soeur. Elle ne portait plus aucune traces. Ni celle de sa morsure à lui, ni de sa coupure à l'épaule. Le sang ne perlait plus sur la pierre qui l'avait entaillé.

« Que m'as-tu fais Victoire ? Pourquoi mes mains ont-elles brûlées ? Pourquoi le sont-elles plus ? Pourquoi es-tu guérie ? »

Il s'égosillait, hurlait dans toute la maison. La peur se voyait sur son visage. Ses yeux étaient vitreux, empli de larmes. La frayeur lui fit hérisser le poil qu'il avait dru au niveau des bras. Quand il était comme ça il tournait, en rond, comme un animal dans une cage.

« Calme-toi mon frère, fit Victoire d'une voix douce. Il m'a appelé c'est tout. Et tu avais tes mains posées sur moi, à l'intérieur même, et tu le sais que seul lui, à accès à ma matrice, mon coeur, mon âme dans ses moments là. Tes mains de profanes étaient en sa reine. Il t'a puni voilà tout.

-Je vois. Il m'a puni. Pourtant sa punition n'a pas duré. Je suppose que c'est parce que vous avez besoin de moi. N'est-ce pas, hurla t'il. Te sers-tu de moi Victoire ?

-Paix, il y a dès fois où tu es aussi stupide qu'un chiot ! Nous avons tous besoin de toi. Tu es notre seul et unique espoir. Je me dois de te servir. Comme nous tous. »

Victoire le regarda dans les yeux. Il se calma rapidement et revint s'asseoir auprès d'elle. Elle lui prit les mains, les embrassa.

« Ses appels se font de moins en moins rare. Il est temps que cela se termine. Cela n'a que trop duré. Je suis fatiguée de faire semblant, tout comme toi. Nous changeons mon frère, nous devons nous faire discrets. Je voudrais tant que mon règne arrive, que ma volonté sois faite ! Je veux réduire ce village d'ingrats en cendres, me repaître de leur chairs, vivre avec mon roi ! Petit frère ?

-Oui petite soeur ?

-Ta reine te l'ordonne, continuons notre petit jeu.

-Tu n'es pas encore une reine petite soeur, fit-il en lui tirant les cheveux. Pour l'instant tu es ma servante. »

Et il lui mordit avec un fort élan lupin sa poitrine.

Il était là, assis dans son fauteuil. Le noir l'enveloppait dans une cape veloutée et chaude. Il savait ce que ses enfants faisaient. Ils accomplissaient ce pourquoi il les avaient préparé. Il ne pouvait s'empêcher de rire dans ses moments là. Sa fille avait raison. Il est temps que cela se termine. 

L'Apocalypse selon CthulhuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant