Chapitre 2

55 13 38
                                    

Accroupie, je tente de retranscrire le plus fidèlement possible les traits d'Asle : bien sûr c'est un échec total. De dépit, je balance à travers ma cellule le petit fusain noir qui me sert à dessiner sur le sol froid et qui vient rebondir sur le mur opposé avant de s'écraser au sol, ne formant plus qu'un petit tas de débris noirs. Asle, debout derrière moi, ne peut s'empêcher de commenter :

— Vous n'avez plus de fusain, désormais.

Je soupire et m'assois normalement afin d'étirer mon dos courbaturé par ces heures de dessin à même le sol.

— Tu ne m'apprends rien, Asle, me contenté-je de répondre.

— Il va vous falloir attendre la prochaine visite du Peintre.

— Ça aussi, je le sais. En plus il ne repassera que dans quelques mois à Bilboard.

Je me relève avec peine et pars chercher les morceaux de ce qui était jadis un fusain.

Le Peintre est le seul homme de toutes les Nations Unies d'Amérique et d'Océanie autorisé à peindre. Une rumeur circulant depuis des siècles raconte qu'il aurait acheté le droit de peindre : c'est pourquoi aujourd'hui il nous est interdit de prendre un pinceau et une toile pour en faire des oeuvres d'art. Le Peintre actuel n'est que l'arrière-arrière-arrière petit fils du Peintre originel, mais cet homme à hériter de la prétention qui caractérise cette famille. Lorsqu'il est de passage à Bilboard pour vendre des toiles, j'en profite pour passer commande : un privilège qui ne m'est accordé que parce que Catagnéo a besoin de moi. De toute façon je n'ai jamais rencontré cet homme.

— Asle, est ce que tu as conservé un peu de colle ?

Je m'approche de l'androïde et glisse dans ses pinces ouvertes le défunt fusain.

— Non, désolé mademoiselle, m'annonce-t-il avant de me le rendre.

Je secoue la tête, dégoutée, et vais jeter les morceaux dans les toilettes.

Je retourne à ma couchette et tente, tant bien que mal, à dormir un peu. Mais même en utilisant mon bras comme visière, la lumière crue que dégage le néon arrive tout de même à m'éblouir.

Alors que je change de position, de violents coups sont frappés à la porte de ma cellule. Avant même d'avoir pu répondre, la porte s'ouvre et un gardien noir s'avance vers ma couchette :

— C'est votre heure de sortie.

Je ne bouge pas d'un pouce, trop sonnée par cette nouvelle : ainsi, même en condamnant un gardien noir j'ai tout de même le droit de sortir... C'est une information qui pourrait m'être utile à l'avenir.

— Bouge toi de ce lit, Haryelson, j'ai pas que ça à faire ! aboie-t-il face à mon manque de réaction.

Retrouvant mes esprits, je bondis du lit et sors dans le long boyau blanc qui sert de couloir.

— On dirait que c'est votre jour de chance, constate Asle lorsque celui ci me rejoint.

Je me contente de lui sourire. Nous marchons en silence, Asle et moi, suivi par le gardien noir. Seuls les bruits de nos pas ainsi que le faible ronronnement des roues d'Asle viennent troubler le silence de mort qui plane dans ce lieu. Ma cellule à un accès direct à la cour, contrairement aux prisonniers qui eux, doivent parcourir tout un dédale de couloirs. Je ne vois que très rarement les autres étant donné que ma cellule se trouve au deuxième étage et que toutes les autres cellules sont au rez de chaussée.

Enfin la porte menant à l'extérieur se dessine au bout du couloir ce qui a pour effet de me faire accélérer la cadence. L'androïde et le gardien noir, constatant ce changement de rythme, accélèrent également le leur. Je m'arrête à deux centimètres laissant la place au gardien noir afin qu'il puisse ouvrir la porte. Lorsque l'issue est enfin ouverte, je suis immédiatement éblouie par le soleil. Le gardien me pousse brusquement dans le cour avant de claquer la porte sans autre forme de procès.

ImmortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant